Aveyron : quand 200 000 altermondialistes avaient rendez-vous sur le Larzac, il y a 20 ans

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  • Un week-end de fête et de débats, du 8 au 10 août 2003. Un week-end de fête et de débats, du 8 au 10 août 2003.
    Un week-end de fête et de débats, du 8 au 10 août 2003. Centre Presse Aveyron - Dominique Quet
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Arnaud Boucomont

José Bové, alors chantre de la lutte paysanne, venait de sortir de prison après un arrachage d’OGM. Une idée en tête chez les participants : un autre monde était possible. Flashback.

On vous parle d’un temps, comme le chantait Aznavour, que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Il faut même être au moins quadra pour avoir été en âge de prendre conscience de l’ampleur du phénomène : celui d’une décennie de lutte au zénith médiatique.

Au cœur de ce temps-là, un rendez-vous : le rassemblement Larzac 2003, réunissant environ 200 000 personnes du 8 au 10 août, il y a 20 ans, sur les communes de L’Hospitalet-du-Larzac et de La Couvertoirade, au sud de Millau.

Un mot, alors, était sous toutes les lèvres : altermondialisme. Quatre ans plus tôt, il avait trouvé son symbole, en France, le 12 août 1999, à l’initiative de la Confédération paysanne : le démontage du Mac Do qui allait ouvrir à Millau. Les États-Unis venaient de taxer certains produits, dont le roquefort, par représailles… L’Union européenne refusait d’importer du bœuf aux hormones. En guise de nouvelle riposte, les agriculteurs larzaciens avaient trouvé en Mac Do un ambassadeur américain parfait, représentant qui plus est à leurs yeux de "la malbouffe".

Un homme avait émergé : José Bové, paysan larzacien, pipe au bec, moustachu aux faux airs d’Astérix, David contre Goliath. Le procès du démontage, à Millau, en juin 2000, avait été une formidable caisse de résonance pour cet altermondialisme-là. En marge des audiences au tribunal, forums, meetings, marché paysan et concerts (avec Francis Cabrel, Zebda et Noir désir en têtes d’affiche) avaient rassemblé 30 000 personnes à Millau.

Trois ans plus tard, rebelote. Larzac 2003 au menu. L’objectif était de mettre la pression sur l’État français, à un mois d’une conférence de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au Mexique. Cette pression-là s’exerçait sur une terre de lutte, le Larzac. Car on fêtait à l’époque un anniversaire : les trente ans d’un grand rassemblement, déjà, en faveur des 103 paysans menacés d’être expulsés de leurs terres par l’extension du camp militaire.

Bataille contre l’OMC

Vingt ans se sont écoulés : on a fêté vendredi et samedi, les 25 et 26 août, les 50 ans de ce rendez-vous monstre de 1973. Il avait réuni, lui aussi, plusieurs dizaines de milliers de personnes. L’extension du camp avait été abandonnée par François Mitterrand en arrivant au pouvoir en 1981.

José Bové fit le lien, à l’occasion de Larzac 2003, entre lutte de l’époque et mobilisation contre l’OMC. "Le pot de terre a finalement triomphé du pot de fer et aujourd’hui, après la logique des engins de mort, on combat la logique du fric."

Une association, Construire un monde solidaire, avait été créée pour organiser le rassemblement : débats, conférences et concerts. Le chanteur Manu Chao avait répondu présent.

En pleine canicule à l’époque, l’organisation fut une vraie gageure. 150 000 personnes selon la préfecture de l’Aveyron, 300 000 selon les organisateurs. Et au-delà des chiffres, une décision prise dans le week-end, d’un commun accord entre autorités et association : empêcher l’afflux supplémentaire de manifestants, pour éviter la suffocation.

José Bové promettait "un mois de septembre non pas chaud, mais brûlant". Sous le soleil de plomb du Larzac, la formule, un brin aventureuse, avait de quoi électriser une assistance résolue à ne pas étouffer sous les jougs des pouvoirs.

L’ambiance sentait la poudre. Et depuis un moment. José Bové avait été condamné à dix mois de prison pour des actions de fauchage d’OGM. Il avait été incarcéré en juin 2003 à la prison de Villeneuve-lès-Maguelone, après avoir été interpellé chez lui à l’aube par les gendarmes et transféré dans l’Hérault en hélicoptère.

Il avait finalement été libéré un mois et demi plus tard, trois jours avant le rassemblement sur le Larzac, sur fond de grâce présidentielle accélérée par le ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain Nicolas Sarkozy. "Il craignait qu’une partie des manifestants du rassemblement, comme ça avait été annoncé, descendent du Larzac pour aller encercler la prison", assure aujourd’hui José Bové. "Imaginer 50 000 personnes ou 100 000 personnes autour de la prison, ils n’étaient pas habitués."

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Les commentaires (1)
Larrynautik Il y a 8 mois Le 27/08/2023 à 09:59

J'y étais. Et il y avait tellement de monde, c'était une fourmilière. Des champs entiers de voitures et fourgons stationnés. Les gendarmes qui restaient en marge de peur d'aller seuls au milieu de cette énorme masse humaine. La Croix-Rouge qui avait installé un chapiteau pour les blessés (insolations, ivresse, bad trips, blessures légères). Les pompiers venaient récupérer les plus mal en point, mais il y en avait peu. Très peu d'agressions ou de conflits sur place, c'était festif. Une masse très compacte attroupée près de la scène. Non loin, des vendeurs de sodas, churros, saucisses, alcools et autres s'étaient installés. L'Etat avait aussi fait acheminer des citernes d'eau. Dans un bosquet non loin, fumaient des centaines de festivaliers. Il y avait une sorte de nuage odorant qui y planait. L'antenne-relai mobile était tellement saturée qu'il était impossible de se servir de nos portables. On était libres et tranquilles, l'Etat se tenait éloigné car il avait peur de ce que ça pouvait devenir. Les gendarmes avaient bloqué l'accès car des gens arrivaient sans discontinuer par milliers, et ça devenait dangereux, notamment pour l'eau ou en cas de mouvement de foule. Parfois quelques festivaliers jetaient des trucs sur l'autoroute pour contester la décision, depuis la pont enjambant celle-ci. Eux, les gendarmes venaient leur dire d'arrêter, et ils s'arrêtaient.

Mais dommage que vous n'évoquiez pas la situation à Millau au même moment, ville la plus proche. Des milliers de festivaliers étaient descendus s'y ravitailler, stationnant partout. Des gens de toutes part. Des montagnes d 'ordures dans chaque rue, puisque les poubelles publiques débordaient. Il y avait même des bus venus d'on ne sait où. Les agents municipaux ont mis des jours à déblayer tout cette pagaille. Et puis l'ordre est revenu. Tout le monde est reparti. J'ai la nostalgie de cette époque insouciante. Maintenant nos vies sont rangées, classées et soigneusement étiquetées, et le climat comme la biosphère s'effondrent dans la résignation générale.

On ne revivra jamais un tel moment. De nos jours, le moindre écart de la norme, les casqués en armure déchainent une violence inouïe. Mais il y a toujours un prix à payer, tôt ou tard, d'une manière ou d'une autre, au bureau de vote, au tribunal ou dans la vie ordinaire. Comme on dit, à vies extrêmes, attitudes extrêmes. Et il n'y a jamais rien de bon dans l'extrême.