Rodelle. Aveyron : le burger végétarien au chou-fleur du Causse comtal

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  • Pour un autre fast-food  que celui qui bétonne  nos herbiers à grand renfort  de restaurants préfabriqués.Antonin Pons Braley Pour un autre fast-food  que celui qui bétonne  nos herbiers à grand renfort  de restaurants préfabriqués.Antonin Pons Braley
    Pour un autre fast-food que celui qui bétonne nos herbiers à grand renfort de restaurants préfabriqués.Antonin Pons Braley
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Alix Pons Bellegarde

La cheffe Alix Pons-Bellegarde nous propose cette semaine de se poser au soleil sur le Causse Comtal – dont elle est tombée amoureuse – et de partager un pique-nique maison dont elle a le secret. Et un secret qu’elle partage…

Mille huit cent soixante-dix-huit, quelque part près d’Aurillac, en lisière d’Aveyron, Hector Malot fatigue son héros sur les routes de France, cap au Sud. Vendu par ses parents adoptifs, saltimbanque malgré lui à tout juste dix ans, Rémi suit le vieux Vitalis, son maître d’infortune, ballotté par le paysage – seul confident, semble-t-il, de sa traversée intérieure.

"Après avoir quitté l’Auvergne, nous étions descendus dans les Causses. On appelle ainsi ces grandes plaines inégalement ondulées, où̀ l’on ne rencontre guère que des terrains incultes et de maigres taillis. Aucun pays n’est plus triste, plus pauvre. Et ce qui accentue encore cette impression que le voyageur reçoit en le traversant, c’est que presque nulle part il n’aperçoit des eaux.

Point de rivières, point de ruisseaux, point d’étangs. Çà̀ et là̀ des lits pierreux de torrents, mais vides. Les eaux se sont engouffrées dans des précipices et elles ont disparu sous terre, pour aller sourdre plus loin et former des rivières ou des fontaines."

C’est dire à la fois le grand désarroi dont Malot gratifie l’enfant de son roman, miroir de son temps, tout autant que l’extrême rudesse qu’il prête à ces "immenses et mornes solitudes" rencontrées sur les hauts plateaux karstiques du département.

Contribuant par là même à forger le regard que le pays tout entier allait dès lors poser sur le territoire. Celui des Grands Causses, ici sur le pas de la porte, cernés au Nord par l’Aubrac et la Margeride, à l’Est par les Cévennes, au Sud par les Monts d’Orb et à l’Ouest par le Lévézou et le Saint-Affricain.

À la périphérie ruthénoise, c’est le Causse Comtal, l’un des sept à composer la région, qui déploie ces jours-ci sur ses treize mille cinq cents hectares, ses jeunes pousses d’orties, genévriers, primevères et narcisses, lamiers roses et petite oseille, de Bertholène à Rodelle, Sébazac à La Loubière, de Marcillac à Bozouls, Salles-la-Source à Montrozier, jusqu’à Muret-le-Château. Nommé "Comtal" à la faveur des comtes de Rodez, alors gardiens du "grenier à blé aveyronnais" – loin du portrait dressé une poignée de siècles plus tard par l’auteur de Sans famille.

Passé pour quelques jours, resté une vie

Car sous ses airs de vieux loup austère, le Causse autant que ses Caussenards, cultive l’art de la ruse. La séduction silencieuse. Le jeu subtil de l’arrière-pays.

"Passé pour quelques jours, resté une vie", combien de fois ici nous l’a-t-on dit, et peut-être nous-mêmes n’en sommes-nous pas si loin – si bien que derrière la distance des premières rencontres, soulevées les premières pierres, dégagées les broussailles, vient bien souvent se lover la fidélité des amours vraies, la bienveillance des accueils généreux et les amitiés inébranlables.

