Le Daudet à Paris, des lettres de noblesse
Propriétaires depuis, bientôt, quatre décenniesde cet établissement, situé dans un quartier vivantdu 14e arrondissement, Chantal et Philippe Boitel sont restés très fidèles au Nord-Aveyron, dont est originaire celle qui cuisine.
Ma grand-mère faisait le chou farci sans viande. Du coup, je le fais aussi comme ça !". Chantal Boitel fait plus qu’aimer les traditions, elle les respecte. La transmission de mère en fille continue de couler dans les veines de cette jeune sexagénaire, née Ramadier, justement dans le lit de sa grand-mère (déjà un signe !) maternelle entre Mur-de-Barrez et Lacroix-Barrez, très précisément à Campounac, un hameau de cinq maisons. D’où est originaire a maman, tandis que son papa est du Cantal voisin. Elle y a passé les trois premières années de sa vie, en nourrice chez mamie, car ses parents œuvraient à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Après la gérance d’un tabac, ils se sont installés en face de la gare aulnaysienne à la fin des années 50 ; affaire qu’ils ont vendue en 1982. C’est là que Chantal a grandi, mettant la main à la pâte dès qu’elle a été en âge de le faire. En cuisine ou au service. Un peu moins toutefois quand elle a connu Philippe Boitel, chauffagiste la semaine et joueur de rugby le dimanche, qui allait devenir son mari. Par amour, celui-ci a pris un virage professionnel et le couple a pris une gérance à Romainville. Avec madame derrière les fourneaux et monsieur derrière le bar. Un deuxième changement radical pour lui car il était plutôt habitué à fréquenter l’autre côté, à l’heure de la troisième mi-temps ovale. L’histoire a duré sept ans mais l’arrivée de deux garçons les a encouragés, en 1990, à effectuer des remplacements à Paris. La troisième expérience, au Griffonnier, rue des Saussaies (8e arrondissement), leur a permis de découvrir, en particulier, la formule du bar à vins. "On a appris car on ne connaissait pas bien et on y a pris goût", servent-ils en chœur. Et, alors qu’ils étaient à pied d’œuvre au Tolbiac (13e arrondissement) pour cinq semaines, il leur a été proposé d’acheter Le Daudet, dans l’arrondissement voisin. "On a été voir une fois, par curiosité, puis plus souvent, à des heures différentes de la journée. On trouvait que c’était vivant", se souviennent-ils.
"Toute la cuisine est maison"
Cette aventure dure depuis le 27 juillet 1991. Ils n’ont touché à rien : "On ne change pas un nom comme ça. De toute façon, il y a une âme". Et surtout une immense fresque qui représente divers personnages des œuvres d’Alphonse Daudet. Beaucoup de clients ont d’ailleurs fait plus ample connaissance avec l’écrivain gardois grâce à ce mur riche d’histoires. Mais, les clients (64 peuvent être accueillis à l’intérieur, sans oublier la terrasse l’été) viennent surtout pour la cuisine de Chantal Boitel. "La clientèle est très familiale, originaire en grande majorité du quartier. C’est comme un village de Provence, mais sans l’accent !", s’amuse la maîtresse du piano. Philippe son mari, jamais très loin, confirme d’un mouvement de tête, l’œil malicieux. Au Daudet, tout est fait maison. L’aligot, la truffade ou la pâtisserie. La charcuterie vient de chez Conquet à Laguiole. Chez les Boitel, on aime le sud mais on ne perd pas le nord ! Même si les genoux grincent parfois un peu, même si la retraite serait visiblement bien méritée, la chef aveyronnaise ne changerait de vie "pour rien au monde" : "Je suis née dedans. J’aime le contact et, même si je suis en cuisine, elle est ouverte sur la salle. Je n’ai rien à cacher". Le rideau finira bien par être descendu et le passage de témoin entre mère et fille qui durait depuis trois générations va s’arrêter. De fait. "J’aurais bien aimé qu’un des deux garçons reprennent mais je n’ai pas mon mot à dire, conclut Chantal Boitel. Ils aiment cuisiner, mes deux belles-filles, dont une est Argentine, également. Ils ont fait d’autres choix". Une chose est sûre, le jour où, après quatre décennies, les propriétaires actuels passeront le relais, ce n’est pas une page mais un tome complet qui se tournera au Daudet.
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