La concentration des médias n'est "pas une fatalité", selon l'économiste Julia Cagé

  • L'économiste Julia Cagé vient de publier "L'Information est un bien public", aux éditions du Seuil.
    L'économiste Julia Cagé vient de publier "L'Information est un bien public", aux éditions du Seuil. BERTRAND GUAY / AFP
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Relaxnews

(AFP) - Bolloré, Niel, Drahi... La concentration des médias dans les mains d'une poignée d'hommes d'affaires n'est "pas une fatalité", plaide l'économiste Julia Cagé*, qui appelle à une "loi de démocratisation de l'information" pour garantir leur indépendance dans son nouveau livre, publié jeudi.

QUESTION: Co-écrit avec le juriste Benoît Huet, votre ouvrage "L'Information est un bien public" (Seuil) donne des clés pour refonder la "propriété des médias". Pourquoi y a-t-il "urgence" selon vous ?

REPONSE: On a constaté ces derniers temps une accélération de la concentration du paysage médiatique et des atteintes portées à la qualité de l'information et à l'indépendance des journalistes.

Il y a eu Reworld Media, propriétaire de Science et Vie, qui a remplacé les journalistes du site internet du magazine par des chargés de contenus, l'annonce en décembre de l'entrée de Vincent Bolloré (qui contrôle Vivendi) en négociations exclusives pour racheter Prisma (Géo, Télé-Loisirs, Gala...) au moment même où il y avait un double licenciement à Canal+ (Sébastien Thoen et Stéphane Guy). On nous présente comme une espèce de fatalité le dépeçage de l'empire Lagardère (Le JDD, Paris Match, Europe 1) entre Vincent Bolloré d'une part et le patron de LVMH Bernard Arnault de l'autre.

Les gens prennent pour une fatalité le fait qu'il y ait huit ou neuf grands industriels qui possèdent le paysage médiatique. Mais nous disons que "l'information est un bien public". A partir de ce point de départ, on essaye de définir des règles pour armer les citoyens, les journalistes, souvent victimes des changements qui s'imposent à eux, et le législateur.

Q: Vous proposez une "loi de démocratisation de l'information" qui serait une première "depuis 1944". Que permettrait-elle?

R: En premier lieu, une gouvernance démocratique des médias, avec un conseil d'administration ou de surveillance dont au moins la moitié de représentants des salariés parmi lesquels au moins deux tiers de journalistes. La nomination du directeur de la rédaction doit être validée à la majorité de 60% des journalistes.

Il faut également généraliser à tous les médias un droit d'agrément (un droit de regard des salariés, mis en place au Monde en 2019) pour empêcher qu'ils changent d'actionnaire majoritaire sans que les journalistes n'aient leur mot à dire.

Pour garantir une information de qualité, le média devrait consacrer au moins 35% de son chiffre d'affaires aux charges de personnel avec au moins une moitié de journalistes professionnels.

Nous suggérons de remplacer les aides à la presse, système inutilement complexe et relativement inefficace, par un "Bon pour l'indépendance des médias", de 10 euros par an par adulte, à allouer au média de son choix.

Nous proposons aussi un "fonds de pérennité des médias" pour résoudre les problèmes du fonds de dotation -- un organe à but non lucratif auquel est transféré le capital d'un journal, auquel ont eu recours Médiapart et Libération et bientôt Le Monde, ndlr --, qui est vendu comme le modèle idéal, mais est insuffisant.

Q: Pourquoi les citoyens devraient se sentir concernés?

R: C'est ce qui fait qu'ils seront bien informés plutôt que de courir le risque que telle chaîne de télé fasse campagne pour tel candidat. Prenons l'exemple de la 5G, une question potentiellement complexe. Aujourd'hui, en France, vous avez un lien entre les principaux médias et les opérateurs de téléphonie mobile : Patrick Drahi (SFR) a gardé le contrôle de facto de Libération (malgré le fonds de dotation), possède BFMTV, RMC, Xavier Niel (Free) Le Monde, Martin Bouygues, TF1, LCI... Cela crée du doute. Cela ne veut pas dire que les journalistes de ces médias font du mauvais boulot, mais je préfère mettre en place des barrières pour être sûre d'avoir une information indépendante et de qualité.

*Julia Cagé est membre du Conseil d'administration de l'AFP.

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