Des soldats russes prisonniers en Ukraine témoignent : "Je regrette de m’être engagé dans cette guerre"

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    Des prisonniers russes au travail dans l’atelier de la prison. DDM C.C.
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En Ukraine, Clément Cros

Nous avons pu pousser les portes d’une prison ukrainienne dans laquelle sont détenus des soldats russes.

Comment situer le lieu dans lequel nous nous trouvons ? " Quelque part dans l’ouest de l’Ukraine. Vous ne pouvez pas en dire plus", ordonne le surveillant, tout de vert kaki vêtu. Ce dernier pousse la seconde porte métallique du sas d’entrée. La prison s’ouvre sur une vaste cour entourée de hauts murs barbelés. Il est 10 heures et personne ne se plaint du vent glacial. Les détenus sont à l’intérieur. "Nous allons commencer par les blessés, certains voudront certainement vous parler", annonce le maton.
Trois refus plus tard, une porte s’ouvre enfin. Sergueï (prénom modifié) est alité seul dans une chambre. Un fauteuil roulant occupe le reste de la pièce.

"Je me battais pour de fausses raisons"

Ce moustachu de 41 ans au regard aimable appartenait à la 52e brigade de l’infanterie de Marine russe. Il s’est cassé les deux jambes en sautant sur une mine alors qu’il tentait de regagner son char dans la région de Vuledar. C’était le 27 janvier dernier : "Je regrette tellement de m’être engagé dans cette guerre. Surtout quand je vois qu’il n’y a aucun bataillon nazi en Ukraine. Je me battais pour de fausses raisons. On m’a dit qu’il y avait des gens russes dans le Donbass qui se faisaient tuer par des Ukrainiens et qu’il fallait les sauver… Aujourd’hui, j’espère juste que cette guerre s’arrête, elle ne rend service à personne", raconte le soldat.

Comme pour les autres détenus blessés, la convention de Genève exige qu’il soit soigné par ses geôliers ukrainiens. Impossible de savoir combien d’hommes sont gardés ici. Tous se reposent de 22 h à 6 h dans des dortoirs collectifs d’une vingtaine de couchages chacun. Sur chaque lit parfaitement bordé s’affichent le nom et la photo du détenu qui l’occupe.

"Moi, la guerre je la fais contre d’autres soldats, et dans les règles"

À cette heure, les pièces sont vides, les détenus sont au travail. Contre un euro par jour, ils produisent des articles pour diverses entreprises du pays.

Accoudé à un plan de travail, Ivan agrafe des anses en corde sur des sacs en papier. Sans doute destinés à une entreprise de cosmétiques, on peut y lire les inscriptions "Gard" ou "Provence" entourées de brins de lavande. "Cela plairait à ma femme", plaisante l’homme aux sourcils broussailleux et à la carrure imposante. "J’espère que je serai bientôt échangé pour faire comme mes anciens camarades : rentrer chez moi." 

Comme tous les Russes interrogés ici, il affirme ne jamais avoir pratiqué ou assisté à des exactions contre les Ukrainiens : "Je suis soldat professionnel depuis 2013. Moi, la guerre je la fais contre d’autres soldats, et dans les règles. Ce qui s’est passé à Butcha, les atrocités commises contre des civils, c’est un cauchemar." Entourés de surveillants ukrainiens, difficile pour ces prisonniers de tenir un autre discours.

"Des regrets ? Je ne sais pas..."

Dans le second atelier pourtant, l’un d’eux semble moins franc dans ses regrets. Evgeny, 22 ans est officier.
Il tresse soigneusement une table de jardin en plastique imitant le rotin. "Des regrets ? Je ne sais pas… Peut-être que les Ukrainiens ne sont pas nazis, c’est possible. En tout cas j’ai vu des Ukrainiens bombarder d’autres Ukrainiens. Si je suis échangé ? J’essaierai d’éviter de retourner à la guerre, mais s’il le faut j’irai", louvoie-t-il.

"L’erreur fondamentale c’est d’avoir sous-estimé les Ukrainiens"

Les officiers ont peu de perspectives d’échange, ce qui peut expliquer une plus grande franchise dans ses propos. "Je ne sais pas si cette guerre était une erreur. Sans doute, puisque beaucoup de gens sont morts. Ce qui est sûr c’est qu’il y a eu de mauvais ordres de la part du commandement russe, et un énorme manque d’anticipation. L’erreur fondamentale c’est d’avoir sous-estimé la résistance des Ukrainiens", juge-t-il. Son regard est froid et déterminé.

Lors de notre visite, les conditions de détentions semblent correctes et respectueuses de la convention de Genève. Pourtant, les ONG dénoncent régulièrement des mauvais traitements de part et d’autre. Une cinquantaine d’établissements de ce type existeraient dans toute l’Ukraine.

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