Des cornichons d’asperges dans des bocaux de saison

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  • Elles se dégusteront en apéritif, à croquer, en salade ou en sides, aux côtés d'un Roussellou de circonstance. Elles se dégusteront en apéritif, à croquer, en salade ou en sides, aux côtés d'un Roussellou de circonstance.
    Elles se dégusteront en apéritif, à croquer, en salade ou en sides, aux côtés d'un Roussellou de circonstance. Antonin Pons Braley
Publié le , mis à jour
Alix Pons-Bellegarde

Médicinale pour les Égyptiens, aphrodisiaque pour les Romains, légume royal ou encore « pointe d’amour » pour Madame de Pompadour… L’asperge est multiple. Et la recette de pickles proposée cette semaine par Alix est unique. Pour redécouvrir toutes les saveurs du « printemps en tige ».

Matin de brumes au Verdus, ferme-hameau perchée sur les hauteurs de Saint-Cyprien-sur-Dourdou, commune de Conques-en-Rouergue. Des générations que la famille Solignac y opère, dédiée à ses longues parcelles en cascade qui dégringolent quelque part depuis l’Ouche jusqu’au Duzou. Terres farouches - difficiles morceaux empruntés au sous-bois, d’entre les pierres, les lacets des chemins en chicanes, les méandres des ruisseaux, les racines projetées hors-sol à travers champs, la lourdeur des mauvais temps, collée aux bottes, les sueurs des jours sans ombre, saisons de boue et de poussière.
Un de ces recoins d’Aveyron, inaccessibles, pourtant si près, oasis masquée, archipel improbable. Montignac, La Farreyie, La Valière, L’Oule, La Vaysse, Tremels, La Rouquette, Tendols, Recoules, Cabesssières et sa Borie, Labro, Le Cauffour, La Peyre, Catech, Les Fargues, Moncles, Grandval, La Carrière, La Salleviale, La Souque, Lagade, Gensac, La Salle.
Étourdissante litanie. Alors que sur les routes de campagne, encore mouillées par la nuit, le goudron rafistolé égraine ses lieux-dits de panneaux comme on en fait plus.

Faire autrement dans le sillage de ce qui s’est fait avant

Là, humains, heureux gardiens du temple, radieux, Aline Solignac et Philippe Rousseau - elle, les asperges, en couple la vigne dont les « jus » nature figurent parmi nos plus belles expériences œnologiques de la région -, partagent la même idée du vrai, du pérenne, du bon. L’intelligence des sols, des outils, des façons. La mémoire, aussi. Mais tout autant le culot, la vision : faire autrement, dans le sillage pourtant de ce qui s’est fait avant.
Aussi, lorsque l’on débarque pour la première fois sur l’exploitation, à la recherche d’asperges dont on nous a dit de toutes parts qu’elles donnent au territoire le la du produit, l’évidence de la très belle rencontre ; le lieu, ses gens ; sa flore, son ciel ; le cheval, la tête passée par le porche du box pour veiller à notre arrivée ; les étourneaux en parade sur les madriers des nouveaux chais du domaine bientôt achevés ; les noisetiers aux abois, les chênes, frênes et tilleuls en grand pavois. Magique.
Mais le calendrier de l’asperge a ceci d’intolérant qu’il ne supporte pas le retard. Elle est l’horloge du paysage. Et l’heure c’est l’heure ; il n’y a pas deux bons moments. Depuis les premières pointes d’avril, jusqu’à nos assiettes de mai, elle court, s’élance, triomphe, d’un centimètre toutes les soixante minutes. Même une fois coupée - une prouesse. Un mètre cinquante, parfois deux. Et ce depuis la nuit des temps. En Égypte déjà, considérée pour ses propriétés médicinales, où elle peuplait les berges du Nil et fascinait par sa croissance ; puis très prisées des Grecs et des Romains, qui aimaient la déguster à l’année longue, la consommant fraîche au printemps, sèche en hiver ; charriant avec elle, au fil du temps, un arrière-goût de désir alors que ses vertus aphrodisiaques ont pu faire les chroniques de Pline l’Ancien et illustrer encore parmi les plus beaux chapitres des Contes des Mille Et Une Nuits. Oubliée de l’Europe pendant plus de mille ans, vraisemblablement du début de notre ère jusqu’au milieu du XVe siècle, elle reviendra cependant en gloire à la Cour, alors promue « légume royal », puis tour à tour « printemps en tiges » ou « ivoire à manger » ; enfin, surnommée même « pointes d’amour » par Madame de Pompadour, visiblement conquise par ses effets.

Bientôt servies à la « Table » de Bezonnes

Auprès d’Aline donc, je nous en réserve plusieurs kilos d’avance pour l’été, appelés à être servis à La Table, à Bezonnes, dès l’ouverture prochaine. Objectif : cornichons d’asperges. « Pickles », à l’anglaise. J’épluche et les coupe au trois-quarts pour ne garder que la section la plus tendre jusqu’aux pointes. Les lave à l’eau froide et les laisse s’égoutter. Pour quatre cents grammes, je prépare une première saumure d’un litre d’eau pour cent grammes de sel gris, que je porte à ébullition puis verse sur mes légumes avant de les laisser mariner au frais une douzaine d’heures.
Le lendemain, dans une casserole : cinq cents millilitres d’eau, cent de vinaigre de cidre, deux cents de vinaigre de vin, cinquante grammes de sucre et cinquante autres de gros sel, une poignée d’épices et une deuxième d’aromates du jardin. Sur mes asperges de la veille, à peine séchées de leur premier bain puis mises en bocaux, je verse cette deuxième saumure encore chaude, pour les oublier quelques semaines, couvercle fermé, dans un fond de placard sombre. De ceux qui savent garder un secret.
D’ici peu tirées de leur sommeil, elles se dégusteront en apéritif, à croquer, en salade ou en sides, aux côtés d’un Roussellou de circonstance, même Maison, de préférence frais, élevé à quelques encablures d’elles.
Mais dans l’intervalle, les souches des tiges précédemment débitées s’apprêtent dès à présent à passer au four, à tout juste une cinquantaine de degrés, à déshydrater, avant d’être ensuite mixées, pour que leur poudre nourrisse le bouillon du risotto de ce soir. Et nous fasse mieux languir d’ici là.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, Aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse.
Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques.
Le couple fonde en 2021 sa marque « Famille Pons Bellegarde » et sa Revue dédiée à l’univers du sel.
Depuis Bezonnes, près de Rodez, il lance également ce printemps un Journal consacré chaque mois à un alimentarium aveyronnais, ainsi que sa Table et son Épicerie de saison.
Le duo livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de la cuisine d’Alix.

Bientôt sur Internet : ponsbellegarde.com

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