Meurtre de Lola : "Une jeune femme qui tue une fillette, c’est relativement inédit dans les affaires criminelles"

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  • La France plongée dans l'émoi après la mort sauvage de la collégienne de 12 ans.
    La France plongée dans l'émoi après la mort sauvage de la collégienne de 12 ans. PHOTO MAXPPP - CHRISTOPHE PETIT TESSON
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François Barrère

Docteur en sociologie à l’université de Montpellier, spécialiste des médias, Michel Moatti décrypte les éléments qui font de l’assassinat de la fillette un fait divers hors norme.

Comment expliquer que ce crime ait aussi vite touché le grand public ?

Dans les premières heures, cela n’a pas été une traînée de poudre comme on pourrait s’y attendre. Dans le déroulé du 20H ce soir-là, le titre était loin dans le sommaire, on a parlé des files dans les stations d’essence, des annulations des vacances de la Toussaint : la malle mystérieuse est arrivée plus tard. Au départ, il y a eu un trou d'air, une sidération collective des médias comme du public. Le lendemain, les éléments commençant à sortir, on s'est rendu compte que c’était un drame épouvantable mais aussi une énigme, un puzzle.

Un drame épouvantable mais aussi une énigme

En quoi ?

On avait la caméra de surveillance, avec l'image de la meurtrière présumée dans le sas de l’immeuble, avec son look : on n'avait pas de repère sur ce genre de scénario. Une jeune femme qui tue une fillette, c’est relativement inédit dans les affaires criminelles. Les femmes qui tuent des enfants, en général, ce sont leurs enfants.

Là où la sidération se transforme en colère, c'est quand on a la révélation du visage de la petite fille

Là où la sidération se transforme en colère, c’est quand on a la révélation du visage de la petite fille. Son prénom, le sourire, les joues rondes, sa fragilité. Avec un éclairage, une lumière et une pose qui renvoie à des peintures de la Renaissance, sur ce côté iconique de l’innocence. Toute la naïveté d’un enfant, alors qu'on se met à parler de viol, de sévices, d’actes de barbarie.

On est aussi dans une trame de récit qui rejoint un imaginaire collectif occidental : les vieux contes pour enfants, avec les ogres, les enfants découpés, Barbe Bleue. D'autant qu'au début du 20e siècle il y a eu beaucoup d'affaires de "malles tragiques" : des malles abandonnées sur la voie publique avec des cadavres à l'intérieur, parfois de petites filles. La plus connue est l’affaire Jeanne Van Calck, une fillette de 9 ans, tuée en 1906 à Bruxelles. Enfin il y a la réalité : les gens qui ont mon âge ont vécu une époque de kidnapping, avec des enfants enlevés par des criminels, pour les violer ou pour les tuer : cela a profondément marqué les consciences en Europe. 

On a une fille présentée au départ comme une SDF, et on voit une jeune femme maquillée, habillée comme une influenceuse ou une candidate de téléréalité

N'y a-t-il pas d'autres éléments ?

On a des images que l’on connaît, très actuelles : les pleurs des collégiens, les petits mots, les fleurs, les marches blanches. Le deuxième étage de la fusée médiatique c’est la diffusion des vidéos de Tik Tok, qui me paraît centrale pour comprendre cette affaire.

On a une fille présentée au départ comme une SDF, et on voit une jeune femme maquillée, habillée comme une influenceuse ou une candidate de téléréalité, qui nous renvoie à une sorte de normalité : son geste devient d’autant plus effrayant et incompréhensible. Cette fille, d’un seul coup, ça pourrait être moi, ma fille, ma sœur, et pourtant elle a fait ce truc ignoble. Et là on entre dans une énigme : qu’est ce qui se passe dans la tête de cette jeune femme ? Ce profil d’une jeune meurtrière d’enfant est extrêmement rare et nous sidère.

Est-ce que les sociétés peuvent devenir folles ?

Ces images m’ont fait revenir à l’esprit une phrase d’un sociologue un peu oublié, Roger Bastide qui posait la question dans les années soixante : est-ce que les sociétés peuvent devenir folles ? On est peut-être face à ce type de situation aujourd'hui. Avec la mise en scène de soi en personnage imaginaire, où on joue à être un personnage de la téléréalité, on est dans une sorte de cercle de l’imagination, du surréel, qui n’est pas loin de certaines formes de pathologie mentale. Il y a un glissement vers une non-réalité, qui saute aux yeux quand s'y ajoute une dimension criminelle comme ici.

Et la récupération politique ?

Elle est très courante : la genèse, c'est la profanation du cimetière de Carpentras, où François Mitterrand lui-même est intervenu. Le débat sur la peine de mort ressort à chaque fois qu’il y a un assassinat d’enfants, comme pendant l’affaire Lelandais.

N'y a-t-il pas aussi une forte identification ?

Une petite fille qui sort du collège à 15 h 30 pour rentrer chez elle à quelques centaines de mètres, c’est une scène que tous les parents vivent, et on se dit : pourvu qu’il ne se passe rien. Mais cela peut m’arriver, à moi ou à mes enfants : le pire, à force d’y penser, finit par arriver. On est au plus profond du drame, dans un domaine où l'horreur se mélange au dérisoire. 

Docteur en sociologie à Montpellier, Michel Moatti est l'auteur de “Le Rapport Nordahl L.”, HC Editions, 19 €
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