Géraldine Levasseur, réalisatrice du documentaire "Crime de femme : l'affaire Edith Scaravetti" : "Elle a accepté de le faire pour dire une vérité à ses enfants"

  • Géraldine Levasseur, réalisatrice, productrice et fondatrice de Giraf Prod. Géraldine Levasseur, réalisatrice, productrice et fondatrice de Giraf Prod.
    Géraldine Levasseur, réalisatrice, productrice et fondatrice de Giraf Prod. Courtesy of Lauren Coupey
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Relaxnews

(Relaxnews) - En 2014, Edith Scaravetti est mise en détention préventive après avoir avoué le meurtre accidentel de son conjoint, Laurent Baca. Trois ans plus tard, elle ressort libre à la suite de son premier procès. Alors qu'elle n'avait jamais voulu parler aux médias, elle accorde une interview exclusive aux équipes de Giraf Prod, menées par Géraldine Levasseur, ainsi qu'à la journaliste Nathalie Gillot, lors de son second procès en mai 2019, avant sa condamnation. Une rencontre inédite et bouleversante dont Géraldine Levasseur nous a livré les secrets.

Pourquoi avoir choisi cette affaire ?

Je voulais à tout prix remettre Giraf dans son ADN. J'ai fondé Giraf Prod en 2012, ensuite je suis retournée chez M6 prendre la rédaction en chef de "Zone Interdite" pendant trois ans, puis je suis revenue, puis j'ai été prendre les directions des magazines de France 2. C'était compliqué pour moi d'arriver à mettre Giraf dans une ligne éditoriale que je pensais depuis le début très féminine, très engagée, pleine de sens, avec des documentaires utiles. J'ai passé 15 ans à Marie Claire, donc ça ne s'invente pas. J'ai une fibre, pas féministe, mais très féminine.

C'est Nathalie Gillot, l'ancienne rédactrice en chef faits divers de VSD, qui nous a amené cette histoire. Je la connais depuis vingt ans. Quand RMC Story m'a dit "tu as carte blanche", évidemment ça m'a plu. [...]

L'affaire Scaravetti nous plaît à plus d'un titre. Elle est féminine, en même temps c'est une femme qui ne tue pas par jalousie, appât du gain, truanderie [...]. Elle tue son mari parce qu'elle est victime de violences conjugales et qu'elle est sous son emprise et comme toutes les femmes qui sont dans cette situation, pour qu'il y ait un bourreau, il faut une victime, donc elle a un côté très sacrificiel, en même temps elle veut protéger ses enfants.

Le fait qu'on ait réussi à avoir son interview, cela donne au documentaire quelque chose d'étrange et en même temps une force juste dingue. Je pense qu'elle ne peut pas tout dire parce qu'il y a ses enfants aussi qu'elle aime plus que tout. C'est une très bonne mère de famille. Ses enfants sont super équilibrés donc depuis le début elle les protège et par ce documentaire-là, c'est encore une manière pour elle de les protéger. Je pense qu'en nous accordant cette interview, c'est aussi une manière pour envoyer des messages à ses enfants.

Ce qui m'a plu, c'est que c'est la première fois que l'on fait du fait divers. [...] Je pense qu'un fait divers doit être objectif. On n'est pas dans la tête de la personne qui a tué et on n'est pas dans la tête de la personne qui a été tuée.

Comment se sont déroulées les interviews de la famille d'Edith Scaravetti et en même temps celle de Laurent Baca ?

Elles se sont déroulées pendant le procès. Il y a eu cinq jours d'audience. [...] On a loué un studio en face du palais de justice pour que à chaque fois que quelqu'un témoignait, il puisse venir ensuite nous faire une interview. C'est comme ça que l'on a eu le papa d'Edith Scaravetti, la soeur Jennifer Baca, le frère, le père... On n'a pas demandé les enfants parce qu'on a vu les bulletins scolaires. Ce sont des enfants qui ont l'air d'aller bien alors qu'ils ont une histoire juste dramatique. On n'a pas voulu insister auprès d'Edith. Elle a supra protégé ses enfants.

C'était très dur pour la famille Baca. Edith Scaravetti comparaissait libre. Ils avaient vu cette femme en liberté pendant 412 jours. Ça a été insupportable d'entendre une vérité sur leur fils, fumeur de joints, alcoolique, pas de boulot, dépendant, violent... Leur fils était quand même la victime à la base. C'est lui qui a été tué, enterré dans le jardin, coulé dans le béton et caché dans le grenier. Avec Edith Scaravetti qui avait fait trois ans et demi de préventive et en première instance qui ressort libre, cela a été d'une violence extrême. [...] C'était important pour eux de témoigner de la trahison absolue.