"Gens du Causse", reflet de leurs paysages. Alors qu’en douce, épiée par les buses, les milans, faucons et autres grands-ducs, une flore elle aussi discrète mais tenace, de plus de neuf cents espèces recensées, tapisse l’apparente sévérité des lieux, irrigués de toutes parts – Aveyron, Lot, Dourdou, Truyère, Selves, Argence, Serre, Lizonne, tant d’autres –, pour nourrir, n’en déplaise à notre jeune ami, parmi les biotopes métropolitains les plus prolixes à ce jour. Thym sauvage, véronique en épi, orchis parfumé, plantain, le panier comestible de saison regorge ce matin encore de mille saveurs, recettes de grands-mères et autres inspirations.

Un espace néanmoins de plus en plus sujet à une pression anthropique délirante, notamment relevée par la dernière fiche de Zone naturelle d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) spécialement dédiée au Causse Comtal par l’Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage de l’Aveyron ; pendant qu’en France l’équivalent d’un terrain de football disparaît actuellement toutes les sept minutes, bétonné par l’urbanisation galopante et notre insatiable appétit pour les zones commerciales.

Pique-nique maison sur les hauteurs de Bezonnes

Qu’importe, à ce qui nous reste de monde, faire honneur, et venir aujourd’hui, sur les hauteurs de Bezonnes, savourer en nature, tout juste sorti du sac, enrubanné, encore chaud, le burger végétarien cuisiné plus tôt en guise de rendez-vous d’avec le soleil de la mi-journée. Ici famille, ici rien d’autre, le large, sur quatre cailloux éparpillés, soleil chaud, vent frais. Chanceux.

À l’aube, j’avais fait revenir ma cueillette encore embrumée de rosée dans une noix d’huile ; j’avais coupé de larges tranches de chou-fleur, jetées dans un lit de gras en fond de poêle, puis, refroidies, saupoudrées de farine, trempées dans un œuf ou deux, enduites de flocons de maïs concassés ; enfin, j’avais glissé le tout entre deux buns maison, emmitouflés dans un lange épais en recoin de besace au moment de sortir.

Complices de notre échappée spontanée, les "pains burger", eux, étaient affaire de la veille, alignés sur le radiateur, déjà prêts. Aux confluences de deux pâtes, deux horizons : à l’Est, méthode japonaise sans levure du nom de Tangzhong ; soixante grammes de lait, vingt-cinq d’eau, vingt de farine, mélangés à feu moyen jusqu’à obtenir une texture épaisse et gélatineuse, idéalement portée à soixante-cinq degrés Celsius avant de réserver six heures au moins ; à l’Ouest, cent vingt grammes de lait tiède pour huit de levure boulangère, à laisser reposer dans un grand saladier une dizaine de minutes avant d’y pétrir de concert trois cent vingt grammes de farine T65, trente-cinq de sucre blanc et sept de sel gris ; pour le lendemain, incorporer l’une à l’autre à température ambiante, les mariant à la main une dizaine de minutes, un jaune d’œuf pour sceller l’alliance, suivi peu à peu d’une quarantaine de grammes de beurre doux ; avant de loger la masse proche d’une source de chaleur pour qu’elle double de volume, puis la dégazer et la diviser en six.

Six pâtons à façonner sans faillir – bords vers le centre, les tournant continuellement, les roulant sur le plan de travail pour créer de la tension, les étirant dans toutes les directions, jusqu’à les former en boules dans le creux de la main – pour les enfourner une petite vingtaine de minutes chaleur tournante à cent quatre-vingts degrés, saupoudrés d’une poignée de graines du quartier.

Mayonnaise maison, une pointe de sauce Hoisin, la survie de notre virée était assurée. Pour un autre fast-food que celui, justement, qui bétonne nos herbiers à grand renfort de restaurants préfabriqués. Une autre cuisine rapide, accessible, judicieusement addictive, saine et de proximité. À déguster, sur le Causse, en liberté.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, Aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques. Le couple fonde en 2021 sa marque "Famille Pons Bellegarde" et sa Revue dédiée à l’univers du sel.Depuis Bezonnes, près de Rodez, il lance également ce printemps-ci un Journal consacré chaque mois à un alimentarium aveyronnais, ainsi que sa Table et son Épicerie de saison.Le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix.ponsbellegarde.com
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