Cuisiné en Aveyron, l'agneau de Bezonnes façon vapeur, inspiration Japon

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  • Après de longues heuers de cuisson, la viande doit se détacher d’une simple pincée de doigt. Après de longues heuers de cuisson, la viande doit se détacher d’une simple pincée de doigt.
    Après de longues heuers de cuisson, la viande doit se détacher d’une simple pincée de doigt. Antonin Pons Braley
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Alix Pons-Bellegarde

« En Aveyron, on aime ce que l’on fait. Les fermes vivent pour leurs bêtes. » Ça pourrait être la philosophie de la famille Petit qui élève des agneaux à Bezonnes. Une viande que la cheffe Alix Pons-Bellegarde met un point d’honneur à respecter et à sublimer grâce à une cuisson à la vapeur durant plusieurs heures. Il ne reste plus qu’à déguster…

Au centre du village, immanquable, à deux pas de l’église : la ferme de Flora Petit et ses parents, Mado et Jean-Pierre, Gaec de Frejayrac. Pour nous, « la maison » se joue en partie là. À chaque nouveau départ, le Bezonnes que l’on emporte avec nous charrie dans son sillage le brouhaha de sa bergerie, son troupeau au fil des rues, les ruades de ses agneaux aux trousses de leurs mères, ses chats au soleil allongés sur le foin, ses patous en cerbères à l’angle de la grange sous le lierre.
« Très tôt, dès la fin du collège », Flora sait : elle reprendra. Celle qui, gamine, dormait dans la mangeoire les nuits d’agnelage, racontait ses histoires d’enfant aux brebis réunies, s’enamourait d’une telle ou d’une autre, leur donnait des prénoms, dirige aujourd’hui du haut de sa trentaine l’exploitation familiale, fer-de-lance, avec ses cinq cents têtes et son millier de naissances, du raisonné aveyronnais.

« Une petite autarcie »

Ici, on nourrit les bêtes au foin de la ferme « et au granulé que l’on saurait manger nous-mêmes », on les soigne aux macérations de fleurs « identiques à celles avec lesquelles on se requinque au besoin ». Le père résume : « Si je peux prendre ce que je leur donne, alors je sais que mon agriculture est la bonne. » La fille acquiesce. Et va plus loin encore. Son but, à elle ? - « une petite autarcie ». Le confinement récent ? - « le bonheur absolu, la preuve par l’exemple du modèle paysan ». Bergère-éleveuse-cultivatrice-sagefemme-vétérinaire-artisane-mécano-garagiste-administratrice, Flora Petit travaille sans relâche à sa liberté. À ce monde meilleur qu’elle appelle, sans contradiction, « indépendant » et « solidaire ».
Mais si sa production est « nature » depuis plus de quarante ans, le trio, adoubé de longue date par l’élite des grands chefs français, ne court pas après les labels, préférant parler « d’intelligence des campagnes », d’écoute et de transmission, « d’âme rurale ». Faire du bio ? Pourquoi le marquer. Après tout, ce serait aux autres de fièrement afficher « produits chimiques garantis ». Et la famille Petit de reprendre à son compte la formule maintes fois entendue ailleurs déjà sur le département : « En Aveyron, on aime ce que l’on fait. Les fermes vivent pour leurs bêtes. »

« C’est ma vie »

