Roadtrip Rouergue - Pyrénées, via Rodelle

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    Dans la pénombre, la couenne vibre, le lard transpire. Repro CP - Antonin Pons Braley
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Alix Pons-Bellegarde

Cette semaine, la cheffe Alix Pons Bellegarde nous emmène entre Pyrénées et Rouergue… Et marie avec bonheur champignons de "ses" montagnes et charcuterie de la ferme de Mayrinhac à Rodelle, le fameux guanciale de la famille Méjane.
 

Trésors cachés, comme au temps des pirates. Secrets de veillées, confidences familiales. Les champignons se jalousent, d’une forêt à l’autre, d’une vallée à la suivante, le long des ruisseaux, aux pieds des noisetiers, jusqu’en bords de route à l’ombre des murets en pierre sèche. À chaque saison, sa course folle : voitures garées à la sauvage, le ballet des sacs en plastique, des couteaux à la poche. Jusqu’à ce que, bravaches, au retour de "balade" – une couverture –, l’on expose les trophées, sur les réseaux ou par messages interposés. Sans ne rien dévoiler, jamais, on parle en kilos, en noms de code, en plus ou moins bons coins ; comparant les années, les dates auxquelles "d’habitude, on les avait trouvés" ; maudissant dans le désordre, la direction des vents, le grand chambardement climatique, la détermination du voisin ou la disparition des départements sur les plaques d’immatriculation ; bénissant tout autant, la pluie de la veille, l’instinct d’un tel ou d’un tel, le répit offert depuis trois jours par le gel ou la petite fraîcheur du matin.

Camouflés ou goguenards

Alors à la fois détectives et cambrioleurs en cavale, seul ou en gang, quadriller la zone, braquer la banque : rosés-des-prés, pleurotes, pieds bleus, violets, morilles, bolets – à pieds rouges, bronzés, royaux, orangés –, truffes, girolles, oronges, chanterelles, lactaires délicieux ou sanguins, coulemelles, trompettes, pieds-de-mouton, meuniers, tricholomes, russules, cortinaires, amanites, collybies, coprins. Mille autres.

Chapeaux-entonnoirs, chapeaux-ronds, en bouchons de champagne, aux lèvres recourbées, aux lamelles plus ou moins bien rangées. Camouflés ou goguenards. Traîtres parfois, faux amis, assassins. Jaunes, bruns, blancs, mauves, rouges, cuivrés. Tapis comme une armée. Et nous, la brosse, le laguiole, le panier, à l’affût, aux aguets, dans le silence des sous-bois, au fil de la procession, d’égrainer en chapelet nos répertoires latins et leurs surnoms en patois.

C’est tout ça, la somme de ces moments-là, qui patiente, tranquille, sur la ligne de bocaux du petit buffet d’en bas. Aujourd’hui depuis presque six mois – alors que quelques jours à peine après notre retour en France, au sortir de l’été, nous nous étions adonnés au vice, trop heureux d’y regoûter, depuis le chalet familial, du côté de Matemale, dans les Pyrénées. Pour y dénicher une avalanche de cèpes, notamment. S’en suivait toujours le même rituel : après la cueillette, le tri, l’identification ; les pieds d’un bord, étaient mis à sécher puis réduits en poudre pour assaisonner l’année longue ; les chapeaux de l’autre, coupés en deux ou en quatre, les petits entiers, directement glissés de la planche à la poêle pour les laisser dégorger, aussitôt réconfortés d’un filet d’huile d’olive, enfin stérilisés une heure à cent degrés.

L’envie de les marier

Aussi l’autre jour, en passant devant, l’envie de les marier. Enfin, ici en Aveyron.

Or, il y a peu, nous rendions visite, non loin de Rodelle, direction Bozouls, à la famille Méjane, Pierre, Guillaume, Agathe et les autres, ferme de Mayrinhac, quatrième génération perchée sur les méandres du Dourdou. Le grand tour : nous suivions Guillaume, d’une grange à l’autre, de la soue à la basse-cour, de l’étable aux réserves. Une exploitation, une vraie. Ça colle aux pieds, ça aboie, ça sent, ça bosse. En bord d’établi, le lunch du jour attendra en vain que les uns et les autres aient fini de s’acquitter de leur tâche, sous les longues ombres d’un soleil d’hiver ; pendant que nous échouions en cuisine avec notre hôte, diablement bien reçus, en voisins, saucisson maison, pain du coin, vin vivant – Domaine du Buis, Pauline Broqua, une autre pépite de même rayon.

Sur le retour, marches de gré rouge et chemins de traverses, nous passions, toujours avec Guillaume, par les frigos de la maison. Festival.

Guanciale aveyronnais

Odeurs d’enfance, charcuteries en cascade, jambons suspendus ; potences réconfortantes, avec en guise de lampions les papiers roses écrits à la main des noms et dates des prochains festins. Tout est là, aligné. Et dans un coin, un peu caché, son dernier essai : joues, bas-joues et gorges de porc séchées-maturées. "Il y a peu personne n’en voulait", alors à l’italienne, lui a voulu tenter. Résultat : guanciale aveyronnais. Un bonbon. Frotté au sel, au sucre et aux épices, puis quelques semaines mis à réfléchir.

Un coup de couteau. C’est beau. Du blanc au rose, reflets marbrés. Dans la pénombre, la couenne vibre, le lard transpire. C’est bon. Particulièrement bon. La douceur du gras, ce qu’il faut de noisette, un nez de tourbe, une pointe de fumé. Long en bouche, tapissant le palais. De la salive, encore de la salive. À en regretter le verre de rouge laissé sur le Formica de la cuisine.

Le soir, je coupais fin, court, en lardons, le morceau embarqué en cadeau.

Pour le joindre en fond de poêle, sur un lit d’huile, aux cèpes de "mes" montagnes. La maison tout entière réagissait au fur-et-à-mesure que les ingrédients, mélangés en douceur, suintaient ensemble. Parallèlement, je battais ce qu’il faut d’œufs pour une omelette généreuse, augmentais le feu, jetais un oignon ciselé et joignais le mélange au bal déjà bien entamé.

Tortilla francesa

Fumante, baveuse, sciemment brouillonne, en quelques minutes à peine : tortilla francesa, comme on dit chez moi, cèpes-guanciale. Magique. Pluie de poivre, pincées de sel, le couvercle retourné en guise de plat au centre de la table, encadré d’une farandole – nous recevions famille et amis – de quilles natures, entre deux rives, Bruno Duchêne, Nicolas Camarans ; la virée du matin retrouvait au dîner celle de septembre dernier. La nuit prenait des airs, jusqu’à tard, de roadtrip Rouergue-Pyrénées. Nous chantions à la vie belle. Bienheureux soient les mariages de ces deux paysages.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, Aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques.Le couple fonde en 2021 sa marque "Famille Pons Bellegarde" et la revue "Salt Letters" dédiée à l’univers du sel.Alix Pons Bellegarde livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de sa cuisine.Sur Instagram, deux adresses : alix_pons_bellegarde ou ponsbellegardeEt très prochainement sur le site internet ponsbellegarde.com
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