Belcastel rend hommage à Fernand Pouillon

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  • Le photographe plasticien, Stéphane Couturier devant son œuvre gigantesque, la tour totem de la Cité du bonheur à Alger, construite par Pouillon, en 1954.                     Le photographe plasticien, Stéphane Couturier devant son œuvre gigantesque, la tour totem de la Cité du bonheur à Alger, construite par Pouillon, en 1954.
    Le photographe plasticien, Stéphane Couturier devant son œuvre gigantesque, la tour totem de la Cité du bonheur à Alger, construite par Pouillon, en 1954. J.B.
Publié le , mis à jour
Joël Born

L’association L’Héritage de Fernand Pouillon (re) met en lumière l’œuvre de l’architecte enterré à Belcastel, après avoir redonné vie au château.

C’est un peu comme si le village de Belcastel s’était soudainement transporté de l’autre côté de la Méditerranée. Depuis quelques jours, une immense photographie de 24 mètres de hauteur sur 8 mètres de large, représentant la tour totem de la Cité du bonheur, Diar-es-Saada à Alger, habille l’une des façades du château. Cette tour, construite en 1954, est l’œuvre de l’architecte Fernand Pouillon, en collaboration avec le sculpteur Jean Amado. L’une des innombrables réalisations algéroises de l’architecte à qui l’on doit la restauration du château de Belcastel, cette terre d’adoption où il repose depuis sa disparition en 1986. "On s’y croirait presque", me dit en souriant Stéphane Couturier, l’auteur de ce magnifique cliché, choisi parmi des dizaines d’autres, pour rendre hommage au génie créateur de l’architecte humaniste, grand amateur d’art, qui a fini sa vie trépidante sur les bords de l’Aveyron. L’effet est, il est vrai, saisissant et particulièrement réussi.

De Marseille à Alger

Photographe plasticien, spécialisé dans la photographie d’architecture, prix Niépce en 2003, Stéphane Couturier a exposé dans de nombreux pays. Invité dans le cadre de Marseille 2013, capitale européenne de la culture, il a voulu jeter un pont culturel entre la cité phocéenne et Alger la Blanche, à travers l’œuvre architecturale de Fernand Pouillon, à qui l’on doit notamment la reconstruction du Vieux port. "C’est comme cela que je suis allé à Alger, pour photographier les cités construites par Pouillon, dans les années 50, explique l’artiste. Cette tour est pour moi un emblème de la modernité de Pouillon. Il a réalisé plus de 300 projets en Algérie. La cité de Diar-es-Saada et sa voisine de Diar-el-Mahçoul (la cité de la Promesse tenue) ont été construites en 365 jours."

Dans les années cinquante sous la municipalité de Jacques Chevallier (son fils Jean-Luc était présent, ce jeudi, à Belcastel), Fernand Pouillon a ainsi construit des milliers de logements dans la capitale de l’Algérie, dont les 5 000 logements de la cité Climat de France, devenue aujourd’hui surpeuplée, délabrée, insalubre. En cette période tourmentée, en pleine guerre d’Algérie, "Pouillon se servait du logement comme un instrument de pacification sociale, il construisait des quartiers de vie."

Une vie dont on saisit les moindres détails, à travers les photos de Stéphane Couturier, qui a découvert le village de Belcastel et la dernière demeure de Pouillon avec bonheur.

Fernand Pouillon, un architecte de premier plan et beaucoup plus que ça. Amateur d’art, éditeur, romancier (dans Les Pierres sauvages, écrit en prison, et couronné du prix des Deux magots, il dresse son autoportrait en moine bâtisseur). Un homme de convictions aussi et surtout. Des convictions qui lui valurent bien des inimitiés. Pendant que la plupart des architectes de son époque utilisaient le béton, lui préférait des matériaux nobles : la pierre, l’acier, le verre, la céramique. Pouillon construit vite, beau et pas cher. Qui plus est pour des gens pauvres. Ce qui ne plaît pas à tout le monde. Certains le lui feront bien payer… "A un moment, Fernand Pouillon était l’homme à abattre", résume Stéphane Couturier, qui ne cache pas sa fascination pour "ce personnage très romanesque, sulfureux, dont la vie était un véritable roman." Une vie mouvementée, faite de moments très difficiles, marquée par la radiation de l’ordre des architectes, des condamnations, la prison, l’exil. Puis, enfin, la réhabilitation. Longtemps (et volontairement ?) oubliée, l’œuvre de Pouillon est aujourd’hui reconnue à sa juste valeur. "Toute une nouvelle génération le redécouvre", confirme Stéphane Couturier.

Ingénieur chercheur, passionnée d’histoire, Marie-Claire Rubinstein est, elle aussi, tombée sous le charme. Elle a tourné deux films documentaires, qu’elle est venue présenter jeudi soir à Belcastel, sur l’habitat social de Pouillon : ses constructions en Provence de 1947 à 1953, et ses constructions algériennes de 1953 à 1957.

Servir Pouillon

"La première question que nous nous sommes posée a été la question de la légitimité", explique Roger Fabry, le président de l’association L’Héritage de Fernand Pouillon, à l’origine de cette année d’hommage à l’architecte. Cette légitimité a été apportée par le petit-fils de Pouillon, Jonathan Krugel, président d’honneur de l’association. "Puis, nous nous sommes interrogés : est-ce que nous servons Pouillon ou est-ce que nous nous servons de Pouillon, poursuit Roger Fabry. Servir Pouillon, c’est ne rien occulter, ne rien privilégier, mais c’est surtout ne pas parler à sa place. C’est pourquoi nous avons choisi de le faire parler à travers différents témoignages, documents, interviews de l’époque."

Jeudi, à l’heure des discours inauguraux, en présence de nombreux invités, les divers intervenants n’ont pas manqué de saluer l’humanisme de Pouillon et son extraordinaire âme de bâtisseur qui plane, depuis près de 35 ans, au-dessus du village et des tours du château de Belcastel.

A voir

Les expositions de Stéphane Couturier et sur Fernand Pouillon sont visibles au château de Belcastel, tout au long de la saison, jusqu’au 8 novembre inclus. La propriétaire du château et galeriste américaine Heidi Leigh présente également de nombreuses œuvres d’artistes, dont des sculptures de Denis Augé et Pierre Matter. Le château est ouvert tous les jours. Renseignements au 05 65 64 42 16
 

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