Rébellion de Wagner en Russie : "Prigojine a eu peur que ce qu’il avait construit lui échappe", analyse Pascal Boniface

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    La rébellion du chef de Wagner, Evgueni Prigojine, pose plusieurs questions. MAXPPP - Pool /Wagner Group
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Recueilli par Manuel Cudel

La rébellion du chef de Wagner, Evgueni Prigojine, pose plusieurs questions. Analyse avec le politologue, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Pascal Boniface, auteur de "Comprendre le monde", aux Éditions Armand-Colin.

Quelles peuvent être désormais les répercussions de l’affaire Prigojine ?

Militairement, cela ne change pas grand-chose.Par contre, des effets politiques peuvent avoir des conséquences militaires. Poutine est affaibli. Lui qui communique depuis son arrivée au pouvoir sur le fait qu’il amène la stabilité et l’ordre dans le pays, ce qu’on voit, c’est que les Russes sont en difficulté, il y a du désordre, il est contesté et le chef d’une milice peut menacer l’État.

Il est apparu très inquiet samedi, son crédit à la fois national et international est donc atteint aux yeux de ses partenaires, des chefs d’État qui n’ont pas rompu avec lui.

Il faudra voir aussi si tout cela a des répercussions sur le moral des troupes et sur la perception des Russes.

Cette rébellion jette une lumière crue sur la fragilité de la Russie de Poutine…

C’est la suite d’un processus. Poutine, comme Frankenstein, a créé un monstre qu’il n’a pas su contrôler. Prigojine a longtemps été utile parce qu’il faisait des choses que l’armée russe ne pouvait pas faire, mais il a pris beaucoup trop d’importance et a contesté les instances mises en place par Poutine.

Celui-ci a d’abord laissé faire, puis a commencé à réagir en demandant l’intégration des troupes de Wagner dans l’armée russe. Du coup, Prigojine a eu peur que ce qu’il avait construit lui échappe, d’où cette action.

Le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, est un peu le vainqueur, il apparaît comme celui qui a réussi la médiation entre Prigojine et Poutine.

Les Ukrainiens peuvent-ils en tirer bénéfice ?

Ils auraient pu en tirer parti si le conflit s’était prolongé. Mais une question se pose : y a-t-il eu des contacts entre Prigojine et les Ukrainiens ? Le fait que Prigojine dise que Poutine a voulu la guerre et Zelensky voulait, lui, la paix est quelque chose d’assez étonnant.

Ces événements peuvent-ils être source d’inquiétude en Afrique, où Wagner, longtemps placé au cœur de la stratégie d’influence russe, a tissé sa toile ?

On peut se poser la question, mais la filiale de Wagner en Afrique est dirigée par un autre responsable et elle va y poursuivre ses activités.

L’affaire Prigojine montre les limites des pactes scellés entre des États et des groupes paramilitaires. Ce “modèle” pourrait-il être remis en cause ?

C’est toujours le problème quand un état concède à un groupe armé une partie de son “monopole de la violence légitime”, cela peut toujours se retourner contre lui.

Prigojine reste-t-il une menace pour le pouvoir russe ?

Cela va dépendre notamment de sa liberté d’expression, s’il continue à invectiver le pouvoir, il peut rester une menace. Mais la prudence peut le conduire à être plus discret parce que (s’il se rend en Biélorussie comme prévu, NDLR), il sera moins protégé et il a défié le chef suprême.

Jusqu’ici, tous ceux qui ont défié Poutine s’en sont plutôt mal sortis.

Dans sa déclaration il a bien pris soin de dire qu’il ne voulait pas prendre le pouvoir, que sa “marche pour la justice” n’avait fait aucun mort et que Poutine était le président légitime de la Russie.

Il faudra voir aussi si, d’ici dans quelque temps, le ministre de la Défense russe Sergueï Choïgu et le chef d’état-major général des armées Valéri Guerassimov (tous deux pris pour cible depuis plusieurs mois par Evgueni Prigojine, NDLR) sont, ou pas, débarqués.

On saura alors s’il y a eu un deal secret entre Poutine et Prigojine. En tous les cas, le vent du boulet n’est pas passé très loin de Poutine. Cela a été une crise d’une très grande intensité.

Maintenant, on va redonner la parole aux armes sur le conflit.

Le dernier livre de Pascal Boniface : “Comprendre le monde”, aux Éditions Armand-Colin.
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