Millau : Gilles Bertrand, le regard du photographe

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  • Comme en 2019, Gilles Bertrand va exposer, pendant tout l’été dans les jardins de la mairie de Millau.Photo archives ML
    Comme en 2019, Gilles Bertrand va exposer, pendant tout l’été dans les jardins de la mairie de Millau.Photo archives ML Midi Libre - EVA TISSOT
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RICHAUD Guilhem

Pendant tout l’été, Gilles Bertrand va exposer ses photos dans le jardin de la mairie de Millau. Celui qui a créé et gère toujours le festival de trail des Templiers, est aussi un photographe de talent. Pendant des années, il a parcouru le monde entier pour en tirer des centaines de reportages, des livres et quelques expositions. Désormais, il se consacre quasiment exclusivement à l’Aveyron.

Il a parcouru le monde, a traversé plusieurs fois l’Afrique, a une très bonne connaissance des États-Unis, a fait de nombreux voyages en Chine, découvert la Jamaïque… Gilles Bertrand est connu en Aveyron pour être le fondateur, avec sa compagne Odile Baudrier, sa complice de toujours, des Templiers. Mais le Millavois a une facette beaucoup moins connue. Pendant plus de 40 ans, il a parcouru le monde pour le raconter en images.

C’est à 11 ans, qu’il reçoit son premier appareil photo. Un Starlux, argentique, de chez Kodak. Mais celui-ci est rapidement remisé au placard. "Je suis issu d’une famille modeste, raconte-t-il. Il n’y avait pas vraiment d’argent pour payer les pellicules et les tirages. J’ai dû faire une pellicule et l’appareil est ensuite resté dans un coffret." Mais très vite, le virus de la photographie le rattrape. "Je passais beaucoup de temps chez ma grand-mère. Elle était femme de ménage chez un médecin et elle ramenait les vieux Paris Match. Les images me marquaient et j’ai compris que c’était ça que j’avais envie de faire." Alors en parallèle de ses études de géographie, à Tours, il travaille à l’usine. Et arrive à se payer un petit 24x36 à ses 19 ans. "C’est avec lui que j’ai fait mes premières photos. Elles étaient médiocres. Je n’étais pas bon parce que je n’avais pas de culture, pas le regard. Techniquement je n’étais pas doué du tout. J’étais complètement autodidacte. J’étais un mauvais photographe, mais il s’est trouvé que c’était quand même ça que je voulais faire." Passionné par l’athlétisme, il part alors faire ses premiers reportages à l’étranger et apprend sur le tas. Il traverse l’Afrique en stop et vend ses premiers reportages, en Éthiopie, en Tanzanie et au Zaïre à des médias spécialisés. Puis, en 1989, toujours avec Odile Baudrier, ils lancent VO2 un magazine d’athlétisme. Il deviendra l’écrin idéal au développement de sa passion pour la photographie. Dès le deuxième numéro le couple part en Afrique du Sud.

En plein Apartheid, ils souhaitent rencontrer les coureurs qui vivent au sein du township de Soweto.

Autodidacte

Petit à petit, au fil des reportages, Gilles Bertrand apprend la technique, notamment en allant voir des expositions à Arles, le temple de la photographie. "En allant là-bas, j’essaie de comprendre comment travaillent les autres photographes, se souvient-il. C’est Arles qui m’a beaucoup aidé à avoir ce côté artistique que je n’avais pas du tout. À avoir un autre regard, à tenter de mettre en scène. Moi, j’étais dans le sport, j’étais devenu bon sur de la technique classique quand il fallait faire une photo de la finale du 100 m. Mais à un moment donné, j’ai ressenti le besoin de mettre du cadre, de faire comprendre là où on était. Le sportif est important, mais pas essentiel, car il y a un cadre derrière. Quand je vais au Kenya pour mon premier livre, je mets en scène. Je veux montrer là où est né le coureur, son école, quel est le stade où il s’entraîne… Quand je fais une photo, je veux raconter une histoire, mais aussi la sociologie du pays, le contexte sociopolitique… C’est comme ça que je conçois la photo." Pour s’aider, il prend le virage du noir et blanc, qui l’oblige à travailler encore plus la technique, à une époque, avec l’argentique, où chaque déclenchement a un coût. À chacun de ses clichés, Gilles Bertrand tente de saisir la part d’humanité qu’il a en face de lui. Il y a dans son travail un peu de Raymond Depardon. Ce n’est pas une coïncidence si le photographe est l’une de ses sources d’inspiration. Il l’a d’ailleurs rencontré, de façon complètement improbable, à l’été 1996, lors de la fête de village de Sainte-Eulalie-de-Cernon. "Il était dans un jardin, se souvient-il avec le sourire. Il venait de réaliser, pour Libération, un reportage à New York. Pendant un mois, tous les jours il se baladait dans les rues et faisait un cliché qu’il publiait avec une petite légende. J’avais trouvé ce travail admirable. Je l’ai trouvé inspirant car il était tellement simple et humble. Je me suis dit que si lui était capable de faire ce qu’il a fait, je pouvais ouvrir les mêmes portes que lui, mais à une condition, oser, ne pas avoir peur ni être entravé dans ma création."

Comme Depardon (en 1968 et 1972), Gilles Bertrand, en parallèle de ses grands reportages à travers le monde, couvre les Jeux olympiques.

