Sauveterre-de-Rouergue : au Sénéchal, l'amour du vrai de Michel Truchon

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  • Une bonne humeur communicative pour ce chef étoilé qui travaille sérieusement sans se prendre au sérieux.
    Une bonne humeur communicative pour ce chef étoilé qui travaille sérieusement sans se prendre au sérieux. Centre Presse - José A. Torres
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Ancré à Sauveterre depuis toujours, titulaire depuis 32 ans d’une étoile au guide Michelin, Michel Truchon, humble et pudique, conjugue un amour de la vie, de la cuisine authentique, des bons produits, de l’amitié et de son terroir qu’il ne quitterait pour rien au monde.

C’est un lundi, la cuisine est fermée, c’est jour de jardin. Michel Truchon pose son râteau, partage un café et s’étonne un peu que l’on veuille savoir deux ou trois choses sur lui. Il goûte peu les feux de projecteurs, ce n’est pas rien de le dire. À 71 ans, et depuis 30 ans dans son hôtel-restaurant construit à portée de voix de l’auberge que tenait sa mère autrefois, ce Sauveterrat de toujours traverse les époques sans faire grand bruit quand d’autres tiennent le devant de la scène. Discret jusqu’à l’exubérance. « Non, je dirais plutôt humble. L’humilité est pour moi une vertu. J’ai toujours eu un sentiment d’infériorité : pour moi, les collègues faisaient des choses que je n’étais pas capable de faire… ».

Le regard est malicieux mais le discours sincère. Une étoile au Michelin depuis trois décennies, des prix par-ci par-là, jusqu’à ce Trophée des Techniques d’Excellence décerné, en mai de cette année par Gault-Millau, dont il a vissé la plaque dans un coin de mur, sans vouloir trop expliquer à quoi cela correspond… Il faut chercher dans l’histoire de ce grand gaillard ébouriffé et ébouriffant, les stigmates de cette pudeur qu’il revendique. Il tente une explication : « Je ne sais pas ce qui m’a poussé à faire ce métier. Il fallait bien faire quelque chose. Ma mère cuisinait bien comme les gens de peu, elle tenait une auberge, là, en face, avec des repas simples que les gens partageaient en toute convivialité ». Une mère, ancrée dans le milieu agricole, née en 1909, « époque où c’était encore ici le Moyen Âge ». La valeur du travail, qu’il a toujours chevillée au corps, était l’indispensable moteur de la survie, « j’ai commencé avec des fourneaux à charbon et quelques coups de pied au cul ».

« Trop bien ici »

Michel Truchon fera l’école hôtelière après le brevet, quitte Sauveterre. À partir, autant aller loin. Ce sera Grenoble, le point de départ d’un apprentissage construit autour de la gastronomie. À telle enseigne que, quand il reprend l’auberge de sa mère, il doit faire un choix. Ce sera la restauration haut de gamme, un bâtiment flambant neuf et un hôtel aux mains de son épouse Chantal (native de Quins). Onze chambres, de très nombreux fidèles, venus du monde entier. « Il a fallu se battre au départ, mais je ne me plains pas ».

Le résultat ne tardera pas, le Sénéchal se taille une belle réputation, alimentée par une brigade de huit soldats du goût et le génie du chef dont la philosophie est dictée par l’amour du vrai, tant dans l’assiette que dans les relations qu’il entretient avec ses contemporains. Il n’aime rien tant que de faire de belles rencontres parmi ses clients, « c’est un métier qui est aussi fort pour cela ». Un métier qu’il ne renierait pour rien au monde, au même titre que cet Aveyron qu’il a toujours refusé de quitter : « Je suis trop bien ici avec mes amis, ma famille, mes clients, J’y trouve mon équilibre, j’y suis bien. On est isolés mais pas vraiment paumés. Même si ce n’est pas “top”, commercialement, et qu’il faut jongler en permanence sur les rapports qualité-prix. On paye cher notre indépendance, mais il faut savoir ce que l’on veut… ».


Un terroir, de la qualité en permanence… c’est l’univers de Michel Truchon. « Cela fait sept ou huit ans que l’on parle de circuits courts, mais nous, on fonctionne depuis toujours comme cela. Je suis très attaché aux saisons, aux marchés, à l’humeur, aux produits locaux. Fromages et viandes sont du coin, légumes de la vallée du Lot, fruits de Montauban. Seul le poisson de mer n’est pas d’ici ! De façon générale, c’est le produit qui commande. Il faut adapter la recette à notre époque. Et c’est sur le temps que l’on est jugé ».

Les saisons commandent

Michel Truchon n’a jamais perdu son étoile et se rend inlassablement, deux fois par semaine au marché de Rodez, à 5 heures du matin. « Mes fournisseurs, je les suis toujours. Et je suis avec eux comme dans la vie, fidèle et de bonne mauvaise foi ! ». Pas de « plat signature » au Sénéchal, la saison commande là encore, même si le chef, qui est «gourmand » et qui « aime tout » affectionne les abats qui brident parfois l’indispensable curiosité des clients. Il voue aussi un amour fou aux musées, mais ne les cuisine pas pour autant !

Michel Truchon est résolument dans son époque, elle qui le fait un peu bondir aujourd’hui, avec la perte de la valeur du travail qu’il y perçoit. « Dans notre société, on est un peu au bout du bout… Je remarque ce que je vois, je ne suis pas forcément philosophe ». Le chef concède, comme un viatique, qu’il est avant tout « dans le raisonnable et l’équitable ». Le définir, si ce n’est par son besoin d’authenticité, est un peu difficile au demeurant.
On se référera pour cela à la citation de René Char qu’il a couchée sur ses menus : « L’essentiel est sans cesse menacé par l’insignifiant ». Et dans la même veine, ce lundi soir, il ne remettrait en question pour rien au monde, le barbecue géant qu’il organise dans le jardin du Sénéchal pour ses collaborateurs et amis.
 

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