Fonte des glaces : "Nous avons ouvert la porte du frigo" rappelle l'explorateur Jean-Louis Etienne

  • Jean-Louis Etienne, infatigable arpenteur des espaces polaires.
    Jean-Louis Etienne, infatigable arpenteur des espaces polaires. MaxPPP - Sebastien Botella
Publié le
Propos recueillis recueilli par Pierre Challier

Médecin, premier homme au pôle Nord en solitaire en 1986, l’explorateur tarnais va, avec son projet Polar Pod, naviguer dans les conditions les plus extrêmes, autour du pôle Sud. Le bateau doit aussi permettre le travail de scientifiques à bord.

Peut-on encore sauver l’Arctique ?

Le premier impact et le plus urgent à prendre en compte, c’est le réchauffement climatique et ça nous touche tous. On ne peut pas parler de l’Arctique sans globaliser. La machine climatique, c’est l’échange entre la chaleur constante des tropiques et le froid des pôles. La Terre, elle, a deux fluides : les courants aériens et les courants océaniques. L’air chaud monte dans l’atmosphère puis monte en latitude et redescend, c’est le transport d’air tropical vers les régions polaires. Et puis il y a courants océaniques comme le Gulf Stream qui transporte la chaleur de la Caraïbe vers l’Atlantique Nord. Avec le réchauffement actuel, l’Arctique souffre beaucoup parce qu’il change de couleur…

Pouvez-vous préciser ?

Le pôle Nord est au milieu de l’océan gelé qu’on appelle Arctique. Sibérie, Canada, Alaska, Groenland, il est entouré de terres qui étaient en général gelées, ce que l’on appelle le pergélisol. Aujourd’hui, la banquise régresse en surface. Apparaissent donc des zones océaniques foncées qui captent la chaleur. Sur terre, c’est pareil. La neige arrive plus tard, fond plus tôt, donc ça libère des zones terrestres, du pergélisol “foncé” qui capte aussi le rayonnement solaire. Tout cela accélère le réchauffement, l’Arctique s’étant réchauffé de 4 °C en 70 ans par endroits.

Pour résumer, nous avons ouvert la porte du frigo et cette perte de froid a de lourdes conséquences pour le vivant et toute l’humanité. Lorsque le pergélisol fond, cela libère d’immenses étendues marécageuses qui produisent du méthane et du gaz carbonique. Tout cela nous impacte directement puisque non seulement la capacité de l’Arctique à refroidir le climat diminue mais qu’en plus, il devient lui-même un acteur du réchauffement.

Les ONG et les scientifiques constatent également que l’Arctique est "un pôle de convergence des pollutions de nos sociétés". Pourquoi ?

Quand vous naviguez vers le Groenland, comme cela m’arrive encore, vous voyez des eaux d’une grande pureté mais leur analyse montre effectivement qu’elles sont contaminées par des organochlorés, des pesticides, des métaux lourds comme le mercure qui y sont apportés pour l’essentiel par les immenses fleuves russes qui traversent ce pays continent. Ces polluants se fixent sur la matière grasse, or dans les pays froids, par définition, les hommes et les animaux sont “gras” pour résister aux températures basses. Sur la côte ouest du Groenland, les mères ne peuvent plus allaiter leur bébé et ont dû réduire leur consommation de produits traditionnels comme le phoque et le saumon à cause de cette pollution microscopique. Les palynologues qui étudient les pollens constatent, eux, qu’avec la circulation atmosphérique, on retrouve de la végétation africaine au Canada.

Serait-il encore possible de “sanctuariser” l’Arctique ?

Ce n’est pas possible. Michel Rocard avait essayé de le faire lorsqu’il était ambassadeur de la France pour les pôles. Il a réussi pour l’Antarctique, avec le protocole de Madrid la protégeant de toute exploitation de ses richesses jusqu’en 2048. Mais au nord, les pays du Conseil de l’Arctique, la Russie, le Canada, les États-Unis, le Danemark, l’Islande, la Finlande, la Suède et la Norvège sont chez eux. Que dirions-nous si un Norvégien venait nous dire que la Méditerranée est pourrie - ce qui est une réalité - et nous allons la sanctuariser. La France fait partie des pays invités à la Convention de l’Arctique. Mais sans pouvoir : ce sont des zones économiques exclusives qui appartiennent à ces pays par le droit international de la mer. Jusqu’à 200 miles nautiques, les fonds marins sont à eux, ainsi que l’exploitation périphérique. Mais ils ne sont pas idiots non plus, et des mesures de plus en plus rigoureuses sont prises. Pour autant, ils restent des pays ayant un appétit économique, et, pour les populations locales, des besoins de développement. Ils nous placent aussi face à nos propres contradictions. Sanctuariser, ce serait aussi refuser aux Inuits, par exemple, le droit de vouloir vivre des richesses de leur territoire avec le confort dont ils nous voient profiter grâce à notre exploitation de la planète.

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?