Ce matin, sous le grand hall transpercé de soleil, les petits se faufilent à la recherche de lait, ça appelle, ça se bouscule. Jean-Pierre glisse : « Une bonne mère, si elle en a deux, si elle a des jumeaux, elle attend qu’ils soient réunis pour les laisser téter. » Pendant que Flora passe les troupes en revue, soigne les bobos de l’une, réconforte l’autre. « C’est ma vie. J’aime ça, tout simplement. » Magique. Concluant : « J’essaie d’être cohérente. »
Vertigineux. Qui peut en dire autant ?
Les garçons se régalent. Le grand et ses rêves de fermier, de fleur en fleur le petit frère après lui, des garages à l’étable, de la basse-cour jusque sur le pré.
Nous repartons avec en tête une partie de la palette pour la première saison de La Table, pour l’ouverture prochaine de laquelle nous multiplions ces jours-ci les visites de terrain. Autant de rencontres, d’invitations, de découvertes. Émerveillement, grand privilège.
Sous le bras, cadeau de la maison, un collier déjà tranché. Et sur le chemin retour, une inspiration : cuisson vapeur, « au panier », façon Japon. Tout en protégeant « la saveur exacte » de l’aliment, elle seule sait en garantir intégralement les qualités nutritionnelles et en préserver les minéraux qui de fait ne se dissolvent pas dans l’eau. Le match parfait, en somme, d’avec l’agneau aveyronnais.

Au panthéon des « vingt méthodes de cuisson »

La technique, apparue en Chine pour cuire le riz en bouillie il y a une dizaine de milliers d’années, se propage rapidement au reste du monde depuis l’Asie - où elle occupe aujourd’hui encore le panthéon des « vingt méthodes de cuisson ». Du couscoussier nord-africain aux pierres Maori, du pachamanca péruvien au yaourt vapeur bengali, elle révolutionne jusqu’en Occident avec son adoubement tardif par Brillat-Savarin, plus tard sa canonisation par Jacques Manière puis Alain Senderens, actuellement son usage revendiqué, en France par exemple, par Anne-Sophie Pic ou Jean-François Piège.
Au Japon, la méthode revient après avoir été augmentée par les Tahitiens, d’abord par l’usage d’un pot d’argile percé en fond, puis par le développement local d’une myriade d’ustensiles - galet-vapeur, tube de cèdre, chaudron perforé - jusqu’à l’apparition du panier en bambou. Ce même panier qui occupe une place de choix dans ma batterie, en voyage comme lors de nos séjours au pays - viandes, crustacés, lichens et algues, légumes, ou encore agrumes, pâtisseries, foies gras, paysages infinis.

Sept à huit heures seront nécessaires

Dans un saladier, je masse le collier d’agneau et le laisse mariner une heure avec l’équivalent d’une cuillère à soupe bombée sésame et soda jumelle de pâte Miso. Pâte fermentée, sur plusieurs années parfois, traditionnellement à base d’un koji d’orge, de graines de soja torréfiées, de racines de gingembre et bardane, d’aubergines émincées et d’algues combo ; ingrédient par excellence de l’histoire et de la cuisine japonaise, un temps salaire versé par l’Empire, à même hauteur que le sel ou le riz.
Sur une petite casserole remplie à trois-quarts d’eau, portée, puis stabilisée à ébullition, je dispose mon panier, bien droit. Et en fond, dépose chacun des morceaux préalablement macéré. Avant de filmer le tout, du haut des parois de la casserole, jusqu’au chapeau de bambou. L’eau doit s’évaporer le plus lentement possible et la vapeur rester autant que faire se peut en circuit fermé.
Après trois heures, je vérifie que le niveau n’ait pas baissé et rajouter à l’eau une cuillerée de sel. Je refilme, pour quatre heures à nouveau. Au total, sept à huit seront nécessaires, à chaleur constante, à ce que la viande se détache d’une simple pincée de doigt.
On passe à table. Il fait beau, c’est au jardin. Un verre de gentiane marie à la perfection le tour-du-monde du jour : agneau de Bezonnes, façon vapeur, inspiration Japon.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, Aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques. Le couple fonde en 2021 sa marque « Famille Pons Bellegarde » et sa Revue dédiée à l’univers du sel.
Depuis Bezonnes, près de Rodez, il lance également ce printemps-ci un Journal consacré chaque mois à un alimentarium aveyronnais, ainsi que sa Table et son Épicerie de saison.
Le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix.
ponsbellegarde.com

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