Conques-en-Rouergue. Les rêves américains des villageois de Grand-Vabre

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  • Marie Bier, aux côtés de Solange et Pierre Madrières dans le nouvel Espace Amériques.
    Marie Bier, aux côtés de Solange et Pierre Madrières dans le nouvel Espace Amériques. Joel Born
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Joel Born

De la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle, comme de nombreux Aveyronnais, des villageois de Grand-Vabre ont embarqué pour les Amériques, en quête d’un monde meilleur. L’association Culture et Patrimoine vient d’inaugurer un Espace Amériques, afin de conserver la mémoire de ces migrants, dont certains descendants viennent parfois dans le village, sur les traces de leurs ancêtres aveyronnais.

Ils rêvaient d’un monde meilleur. D’une nouvelle vie. De la fin du XIXe siècle, au début du XXe siècle, des centaines d’Aveyronnais (il est difficile de quantifier avec précision cette migration) ont tout quitté et embarqué pour une longue traversée de l’Océan Atlantique, en direction des Amériques. Vers les États-Unis, l’Argentine, mais aussi, le Canada pour certains d’entre eux. Comme eux, plusieurs dizaines de villageois de Grand-Vabre ont tenté l’aventure, loin, très loin des rives du Dourdou, où l’on croise régulièrement certains de leurs descendants qui viennent fouler la terre de leurs ancêtres. "Presque toutes les maisonnées de Grand-Vabre ont été concernées par cette migration", souligne Marie Bier, la présidente de l’association Culture et Patrimoine, qui vient d’inaugurer un Espace Amériques, afin de conserver et d’honorer la mémoire de tous ces Grand-Vabrois qui ont fait le grand saut vers l’inconnu.

Des familles entières

"Nous avons démarré sans trop savoir où on allait, explique le secrétaire de l’association Pierre Madrières, cheville ouvrière de cette action sur le patrimoine immatériel du village. En 2001, il y avait eu une exposition sur ces Grand-Vabrois d’ailleurs. Nous avions un fonds, mais les documents n’étaient pas de bonne qualité." L’important travail de collectage a débuté en 2019 et l’association a établi des contacts avec plusieurs familles concernées par ces départs ainsi que des descendants de Grand-Vabrois ayant migré en Amérique. Pierre Madrières a consulté les registres d’état civil ainsi que le précieux site de la fondation Ellis Island, qui a regroupé tous les documents des bateaux d’immigrés. De 1892 à 1954, tous les migrants vers les États-Unis, sont passés par cette île, située à l’embouchure de l’Hudson à New York, où était établi le bureau d’immigration. Un demi-siècle, durant lequel 12 millions de demandes y auraient été enregistrées… Pour les recherches concernant l’Argentine, la tâche fut un peu plus compliquée.

Au final, l’association a recensé plus de 70 personnes, natives de Grand-Vabre, ayant migré aux USA (73 %), en Argentine (23 %) et au Canada (4 %) entre 1884 et 1950. L’essentiel de ces départs (56) a eu lieu de 1884 à 1913. Près de 80 % de ces migrants, issus de tous les hameaux de la commune, avaient moins de 30 ans. La plupart étaient des hommes (65 %), majoritairement des paysans (35 %) mais aussi des mineurs et des ouvriers (13 %) travaillant ou ayant travaillé dans le bassin industriel voisin de Decazeville, ainsi que des employés de maison (10 %). Plus d’un quart de ces migrants n’avaient pas de travail, au moment du départ.

Ainsi que cela fut rapporté dans des lettres, le voyage fut, pour certains, particulièrement éprouvant et dura plus de trois mois, dans des conditions difficiles. Des familles entières se sont ainsi retrouvées de l’autre côté du globe. Ce fut notamment le cas de la famille Goudy, l’exemple le plus marquant, Julien Goudy entraînant avec lui ses six frères et sœurs, avec pour certains, leurs conjoints et leurs enfants. À San Francisco, où s’était concentrée une bonne partie de la diaspora aveyronnaise, plusieurs de ces Grand-Vabrois ont ouvert des blanchisseries. D’autres ont réussi dans l’hôtellerie. Quelques-uns ont transposé leurs racines paysannes aux USA en reprenant des fermes. Au bout du compte, seulement 17 % de ces migrants sont revenus au pays, en terre grand-vabroise. Les autres ont fait souche dans leurs nouveaux pays d’adoption.

Des échanges permanents

Aménagé dans les locaux de la mairie de Grand-Vabre, l’Espace Amériques permet donc d’en apprendre un peu plus sur ces courageux migrants. Le soir de l’inauguration, le public a découvert un petit documentaire de 35 minutes, particulièrement bien fait, dans lequel Pierre Madrières retrace l’épopée de ces villageois qui ont quitté leur campagne aveyronnaise pour aller s’installer à l’autre bout du monde, à la recherche d’une vie meilleure. "Nombreux d’entre nous ont baigné dans ces histoires du Nouveau Monde", a rappelé Marie Bier, la présidente de l’association, qui s’apprête à fêter, l’an prochain, son trentième anniversaire. Et la restauratrice de rappeler que chaque année ou presque, des descendants des Américains de Grand-Vabre viennent marcher sur les pas de leurs ancêtres. Comme ce fut encore le cas, récemment, avec Jacques Marcillac de San Francisco, accompagné de ses deux filles adolescentes, dont le père, un grand chef cuisinier est le fils d’une émigrée grand-vabroise.

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