La santé mentale, le grand sujet de préoccupation des industries créatives

  • Les horaires de travail en décalé et le temps passé loin des siens contribuent grandement à ce mal-être mental des professionnels des industries créatives.
    Les horaires de travail en décalé et le temps passé loin des siens contribuent grandement à ce mal-être mental des professionnels des industries créatives. Gorodenkoff / Shutterstock
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ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - Contrairement aux apparences, il n'est pas toujours facile de vivre de sa passion pour les arts. Dépression, anxiété, solitude, instabilité financière... La santé mentale des artistes et autres professionnels des industries créatives est souvent mise à rude épreuve. Un phénomène inquiétant que la pandémie n'a fait qu'accentuer. Décryptage.

Les études sur la souffrance psychique des acteurs de la culture se sont multipliées ces dernières années. La faute à des conditions de travail éprouvantes, mais aussi à la pression permanente et à des situations économiques souvent très précaires. C'était sans compter la crise sanitaire. La fermeture prolongée des lieux culturels durant les confinements a mis à mal les industries créatives, ses artistes, ses professionnels et ses entrepreneurs. A tel point que leur santé mentale en pâtit.

L'association britannique Equity s'est penchée sur le bien-être psychologique des personnes travaillant dans le secteur du divertissement et des arts du spectacle, en analysant les données issues de plus de 100 études universitaires sur le sujet. Elle a constaté que ces professionnels sont deux fois plus susceptibles de souffrir de dépression que le reste de la population.

Les horaires de travail en décalé et le temps passé loin des siens contribuent grandement à ce mal-être. "L'irrégularité des tournées et la pression des voyages, les horaires de travail erratiques (y compris les représentations le soir et le week-end) et les périodes de travail à l'extérieur signifient un manque de temps pour les proches, la famille ou la vie sociale", indique l'étude menée par le Dr Lucie Clements. "Les musiciens, par exemple, ont évoqué des mois entiers sans voir leurs enfants. C'est important car le soutien des proches est connu pour être l'un des facteurs les plus importants pour préserver la santé mentale".

Le coût mental de l'insécurité de l'emploi

Autre problème de taille : l'insécurité de l'emploi dans les industries créatives. Beaucoup de professionnels du secteur sont contraints de cumuler plusieurs emplois pour joindre les deux bouts. Une étude universitaire incluse dans le rapport d'Equity révèle ainsi qu'un tiers des acteurs s'inquiète constamment de l'état de leurs finances. Cette précarité financière les empêche aussi de faire appel à des professionnels de santé pour bénéficier d'un suivi psychologique.

"Cette étude historique confirme concrètement ce que les membres d'Equity savent depuis des années : les personnes travaillant dans les industries du divertissement et des arts du spectacle sont susceptibles d'avoir des problèmes de santé mentale. Une série de facteurs y contribuent, mais il est tout à fait clair que les effets néfastes du travail précaire, des bas salaires et des mauvaises conditions salariales alimentent cette crise collective", a déclaré Paul Fleming, secrétaire général d'Equity, dans un communiqué.

Les photographes connaissent les mêmes difficultés, surtout depuis le début de la pandémie. La profession, déjà précarisée, a été frappée de plein fouet par les restrictions de déplacements, la fermeture des institutions culturelles ainsi que l'annulation des festivals et des grands rassemblements publics. Une enquête récemment publiée par Catchlight et la fondation Knight auprès de 1325 photographes dans 87 pays montre que le secteur s'est, dans son ensemble, beaucoup appauvri.

La moitié des personnes interrogées affirme être "moyennement" ou "grandement" endettées pour faire face aux revenus en baisse dans le secteur. Beaucoup sont aussi contraints de diversifier leurs activités, dans la photographie ou non, pour s'assurer des revenus décents. Un phénomène qui n'est pas sans conséquence pour leur bien-être psychologique : plus de trois quarts des sondés disent que la santé mentale constitue au moins occasionnellement un problème.

Pour Tara Pixley, l'une des co-autrices de l'étude, il est grand temps que la profession prenne mieux soin de ses professionnels. "La route sera longue pour résoudre tous ces problèmes", a expliqué dans un communiqué. "Il faudra d'abord reconnaître l'existence de ces problèmes, puis s'efforcer d'en trouver la source".

Détruire le mythe de l'artiste maudit

Cependant, l'état de santé des professionnels des industries créatives reste encore tabou. La faute au mythe de l'artiste maudit, omniprésent dans la culture populaire, qui imagine le créateur comme un être torturé, condamné à souffrir pour vivre de son art. De plus en plus de voix s'élèvent toutefois dans la culture, et tout particulièrement dans l'industrie musicale, pour s'affranchir de cette idée reçue.

Stromae en tête. L'auteur-compositeur belge a créé l'événement dans le journal de 20 heures de TF1, dimanche 9 janvier, en dévoilant "L'Enfer", un titre dans lequel il confie avoir eu des "pensées suicidaires". Et d'ajouter : "J'en suis peu fier". Suivie en direct par 7,2 millions de téléspectateurs, cette confession a été saluée par le directeur général de l'OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus. "Merci Stromae d'avoir abordé le sujet difficile qu'est le suicide sur votre dernier album", a-t-il écrit sur Twitter.

L'interprète de "Papaoutai" n'est pas le seul à parler de ses problèmes de santé mentale dans ses textes. Adele, Billie Eilish, Bruce Springsteen ou encore Nekfeu en font tout autant. "Il y a une vingtaine d'années, le sujet de la santé mentale était inaudible", a affirmé Jean-Victor Blanc, psychologue et auteur de l'ouvrage "Pop & Psy" à Slate. "Jusque-là, les images que l'on avait de la maladie mentale venaient du spectre de la violence ou du fait divers. Aujourd'hui, ce sont des personnes qui ont du succès, qui ont une aura. Ça change drastiquement le visage de la maladie mentale".

Une question subsiste : comment lutter contre les troubles mentaux au sein même des industries créatives. Pour l'heure, la fondation américaine MusiCares offre une aide financière d'urgence aux musiciens ayant besoin de suivre une psychothérapie ou de lutter contre des problèmes d'addiction. L'association Backline propose de mettre en relation des professionnels de l'industrie musicale et leurs proches avec des groupes de soutien, et l'INSAART des rendez-vous d'écoute et de soutien psychologique aux professionnels des métiers de la culture, en présentiel ou en visio. De quoi faire évoluer les mentalités.

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