De Barcelone en 1992 à Londres en 2012, il arpente les bords des pistes pour capter les plus grands moments de l’athlétisme. Et notamment le rendez-vous incontournable de la finale du 100 m.

Lassé par le monde du sport

Mais au soir du dernier jour de compétition dans la capitale anglaise, il se dit qu’il est temps de passer à autre chose. "On était dans le métro en rentrant du stade. J’ai dit à Odile : "Ce sont mes derniers, je n’en peux plus. C’est fini pour moi."" Lassé d’être le témoin d’un monde qu’il ne cautionne pas, au milieu du dopage, de l’argent et du racisme, il veut tourner la page. Quelques mois plus tard, le couple vend VO2. Il continue de s’occuper des Templiers, Odile Baudrier lance Spé15, un site internet d’investigation spécialisé dans la lutte antidopage dans l’athlétisme et Gilles Bertrand continue de parcourir la France, pour faire des photos. "Cela m’a permis de me recentrer en tant que photographe sur le monde qui m’entoure. J’avais envie de travailler sur la vie du quotidien. De prendre le temps de rencontrer des gens sur le trottoir pour qu’ils me racontent leur histoire. J’essaie d’arriver quand quelque chose ouvre et de repartir quand tout est fermé." C’est comme ça qu’il se retrouve à faire des reportages un peu partout en France, puis depuis deux ans, quasi exclusivement en Aveyron, près de chez lui. Après une première exposition en 2019, il va de nouveau, tout au long de l’été, offrir ses clichés à voir dans les jardins de la mairie de Millau. En plus de 40 ans de photographies, le Millavois n’aura finalement que peu exposé. "Je ne sais pas me vendre. C’est un tort, mais je n’ai jamais fait la démarche pour me faire connaître." À 65 ans, il a encore de beaux reportages à faire : il rêve de couvrir une campagne présidentielle dans le staff d’un candidat et l’envisage pour 2022. Il voudrait aussi retourner au Congo pour faire un reportage sur la boxe. En 1974, le pays, alors appelé Zaïre, avait accueilli le célèbre combat entre Ali et Forman. Gilles Bertrand veut capturer l’héritage de ce qui est encore considéré comme le "combat du siècle". Le tout en continuant d’être le témoin privilégié du quotidien aveyronnais. De beaux projets pour autant d’expositions potentielles à venir.

Avec sa compagne Odile Baudrier, Gilles Bertrand, est un des pionniers de l’organisation du trail en France. Ils ont créé, en 1995, les Templiers. En parallèle ils ont lancé, en 1989, VO2, un magazine dédié à l’athlétisme, revendu en 2014. Journaliste photographe,

il a publié huit livres de photos, toujours avec le prisme du sport, mais qui font la part belle à l’humain et aux paysages. Depuis 2020, il publie ses reportages en Aveyron sur le site www.liveaveyron.com

Son oeuvre en quelques photos

Sa première photo dont il se souvient : "C’est une photo de cyclo-cross. Je venais d’acheter mon premier appareil 24x36. J’avais 19 ans. Mon père était bénévole dans un club de cyclisme et il s’occupait de faire payer l’entrée. C’était le cyclo-cross de Moulins-sur-Yèvre (Cher), où j’habitais. Il se tenait dans le parc d’un château avec une tour médiévale. Je faisais des photos en noir et blanc. J’ai pris un coureur qui s’appelait Villepelet. Il gagnait beaucoup de courses à l’époque. Alors que je n’étais pas bon à l’époque, cette photo était techniquement parfaite."

La photo d’un autre qui l’a le plus marqué : "Celle de Tommie Smith sur le podium du 200 m à Mexico (aux JO 1968, le poing levé pour dénoncer le racisme envers les noirs aux États-Unis). Elle représente ce que j’attends du sport. Des gens qui s’engagent, qui ne sont pas seulement des sportifs, mais aussi des citoyens qui défendent des droits et aspirent à faire changer la société."

Son premier grand reportage : "C’était en Éthiopie pendant la dictature de Mengistu. Je voulais rencontrer des coureurs. C’est un voyage improbable, très dangereux."

L’exposition qui l’a le plus marqué : "Il y en a plein. Mais s’il faut en choisir une, je pense à celle de deux journalistes Français, Niels Ackermann et Sébastien Gobert qui ont travaillé sur la mémoire de Lénine en Ukraine. Le pays recensait des milliers de statues de lui et une grande majorité ont été détruites. Ils ont essayé de retrouver ce qu’il en restait dans des lieux absolument improbables. Ils en ont fait une exposition, Looking for Lenin, aux Rencontres de la photographie d’Arles en 2017. C’était un travail remarquable."

Le photographe qui l’a le plus marqué : "Raymond Depardon, indiscutablement. Même si j’ai moins aimé son travail sur les lignes de fuite qui ne me parle pas du tout. Mais dès lors qu’il y a de l’humain, c’est Depardon."

La dernière photo qu’il a faite : " C’était avant-hier : un portrait de Paule Haminat, qui organise le salon Polar et vin de Millau. Je me suis dit qu’on pourrait aller faire une image dans la plus petite ruelle de Millau, qui fait 70 cm de large. Je l’ai prise là, en train de lire un polar, puis dans d’autres lieux un peu abîmés, pour donner une ambiance."

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