On était présent en permanence. On suivait tous les débats. On était deux équipes, une qui suivait les débats et une autre qui les attendait au studio. Il n'y avait pas de stress. On a abordé tout ça de façon assez zen. Comme le documentaire, je voulais lui donner quelque chose de "slow" dans le traitement du fait divers. Je ne voulais pas de reconstitutions, je ne voulais pas de musique trash, je voulais une bande-son différente, je voulais qu'on prenne notre temps. Je ne voulais pas un traitement spectaculaire du fait divers. Je voulais essayer une nouvelle écriture, très lente. Et je trouve que la manière dont on a traité les témoins était à cette image-là.

Comment s'est passée la rencontre avec Edith Scaravetti ?

Je n'ai mené que l'interview d'Edith. C'est Nathalie Gillot qui a mené les autres interviews. [...] Quand Nathalie m'a dit qu'il y avait peut-être une possibilité d'aller interviewer Edith Scaravetti, j'ai dit "ok, je viens". Parce que je savais que le temps allait être limité, qu'il allait falloir respecter les silences, qu'il allait falloir plonger ses yeux dans les siens. [...] On a eu effectivement trente minutes. Toutes les questions posées ont été utilisées et en même temps il y avait un grand respect de ses silences, de ses larmes...

Edith Scaravetti a-t-elle été directement ouverte à la discussion ?

Nathalie avait beaucoup travaillé. Elle connaissait bien Maître Boguet son avocat et Maître Catala. Edith n'avait jamais voulu parler aux médias, parce qu'elle voulait protéger ses enfants et nous lui avons promis que ses propos ne seraient pas déformés, qu'ils seraient diffusés quasiment dans leur intégralité. Elle a accepté de le faire pour dire une vérité à ses enfants. Pour dire sa vérité à ses enfants.

On l'a interviewé trois jours avant la reprise des débats, à Toulouse. Je pense qu'elle savait qu'elle allait retourner en prison. Elle était fataliste, résignée, triste et les seuls moments où elle s'éclairait c'est quand elle parlait de son grand-père, de ses enfants et de Laurent Baca quand ils se sont rencontrés.

Quels liens faites-vous entre Edith Scaravetti et Jacqueline Sauvage ?

Je ne la compare pas du tout à Jacqueline Sauvage parce que je pense que les faits sont très différents. En revanche, le rendu de la décision de Jacqueline Sauvage s'est fait quasiment en même temps que celui d'Edith Scaravetti. L'opinion publique était à fond Jacqueline Sauvage. François Hollande la gracie. Elle n'est pas innocentée mais elle est graciée. Il y avait quelque chose de l'ordre du champ sociétal qui était très fort, d'une prise de conscience des femmes victimes de violences conjugales. Jacqueline Sauvage avait ému avec ses deux filles toute l'opinion publique. L'affaire Scaravetti tombe au même moment. [...] Les jurés sont tourneboulés par l'affaire de Jacqueline Sauvage. Les douze jurés tirés au sort représentent l'ensemble de la société française.

Quels sont vos prochains projets ?

On a donc réussi à mettre Giraf dans cette ligne féminine, utile, engagée. On diffuse dimanche soir dans "Zone Interdite" "La brigade des mineurs". C'est souvent des sujets féminins, des mères isolées, c'est les générations futures, c'est souvent des filles qui ont des problèmes avec les garçons sur les réseaux sociaux. [...] C'est encore une fois, pour nous en tout cas, être du côté des femmes, qui nous semblent plus vulnérables.

On diffuse également sur Teva, le 18 octobre, le premier documentaire de Marie-Ange Casta sur ces femmes qui font un bébé à deux et puis qui, en cours de grossesse, se font quitter ou le mec a peur et s'en va. Comment on conçoit un bébé à deux et comment on se retrouve toute seule à la dernière échographie. Marie-Ange nous livre un documentaire plutôt bouleversant.

Prochainement sur France 2, on prend la suite des violences conjugales. [...] On s'est dit qu'en fait toutes les femmes ont des enfants. Qu'est-ce que deviennent les enfants ? Quand ils voient leur père tabasser leur mère, leur père menacer leur mère... L'une des marques de fabrique de Giraf, un peu comme quand on a eu l'interview d'Edith Scaravetti, c'est de toujours essayer d'aller chercher l'interview un peu exclusive, pour faire la différence. On a été cherché la fille d'Alexandra Lange. [...] C'est une femme qui avait tué son mari [battue par son mari ndlr] et à la fin de son histoire, le procureur qui s'appelle Luc Frémiot, qui a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes son credo, avait présenté au nom de la société française ses excuses à cette femme. Elle a une fille qui s'appelle Sephora qu'on a rencontré à trois mois de sa majorité. Quand Sephora est devenue majeure, elle nous a accordé son autorisation de diffusion, donc on a tourné une interview absolument bouleversante du côté des enfants. C'est la première fois qu'un documentaire va s'intéresser à ces enfants.

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