Villefranche-de-Rouergue. Avec "Viens je t’emmène", le Villefranchois Alain Guiraudie renoue avec la comédie

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  • Alain Guiraudie pendant le tournage de "Viens je t’emmène" à Clermont-Ferrand en février 2020.	@Repro
    Alain Guiraudie pendant le tournage de "Viens je t’emmène" à Clermont-Ferrand en février 2020. @Repro
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Aurélien Delbouis

Dernier film du réalisateur villefranchois Alain Guiraudie, "Viens je t’emmène" dresse le portrait d’une paranoïa collective. Rencontre.

Après "Rester Vertical" (2016), plongée crue dans la ruralité, et "L’inconnu du lac" (2013), thriller extatique autour d’un lieu de drague gay, le cinéaste villefranchois de 57 ans revient sur le devant de la scène avec "Viens je t’emmène", comédie libertaire qui puise par petites touches dans le deuxième roman du cinéaste, Rabalaïre, un pavé de 1040 pages paru l’été dernier chez P.O.L.

"Viens je t’emmène", c’est l’histoire de Médéric, mec un peu paumé qui tombe amoureux d’Isadora, une prostituée de 50 ans. Dans le centre-ville de Clermont-Ferrand, théâtre d’une attaque terroriste, Selim, un jeune sans-abri se réfugie dans l’immeuble de Médéric. Tout se complique alors dans la vie de ce dernier, tiraillé entre son empathie pour Sélim et son désir de vivre une liaison avec Isadora.

Entre drame et vaudeville, le dernier opus d’Alain Guiraudie contraste avec les précédents. L’intéressé ne dit pas le contraire. "Après deux films plutôt sombres, je voulais revenir à la comédie, tout en restant ancré dans l’actualité et la réalité sociale du moment qui n’est pas non plus des plus joyeuses. J’avais aussi à l’esprit le théâtre de boulevard. Je trouvais intéressant de ramener les grands débats et les grands enjeux de notre monde à une échelle plus modeste, plus quotidienne, à l’échelle d’un appartement."

Dans cette "ville à la campagne noire et chaleureuse" qui offre des perspectives sur les plateaux et les montagnes des alentours, s’entrelacent les destins d’une galerie de portraits en contre-jour dont le réalisateur a le secret. Autour de Méderic, joggeur sans conviction mais amoureux fébrile, gravite tout un aréopage un peu bancal : la prostituée, Isadora, Gérald le mari violent, la jeune femme noire révoltée Charlène, le voisin beauf Monsieur Coq, la cheffe d’entreprise moderne Florence… Sans compter le fameux Selim.

Personnages complexes

"Je traite ici la théorie du grand remplacement avec une certaine dérision" juge Alain Guiraudie. J’ai pu entendre au moment des attentats des gens parler de l’islam d’une drôle de façon, invoquant même l’idée que l’islam portait en lui cette violence. Le musulman, c’est vraiment devenu l’autre par excellence." Rétif à cette idée de "choc des civilisations", il poursuit : "On continue l’entreprise d’occultation de la lutte des classes et d’instrumentalisation de nos différences pour effacer ce qui nous unit et qui menace en effet l’ordre établi. Je me sens évidemment plus solidaire d’un arabe musulman exploité que d’un athée blanc exploiteur."

"Au-delà, le film traite de la façon dont (le terrorisme) a influé sur nos vies, quelque chose de plus profond dans la société que juste le choc des attentats", ajoute le réalisateur qui dessine ici des personnages pleins de contradictions. Conscient que peu de films se sont emparés jusqu’alors de ce sujet.

Présenté à la Berlinale 2022 après un tournage rendu périlleux par l’annonce du premier confinement en 2020, "Nobody’s Hero" – le nom du film dans la langue de Shakespeare – a été salué par la critique. Tout aussi barré que les précédents films du cinéaste, il fait un peu moins – 5000 spectateurs le premier jour – que le très radical Rester vertical, qui avait attiré 6 980 spectateurs le jour de sa sortie en août 2016.

Quant à la suite ? "J’ai très envie de faire d’autres trucs que du cinoche : de la mise en scène, du théâtre, des expos photo… Je fais de la photo depuis pas mal de temps, je prépare ma deuxième expo à la galerie Crèvecoeur, à Paris. Et puis j’ai écrit un scénario, tiré d’une histoire de Rabalaïre, dont je viens d’achever une première version. Après, je me pose la question d’un cinéma plus social. Je me dis qu’il n’y a pas de représentation du monde ouvrier. Je nourris aussi des velléités du côté du documentaire." À suivre.

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