Avec Piget Films, Amic Bedel ranime le "biaïs"

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  • Amic Bedel : ""Avec Piget, l’idée a toujours été de rendre accessible au plus grand nombre un fonds exceptionnel et  inestimable.
    Amic Bedel : ""Avec Piget, l’idée a toujours été de rendre accessible au plus grand nombre un fonds exceptionnel et inestimable. Repro CPA
  • Avec la série « Biaïs », Piget Films remet au goût du jour des savoirs-faire oublié, une  sobriété dans les gestes qui respirent toujours l’intelligence.
    Avec la série « Biaïs », Piget Films remet au goût du jour des savoirs-faire oublié, une sobriété dans les gestes qui respirent toujours l’intelligence. Repro CPA
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Aurélien Delbouis

Réalisateur, producteur, le natif de Quins fait vivre l’Occitanie avec Piget Films ; une société de production qui fait rouler les "R". Rencontre avec un quadragénaire bien dans ses pompes et dans son temps qui à la tentation du luxe préférera toujours l’intelligence de la simplicité...

À sa façon, il prolonge le travail de son père, Christian-Pierre Bedel, pendant longtemps directeur de l’Institut occitan de l’Aveyron (IOA), passeur inénarrable et collecteur insatiable des mots et gestes du patrimoine occitan. Aujourd’hui retraité, il a pour ainsi dire passé le flambeau à Amic, le fils, qui perpétue ainsi l’œuvre familiale.

Directeur de Piget Films, société de production audiovisuelle basée à Toulouse, Amic ne renie d’ailleurs pas l’héritage. Loin de là. "Avec Piget, l’idée a toujours été de valoriser ce patrimoine, ce fonds exceptionnel, d’en faire quelque chose d’accessible, de le partager, de le mettre à disposition des gens en montrant que tout ça a du bon, du sens et une valeur inestimable" pose d’entrée le quadragénaire qui avec son frère a développé "sa petite société" en 2005.

Un peu par nécessité. Amic avouant en rigolant être frappé de la "double peine" : comprendre "faire des trucs en occitan qui n’intéressent pas grand monde et en plus, ne trouver personne pour les financer." En clair, "à chaque fois que je proposais un projet de documentaire en langue occitane, se souvient-il, la question tombait, invariable. Mais pourquoi ? Et comme nous ne trouvions aucun producteur, nous avons décidé avec mon frère de créer cette petite structure qui nous a permis de développer pas mal de petits projets, en coproduction avec France 3 notamment, des clips, des documentaires, des séries…"

Parmi elles, notons "Còp d’ala", diffusée sur France 3, une série en 20 épisodes qui raconte, à vol d’oiseau, l’urbanisation de l’Occitanie entre le IXe et le XIIIe siècle. Il y a aussi "Biaïs" qui valorise les savoirs populaires oubliés d’Occitanie, ces savoirs du quotidien dont la transmission, et c’est un euphémisme, est loin d’être assurée.

 

"Le Biaïs"

"Dans chacun des 50 épisodes de la série "Biaïs", le but était de filmer les gens chez eux, dans leur écosystème, et de voir comment ils valorisent leur quotidien souvent de façon très modeste. C’est aussi ça qui m’intéresse, voir le beau chez l’humain, cette sobriété dans les gestes qui respirent toujours l’intelligence. Je déteste d’ailleurs l’idée de luxe qui n’est, par ailleurs, pas tenable à l’échelle mondiale.

Avec "Biaïs" on retrouve cette logique-là. Je me suis régalé à me promener dans la grande Occitanie pour retrouver ces savoirs simples, singuliers. Je me souviens d’Aline Escande sur les monts de Lacaune. Elle fabriquait le melsat, une sorte de boudin. J’aurais pu l’écouter en parler toute la journée."

Comme son père qui avec la bibliothèque "Al Cantou" a sillonné l’Aveyron pour collecter ce patrimoine presque oublié, Amic a lui aussi pris le parti de documenter cet héritage. "Les arbres aux racines profondes sont ceux qui montent haut" disait Frédéric Mistral. Et avec Piget Films, l’ascension commence à peine, mue par cette volonté d’innover.

"Nous avons lancé le collectif "Detz" car j’ai remarqué autour de moi pas mal de jeunes qui s’intéressaient à la fois à l’audiovisuel, à la musique et à l’occitan. Ils avaient 20 ans, parlaient la langue. "Detz" est une sorte de laboratoire audiovisuel qui ne s’interdit rien." Pas même des vidéos "un peu débiles". "C’est une bonne école, s’amuse Amic. C’est un lieu d’expérimentation qui va de la poésie abstraite à la parodie."

"Langue paternelle"

Entre Piget Films et Detz, l’Occitan retrouve ainsi son dynamisme, sa créativité sans céder pour autant aux sirènes du militantisme. "On a tendance à stigmatiser les militants, à leur reprocher de défendre leur petit pré carré, de défendre la langue pour la langue. Pour moi le sens de ce travail avec Piget Films ou Detz est plus large." Un constat qui n’empêche pas l’analyse.

"Pourquoi du jour au lendemain, cette langue profonde, ces gestes affinés, éprouvés, ces pratiques agricoles saines, intelligentes se sont retrouvés disqualifiés, méprisés par les propres détenteurs de ces savoirs ?" remarque le quadragénaire. "Grâce au travail de mon père, j’ai pu voir de près ce mécanisme de disqualification d’une partie de ce que j’étais. Tout ça m’a construit."

Entre l’occitan d’une part – il en parle comme de sa "langue paternelle" – et la culture pop d’un ado des années quatre-vingt. "J’ai toujours été bercé par cette double culture. Cette culture mondialisée d’un côté – j’ai grandi avec MTV, le Wu Tang Clan, Method Man, Spielberg, les Goonies – celle d’un petit gars des années quatre-vingt qui rêve de BMX et de casquettes de baseball… et d’un autre côté la culture de mes voisins, ma famille de Quins avec la langue occitane, sa disqualification…"

Un mélange riche qui fait tourner le moteur de Piget Films depuis plus de 15 ans. "De ce point de vue, les choses évoluent bien malgré la diminution du nombre de locuteurs. Ce côté ringard qui collait à la peau de l’occitan, à ses gestes, ses pratiques a disparu. Tout s’est inversé mais il faut continuer à valoriser l’enseignement de l’occitan à l’école. La suite dépend de ça !"

Vous pouvez visionner la production de Piget Films sur https://vimeo.com/piget

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