Tribunal de Rodez : de l'employé modèle au délinquant chevronné, immersion au cœur de la justice du quotidien

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  • La justice du quotidien, tous les mardis au tribunal de Rodez.
    La justice du quotidien, tous les mardis au tribunal de Rodez. Illustration - Archives Centre Presse
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Ici, se croisent consommateurs de stupéfiants, maris violents, conducteurs éméchés ou encore des multirécidivistes... Tous les mardis, c'est jour de l'audience à juge unique au tribunal de Rodez. On y était, ce mardi 26 septembre.

Dans le jargon judiciaire, cela s’appelle une audience à juge unique. À Rodez, elle se tient tous les mardis. On y juge les "petites affaires", cette délinquance du quotidien dans le viseur de tous les responsables politiques. Et comme son nom l'indique, une seule magistrate y siège. À Rodez, c'est Christine Piccinin. Cheveux courts, voix claire, cette juge expérimentée mène ces journées d'une main de maître. De 9 heures du matin jusqu'à tard dans la soirée. Car les dossiers sont toujours plus nombreux sur son bureau. Hier, on en dénombrait 31. Il faut donc aller vite, très vite. "C'est la justice express", sourient souvent les avocats. Un peu jaune, il faut bien l'avouer, car à chacune de leurs plaidoiries, on ne peut s'empêcher de regarder nos montres... Christine Piccinin, elle, en profite souvent pour prendre sa décision en griffonnant mécaniquement des feuilles volantes. Ici, l'on ne se retire pas pour délibérer, ni même suspendre quelques minutes l'audience pour une pause-café, cigarette ou juste souffler. Le temps est précieux, le rythme soutenu. La juge ne perd jamais le fil.

"Vous n'avez rien à faire ici !"

Pourtant, la tâche n'est pas aisée. Car elle doit composer avec des prévenus qui, plus qu'ailleurs, n'ont pas de profil type. Ici, se croisent l'employé modèle et le délinquant chevronné. Chacun à son tour est appelé à s'avancer à la barre et s'exprimer au micro.

Peu après 14 heures, c'était celui d'un jeune homme sous bonne escorte. En février dernier, il a été transféré de la prison de Perpignan à celle de Druelle. Dans son caleçon, les surveillants ont retrouvé 13 grammes de CBD, « cannabidiol » autorisé à la vente. Une sorte de cannabis "light". L'affaire est courante. Le profil du détenu, un peu moins : il attend son procès devant les assises pour un règlement de comptes à la kalachnikov à Nîmes... On ne peut alors s'empêcher de penser à l'actualité récente. Lui reconnaît qu'il avait bien ce CBD en sa possession. Il n’apprécie guère, en revanche, la peine : 4 mois de prison. "Pour du CBD ? Vous me poussez à refumer du shit là ! Pour ça, on prend des amendes en général... Aïe, aïe, aïe que c'est triste Rodez, vous n'avez rien à faire ici !", lance-t-il en rejoignant les geôles du tribunal.

Pas certain que Christine Piccinin soit d'accord. Avant lui, huit personnes s'étaient présentées à sa barre. Et il fut encore question de CBD. Une mère de famille a juré que c'était cette consommation qui était à l'origine d'un taux de THC trop élevé alors qu'elle conduisait à Réquista, en avril dernier. "Peut-être ai-je été victime de fumées passives, mais je n'ai pas consommé de cannabis", assure-t-elle. "Fumeur passif, ça fait 30 ans que je l'entends ! Et le CBD, c'est très clair : ça se vend dans des boutiques mais vous ne savez pas ce que vous achetez et si votre taux est supérieur, c'est une conduite sous stupéfiants", répond la juge. Cette fois, elle se montrera clémente. La mère de famille est au RSA, n'a pas de casier et pourrait bientôt trouver un emploi comme accompagnante d'élèves en situation de handicap (AESH). Elle devra s'acquitter d'une amende de 150€ et sa suspension du permis a été réduite de six à quatre mois. "La justice aime bien les gens qui travaillent, décrochez cet emploi !", lui a lancé Christine Piccinin. 

L'emploi, la meilleure des défenses

À chaque jugement, elle a un mot pour les prévenus, comme une motivation de sa décision. Parfois, son franc-parler est sans égal. "Je ne suis pas là pour vous tenir la main : la prochaine fois, c'est la prison !", prévient-elle par exemple une Espalionnaise, tout juste majeure et pas franchement impressionnée par sa comparution pour usage de stupéfiants et les nombreux avertissements sur ses mauvaises fréquentations... "Vous êtes en France depuis plus de 10 ans et vous ne parlez pas la langue !", reproche-t-elle encore à un Marocain, accompagné d'un interprète et coupable d'avoir engagé des travaux dans son domicile villefranchois sans avoir obtenu un permis de construire nécessaire. "Je fais appel !", lui répondra-t-il, après avoir été condamné à casser son extension dans les six mois à venir... "Qu'est-ce je fais aujourd'hui ? C'est la quatrième fois que l'on vous prend au volant sous stupéfiants. On vous a mis des stages de sensibilité, dont on voit l'efficacité, on vous a mis du sursis... Je vous envoie en prison donc ?", s'est-elle encore interrogée devant un Capdenacois, arrêté au volant sous cocaïne il y a plusieurs mois. Il s'en sortira avec 900€ d'amendes. "Car vous travaillez", justifie la juge. 

Ce travail, souvent au cœur des débats, n'a en revanche pas servi à un père de famille cransacois décrit comme un "employé modèle". C'est aux côtés de son patron d'ailleurs qu'il a longtemps attendu dans la salle avant de s'avancer à la barre. Et de s'expliquer sur un chantier du 12 mai dernier à Decazeville, où il fut pressé par deux hommes de déplacer son fourgon pour libérer la route. En retour, il aurait asséné un coup de poing et brandi une masse comme menace aux automobilistes pressés. Du côté de la défense, on a assuré que ces derniers avaient eu des propos racistes envers l'employé du BTP. Avec son patron, il les qualifiera même "de cas sociaux !". "Des victimes institutionnalisées qui enchaînent les procès", dira l'avocat... Sans réussite. L'artisan sera condamné à de la prison avec sursis et près de 2.000€ à verser aux victimes. 

"Ici, il n'y a pas de gens qui se lèvent tôt, ni de gens qui se couchent tard. Il n'y a que des gens avec un comportement répréhensible", a cette fois commenté Christine Piccinin. Et le mardi, jour d'audiences à juge unique, les heures ne se comptent effectivement pas. Il faut rendre justice. Le plus rapidement possible.

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