Au Brésil, des tatouages masquent les cicatrices de la vie

  • L'artiste Karrla Mendes a à son actif près de 160 tatouages pour masquer les cicatrices de femmes ayant souffert de maladies, d'accidents ou de violence conjugale.
    L'artiste Karrla Mendes a à son actif près de 160 tatouages pour masquer les cicatrices de femmes ayant souffert de maladies, d'accidents ou de violence conjugale. Filipe ARAUJO / AFP
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ETX Daily Up

(AFP) - Face au miroir, Marlene Silva dos Santos admire les fleurs tatouées sur sa poitrine, masquant la cicatrice de l'opération subie après avoir été atteinte par un cancer du sein il y a cinq ans.

"Même si les autres ne la voyaient pas, moi, ça me faisait mal de voir cette cicatrice", confie cette Brésilienne de 51 ans.

"Maintenant, ce que je vois, ce sont ces fleurs. Je n'imaginais pas que ça pourrait être aussi beau", dit-elle, la peau encore à vif sous le coup de l'aiguille de la tatoueuse.

Pendant plusieurs heures, elle a supporté sans broncher la douleur, couchée sur le dos dans un studio de Sao Paulo (sud-est). La décoration colorée tranche avec les néons et la blancheur austère de l'hôpital où elle suivait ses séances de chimiothérapie.

Le résultat : des roses qui descendent le long de la poitrine, deux gros diamants bleus foncés dessinés sous le sein gauche.

Un autre petit tatouage très réaliste simule le téton perdu lors de la mastectomie (ablation du sein), avant la reconstitution mammaire. La cicatrice est désormais pratiquement invisible.

L'artiste est Karrla Mendes, qui a à son actif près de 160 tatouages pour masquer les cicatrices de femmes ayant souffert de maladies, d'accidents ou de violence conjugale.

Elle leur offre ses services gratuitement, à travers le projet social "We are Diamonds" (Nous sommes des diamants), qui a été initié en 2017, et a par la suite lancé des partenariats avec plusieurs ONG.

- "Douleur en fierté" -

"Je veux leur faire comprendre que nous, les femmes, nous sommes des diamants bruts, qu'on peut polir tout au long de notre vie", explique la tatoueuse.

"C'est gratifiant de les aider grâce à mon art et de donner un nouveau sens à des cicatrices qui symbolisaient de mauvais souvenirs", ajoute-t-elle.

Kelly Pereira, 36 ans, arbore aussi des tatouages de fleurs et de diamants, sur le bras, de l'épaule au coude.

Les dessins masquent une cicatrice et des brûlures provoquées par un accident domestique, qui l'a aussi marquée sur le cou, la poitrine et une main.

L'accident a eu lieu lorsqu'elle était enfant, quand une casserole a pris feu à cause d'un fond d'alcool laissé par sa soeur qui cuisinait pendant que sa mère travaillait dehors.

"Cette cicatrice raconte mon histoire. Je n'en ai pas honte", raconte-t-elle. "Je veux montrer qu'on peut transformer notre vie avec ce geste qui marque non seulement notre peau, mais aussi notre âme".

À Belo Horizonte, dans l'Etat voisin de Minas Gerais (sud-est), Augusto Molinari offre lui aussi des tatouages gratuits pour ceux qui recherchent une solution esthétique afin de renforcer leur estime de soi, après des blessures qui marquent la chair.

Il a tatoué par exemple le corps d'une femme victime de violence conjugale, l'aidant à masquer des marques de graves brûlures.

"C'est beau de voir les yeux qui brillent quand la personne se regarde dans la glace et voit que son corps a changé, qu'on a transformé la douleur en fierté", explique le tatoueur.

- "Fin de cycle" -

Dulcineia Soares a perdu à l'âge de 6 ans une phalange de son majeur de la main gauche dans une broyeuse de canne à sucre.

Soixante ans plus tard, Augusto Molinari a tatoué sur son doigt mutilé un dessin qui simule un ongle.

"Pourquoi je n'y ai pas pensé avant ?", s'interroge cette musicienne, qui porte un tout autre regard sur ses doigts en pianotant sur les touches de son clavier.

"C'est une sensation de liberté, je n'ai pas à cacher mon doigt sans arrêt", ajoute-t-elle, montrant fièrement ses mains grandes ouvertes.

Betania Sartori, médecin spécialiste en chirurgie esthétique, explique que des tatouages sur la peau reconstituée "sont sûrs, sous certaines conditions".

"On ne peut pas faire de tatouage sur des cicatrices trop récentes", dit-elle, en précisant qu'il faut souvent attendre un à deux ans que la peau soit assez mûre pour recevoir l'encre et l'aiguille.

Marlene Silva dos Santos, elle, tient à se regarder une nouvelle fois dans le miroir avant de remettre son chemisier : "c'est la fin d'un cycle", conclut-elle, satisfaite.

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