Guerre en Ukraine : assiste-t-on à un tournant, le regard croisé de trois experts

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    Depuis des mois, l'Ukraine et la Russie sont en guerre. INFOGRAPHIE MIDI LIBRE - SOPHIE WAUQUIER
Publié le
Manuel Cudel

Le regard croisé de trois experts sur l’évolution de la situation sur le terrain : Carole Grimaud Potter, professeure de géopolitique, le général Pellistrandi et le général Trinquand.
 

La scène fera date dans l’histoire chaotique de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Mardi 4 octobre, le lieutenant général Igor Konashenkov, porte-parole du ministère de la Défense à Moscou, a réalisé son briefing sur les pertes infligées à l’ennemi, alors que les cartes diffusées derrière lui semblaient attester du recul rapide de ses forces sur le terrain. Volodymyr Zelensky a revendiqué le même jour des avancées "rapides et puissantesé dans le sud du pays, avec des "dizaines" de localités reprises aux Russes dans cette région, comme dans l’Est. État des lieux.

Comment le rapport de force évolue-t-il ?

"Les contre-offensives lancées fin août dans la région de Kherson et début septembre du côté de Kharkiv sont efficaces et obligent les Russes à reculer, la dynamique est du côté ukrainien. Les Russes éprouvent des difficultés à contrer les poussées ukrainiennes sur l’ensemble du front", relève le général Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue Défense nationale. Les forces du Kremlin ont fuit un grand nombre de villes dont Doudtchany, sur la rive occidentale du Dniepr, dans la région de Kherson, et la quasi-totalité de la rive orientale de l’Oskil dans le secteur de Kharkiv, signe que les stratégies d’encerclement de Kiev fonctionnent. « La suite dépendra de la réorganisation russe sur le terrain et du maintien de la dynamique ukrainienne », souligne le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission française auprès de l’ONU.

"Kiev a repris la main sur des territoires annexés, symboliquement c’est très important, ces prises s’accompagnent des déclarations de Volodymyr Zelensky qui ne reconnaît pas ces référendums et ne croit pas à la menace nucléaire, souligne Carole Grimaud Potter, professeure de géopolitique spécialiste de la Russie (Université Montpellier, Institut diplomatique de Paris). Le but c’est de reprendre notamment Kherson".

Peut-on parler d’un tournant décisif ?

"Oui l’Ukraine était sur la défensive depuis six mois. Depuis plusieurs semaines, elle est passée à l’offensive et maintenant, c’est elle qui est à l’initiative", souligne le général Trinquand. "C’est un tournant important, mais il est encore trop tôt pour dire que l’Ukraine a gagné la guerre", prévient le général Pellistrandi.

Carole Grimaud Potter guette désormais la réaction du Kremlin. Le président russe a signé ce mercredi les décrets d’annexion des régions ukrainiennes de Donetsk, Lougansk, Kherson et Zaporijia, en s’appropriant au passage la centrale nucléaire. Parallèlement, "il y a les rumeurs d’une annonce sur un changement de statut de l’intervention russe qui ont fait plonger les marchés, explique l’universitaire. Si demain, ce n’est plus une opération spéciale mais antiterroriste, comme cela a été le cas en Tchétchénie, il est possible que Moscou emploie beaucoup plus d’hommes avec un matériel plus agressif". Et d’ajouter : "C’est un tournant vers, malheureusement, je pense, une escalade. Les Russes vont être obligés de réagir".

Doit-on craindre un recours à l’arme nucléaire ?

Le général Pellistrandi ne l’exclut pas. "Tous les scénarios sont possibles, observe-t-il. Vladimir Poutine est dans une attitude jusqu’au-boutiste, comme on a pu le voir vendredi sur la place Rouge. Qu’est-ce que cela va signifier sur le plan militaire ? La mobilisation générale, l’emploi d’armes très puissantes ?"

Le recours à une arme nucléaire tactique serait toutefois "un aveu de faiblesse majeur et mettrait le président Poutine au ban de toutes les nations", observe le général Trinquand. "La Russie a beaucoup plus à perdre qu’à gagner, abonde Carole Grimaud Potter. Une arme nucléaire tactique ne serait pas décisive sur le terrain, mais par contre, les conséquences néfastes pour la Russie seraient grandes, c’est-à-dire qu’elle perdrait probablement la neutralité de l’Inde et la Chine en mettant peut-être en péril les relations bilatérales avec ces pays. Mais la menace nucléaire existe bel et bien, en dernier ressort". 

Les jours de Poutine sont-ils comptés ?

Fragilisé, le maître du Kremlin tient bon, pour l’instant. "C’est un pouvoir très vertical, centré autour de sa personnalité, son premier cercle lui est très fidèle, explique le général Pellistrandi. Qu’il y ait des contestations à l’intérieur de la Russie, c’est possible, mais on voit qu’il n’y a plus de vraies manifestations contre la mobilisation générale, c’est plutôt la fuite des hommes susceptibles d’être mobilisés, ce sont des réactions individuelles". 

Vladimir Poutine doit toutefois composer aussi avec "sa branche dure", décrypte Carole Grimaud Potter. "Et une partie des élites économiques qui sent l’escalade possible n’y est pas favorable et se demande ce qui sera le moins coûteux". L’universitaire va plus loin. "Il est possible qu’il y ait parmi les politiques un courant favorable à ce qui se passe actuellement, c’est-à-dire un ralentissement sur le terrain, afin que la Russie soit acculée et que les négociations arrivent plus vite". Mais Volodymyr Zelensky a fait du départ de Vladimir Poutine un préalable. "La seule façon pour la Russie de sortir de l’impasse dans laquelle le président Poutine l’a mise serait de changer le président", estime le général Trinquand.

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