Patrimoine aveyronnais : quand les cloches sont à la fête

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    Les cloches à la fête Patrice Lemoux
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Patrice Lemoux (d'après Christian Triadou, descendant de fondeurs)

La Fondation du patrimoine fait découvrir, tout au long de l’année, des projets de restauration, réalisés en partie, grâce à des dons. Les cloches sont en bonne place au classement de l’orientation des dons. Ces jours-ci, elles sont à la fête puisqu’elles viennent de sonner nadalet… Et elles sont mises à l’honneur dans l’ouvrage "L’art campanaire en Rouergue".

Comme le rappelle Éric Sutter, président de la Société française de campanologie, les cloches font partie de l’environnement sonore habituel de tous les Français, à tel point qu’un dérèglement dans le mécanisme, aujourd’hui, automatisé des sonneries est vite remarqué par les habitants. Si leurs voix rythment le temps civil ou religieux et informent le voisinage des événements comme des offices circonstanciels marquant les étapes de la vie, il n’en demeure pas moins qu’elles sont peu connues du public car souvent peu accessibles. Or, chaque cloche est unique du fait de la technique de fabrication, de son timbre comme des inscriptions qu’elle porte sur sa robe. L’ensemble constitué par les différentes cloches, appelé carillon, contribue à l’identité sonore du village ou du quartier au même titre que le clocher en constitue l’identité visuelle.

Pour Christian Triadou (auteur de l’ouvrage "L’art campanaire en Rouergue", lire par ailleurs), la cloche est le moyen de communication par excellence ; c’est l’un des plus vieux instruments sonores universels connus. Au commencement, l’homme utilisait le bruit sourd émis par un tronc évidé frappé par un rondin de bois. Puis, il maîtrisa le feu et confectionna des cloches en céramique. C’est, enfin, à l’âge de bronze, qu’ont apparu les premières cloches et clochettes métalliques. Leurs usages civils, militaires et religieux ont été multiples. Les Romains l’utilisaient pour l’ouverture et la fermeture des marchés. La clochette, ou grelot, attachée seule, ou en collier, aux personnes comme aux animaux, servait à en signalait la présence. La cloche était également utilisée pour appeler les fidèles aux offices. Fixée d’abord à un arbre, elle a trouvé très vite abri dans un édifice séparé ou intégré à l’édifice religieux : le clocher.

Au Moyen-Âge, la croyance populaire attribuait à la cloche le pouvoir d’écarter les mauvais esprits. On sonnait à pleine volée pour chasser les tempêtes, les orages, la grêle. La cloche salvatrice, point de ralliement du pèlerin, comme du marin, sonnait également dans la tourmente, comme c’était la coutume à la dômerie d’Aubrac.

Cloches et clochers, plus haut, plus loin

Il semblerait que les premières coulées de cloches ont été réalisées à partir du Ve siècle. C’est à partir de ce moment que la cloche est devenue le principal moyen de communication de masse dont la portée sonore dépassait bien d’autres instruments placés dans des beffrois, d’abord portatifs, et qu’on a érigé ensuite en place publique. Cette tour abritait la cloche du ban, ou "bancloque", symbole du pouvoir. Pour rayonner sur tout le territoire assujetti à un même pouvoir, les tours ont été élevées de plus en plus hautes et les cloches de plus en plus grosses pour en forcer le timbre. Ces tours servaient dans le même temps comme tour de guet. Ce n’est qu’avec l’expansion des premiers clochers, au XIIe siècle, qu’apparut l’usage spécifiquement religieux avec une couverture sonore sur toute la paroisse. Dans beaucoup d’endroits, au sein des campagnes, les usages laïcs et religieux allaient de pair en Rouergue. Dans d’autres régions de France, et dans les villes, la séparation des pouvoirs a fait coexister un beffroi et un ou plusieurs clochers. La concurrence entre villages ou communautés paroissiales incita souvent les bâtisseurs à défier les règles de l’architecture et à monter toujours plus haut pour se rapprocher du ciel en défiant la pesanteur.

La fabrication d’une cloche relevait de l’artisanat d’art. La technique de fabrication a peu évolué depuis le Moyen-Âge. Il s’agissait de couler de l’airain (mélange de cuivre et d’étain), métal produisant des tonalités harmonieuses, dans un moule en brique couvert de cire. Toute la population était invitée à participer à l’approvisionnement du chantier en bois de chauffe ou en métal. L’art du fondeur commence au "tracé". L’alchimie de la forme et des proportions déterminait la beauté des formes et la justesse du son escompté. Chaque cloche était ainsi une pièce unique et pouvait être considérée comme une œuvre d’art, à la fois sculpture et instrument de musique.

