Moustique tigre : "Il faut s’habituer à vivre avec et le priver d’eau !", les conseils de la la mousticologue Anna-Bella Failloux

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  • Anna-Bella Failloux est entomologiste à l'Institut Pasteur, spécialiste de l'Aedes albopictus, moustique tigre.
    Anna-Bella Failloux est entomologiste à l'Institut Pasteur, spécialiste de l'Aedes albopictus, moustique tigre. Archive Midi Libre - Théo Ruiz
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Propos recueillis par Yannick Povillon

Les premières larves de l’aedes albopictus ont été observées en Occitanie à la faveur des pluies et de la chaleur printanière. La mousticologue Anna-Bella Failloux rappelle les bons usages pour lutter contre un insecte qui a colonisé tout le pays, vingt ans après son arrivée en France.

Peut-on dire qu’en 2024 le moustique tigre a colonisé l’ensemble de la France ?

Des 13 régions françaises, il ne restait, en effet, que la Normandie, et lors de prospections faites en 2023, il a été trouvé en Seine-Maritime donc, oui, on peut dire qu’il est partout en France. Et son aire de jeu va, du fait du changement climatique, aller de plus en plus vers le nord de l’Europe.

Ce n’est qu’une question de temps car une fois que ce moustique est installé, il reste durablement. C’est lié à sa biologie. Les œufs des femelles peuvent supporter des périodes de sécheresse durant des semaines, des mois, voire des années ainsi que les basses températures de l’hiver. Ils attendent les pluies du printemps puis quand le climat qui se réchauffe avec une photopériode qui s’allonge… Dès que toutes les conditions sont réunies, il ressort après une période de pause.

Pourtant, il arrive d’Asie, comment se fait-il qu’il se soit adapté à notre climat ?

C’est une espèce invasive qui s’adapte et qui circule entre les continents au gré d’échanges de marchandises. Il a été introduit par les activités humaines. Il est parti d’Asie et s’est installé aux États-Unis via des pneus rechapés dans des petites quantités d’eau où les œufs donnent des larves puis des moustiques adultes. Il est arrivé ensuite dans le port Gênes en 1990 et a envahi toute l’Italie puis a passé la frontière en France en 2004. Vingt ans après, il est désormais partout.

Existe-t-il des endroits où il se sent moins à l’aise ?

Là où il fait très chaud comme le Sahel ou très froid comme dans le grand Nord, mais cela change au gré du réchauffement climatique comme au Canada où, durant deux mois d’été, on peut avoir du moustique tigre car il fait assez chaud.

Or ce n’est pas qu’un nuisible, il est surtout un vecteur de maladies ?

S’il ne nous embêtait qu’à l’heure de l’apéritif ce ne serait pas gênant mais en effet, il transmet des virus comme la dengue, le chikungunya et le zika qui sont des maladies infectieuses. En piquant des personnes qui arrivent en France et qui sont porteurs de ce virus. Car il n’existe pas de cycle sauvage. Le virus vient toujours de voyageurs. Mais en piquant, durant la période chaude, le virus va se multiplier dans le corps du moustique et en piquant de nouveau, le moustique va transmettre le virus.

Cela devient un cas autochtone et le nombre a augmenté en passant d’un ou deux cas à une quarantaine en 2023. Et on va voir en 2024, avec les JO à Paris, et la concentration de personnes venues de toute la planète, cela pourrait être beaucoup plus. D’autant que dans ces maladies, il y a de très nombreux cas asymptomatiques.

Pourquoi dit-on du moustique tigre que c’est un moustique urbain ?

Car on le trouve dans les villes, loin du littoral en colonisant des récipients d’eau relativement propre à la différence du culex qui lui aime bien les eaux chargées en matières organiques. Des petits gîtes, de toutes petites quantités suffisent. Même dans un bouchon avec de l’eau à l’intérieur suffit. Il faut le priver d’eau, traquer le moindre récipient pour ne pas avoir de moustique tigre. Mais pour que cela fonctionne, il faut que vous le fassiez ainsi que votre voisin. S’il ne le fait pas, cela ne sert à rien. La population entière doit se saisir de ce problème. Si on veut passer un été tranquille, c’est maintenant qu’il faut le priver d’eau, car sans eau il ne peut pas vivre.

Peut-on lutter autrement qu’en le privant d’eau ?

S’il faut passer par des produits chimiques, c’est très compliqué car les “tigres” sont résistants, pour la plupart, aux produits utilisés. Le moustique s’adapte, survit et transmet de génération en génération, la mémoire de cette résistance… Il existe peu de molécules d’insecticides, une seule est utilisée contre les adultes, c’est la deltaméthrine et il faut faire attention à son usage et ne pas augmenter les doses pour éviter la résistance de l’insecte. Cela a des conséquences sur tout ce qui n’est pas ciblé : les oiseaux, les autres insectes… cela génère de la pollution chimique.

Est-il illusoire de considérer que l’on peut l’éradiquer ?

Clairement oui. Les premiers insectes sont apparus sur terre il y a 400 millions d’années, les moustiques sont apparus il y a 240 millions d’années, bien avant les premiers mammifères. Ils prenaient du sang sur les premiers reptiles dont les dinosaures. Ils ont existé bien avant l’Homme et existeront probablement bien après.

En France on s’en plaint surtout pour les nuisances durant l’été ?

On compte en France 77 espèces de moustiques, contre 300 en Guyane. Alors que dans des pays moins riches que la France, les maladies transmises par les moustiques tuent : le paludisme, c’est 500 000 morts sur la planète, la dengue 50 000… En France, on peut être malade, mais il n’y a quasiment aucune victime.

Et les techniques naturelles ?

Cela peut marcher ponctuellement.

Mais pourquoi une femelle va vous piquer ?

Du fait des bactéries que vous avez sur la peau et qui dépendent dans quel état vous êtes. Selon que vous ayez mangé épicé, que vous ayez transpiré, selon votre génétique… Et même parfois vous devenez insensibles car vous développez une résistance. C’est très complexe et je le redis, il faut s’habituer à vivre avec et le priver d’eau !

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