Depuis le milieu du XIXe siècle, avec l’évolution des techniques de moulages, l’ornementation était de plus en plus riche et raffinée sur le corps comme sur les anses. Chaque cloche portait sur elle le témoignage de son histoire par les écritures et l’iconographie qui l’ornent : noms des marraines, parrains, commanditaires, donateurs, fondeur, dates, citations et effigies religieuses ou laïques, parfois la liste des disparus de la paroisse au cours des guerres… Avant d’être hissée à sa place, la tradition voulait que l’on procède au baptême de cette nouvelle "âme" de la paroisse.

Savoir-faire des fondeurs

Des fondeurs ambulants sillonnaient la France pour proposer leur savoir-faire. Ils ont pris la place des moines-fondeurs. Ils œuvraient aux beaux jours et réalisaient leurs moulages sur place. Dans leurs ateliers, ils fabriquaient également des pièces d’artillerie et tout objet de bronze. Les fondeurs étaient souvent marchands et horlogers. Ils créaient et proposaient des clochettes et de la "jaunerie", tout objet en cuivre jaune tels les chandeliers, les croix, les boutons, les lampes, les robinets… Ils venaient de toute la France, ici en Rouergue, même du royaume d’Espagne. Certains ont fixé leur atelier à Rodez, comme cette famille Goussel, venant de la Lorraine, région de tradition. L’activité de fondeur était prospère au sein du département jusqu’au début du XXe siècle. De l’Aveyron, des dynasties de fondeurs, telles les six générations de Triadou, ont exercé entre 1709 et 1904. Leur savoir-faire s’exportait dans tout le sud-ouest de la France. Ils ont même été chargés par le vicaire apostolique du Kiang-Si oriental de fondre les vingt-quatre cloches du premier carillon catholique que possédait la Chine.

Cloches et sonnailles s’inscrivent dans les traditions. Terre de fondeurs, jadis, l’Aveyron a perdu ce savoir-faire. Il faut faire appel à des mains expertes d’autres régions pour sauvegarder ce patrimoine.

"L’art campanaire en Rouergue"

Christian Triadou, l’auteur descendant d’une des plus célèbres familles ruthénoises de fondeurs, marche dans les pas de ses ancêtres et livre un témoignage inédit sur la place de la cloche dans le Rouergue.Pour tout savoir, ou presque, sur les cloches, leur histoire universelle et locale, la technicité, le vocabulaire et les dynasties de fondeurs, il faut lire les 92 pages que la revue Sauvegarde du Rouergue a publiés en septembre 2022 sous le titre "L’art campanaire en Rouergue".Renseignements sur le site de l’association www.unionsauvegardedurouergue.fr, à la Maison du livre, à Rodez, à la librairie "Pont Virgule", à Espalion… Tarif : 25€.

Carillonneurs et tradition du nadalet

De plus en plus nombreux sont les clochers où a été reprise cette tradition ancestrale de carillonner entre le 17 et le 23 décembre, à la tombée de la nuit. Ils font nadalet, ce qui en occitan signifie petit Noël. Les cloches sont spécialement équipées de cordes reliées aux battants permettant aux carillonneurs virtuoses ou amateurs de jouer des airs de Noël. La coutume voudrait qu’à la descente du clocher, les carillonneurs soient récompensés par la population présente. Une autre tradition populaire était de gratifier d’une friandise le premier "petit" qui entendait et s’exclamait, alors, "nadalet… nadalet…". En cette période festive, c’est également l’occasion d’agapes joyeuses et de partage. D’ailleurs, les origines de ces sonnailles, qui annoncent la nativité, se trouvent certainement dans la liturgie catholique romaine dans laquelle les Grandes antiennes O sont récitées pendant la période correspondante : O Sapientia, O Viergo Maria, O Jérusalem…À certains endroits, l’équipe de carillonneurs commence même le 13 décembre, jour de la Sainte-Luce (lumière) et, également le jour le plus court de l’année. Ils s’inscrivent dans la tradition encore plus ancienne car, au Moyen-Âge, les fidèles récitaient quatre antiennes supplémentaires et commençaient la fête joyeuse quatre jours plus tôt.
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