Coups d'Etat perpétrés en Afrique : "La France condamnée à être inaudible", l'analyse du sociologue et écrivain El Hadj Souleymane Gassama

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  • Le coup d'Etat célébré le 30 août, à Akanda, au Gabon.
    Le coup d'Etat célébré le 30 août, à Akanda, au Gabon. MAXPPP - STR
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Recueilli par Manuel Cudel (Midi Libre)

Le sociologue et écrivain, El Hadj Souleymane Gassama, chercheur associé à l’Iris, analyse les ressorts des coups d’État perpétrés en Afrique.

Quels sont les ressorts du putsch perpétré au Gabon ?

Parmi les raisons évoquées et d’autres recueillies par la presse, il est notamment avancé le rejet du forcing anticonstitutionnel (troisième mandat), l’état de santé d’Ali Bongo (diminué suite à un AVC).


À ce lexique, il faut adjoindre une lecture plus historique. La Gabon symbolise aux yeux de beaucoup l’acmé de ce qu’on a appelé la Françafrique. Une gestion clanique du pouvoir, une dévolution quasi-monarchique du père au fils sur plus d’un demi-siècle de règne, une captation des richesses nationales par un petit nombre, des réseaux affairistes et opaques, un mépris de la démocratie appauvrie par des farces électorales avalisées par la communauté internationale, des accointances avec Paris, soutien du régime dans les pires heures des affaires africaines.

Tout accablait ce régime indéfendable qui suscitait, dans ce petit pays riche de ses matières premières, une colère sourde des populations, victimes chroniques et impuissantes de ce système de prédation très sophistiqué. Ce passif ne peut être omis quand on évoque les ressorts de ce putsch, tant il est en toile de fond de ce sentiment de dépossession. Pour preuve, le putsch n’a pas surpris, il a même été avantageusement reçu par beaucoup, sous réserve bien sûr qu’il ait une portée réellement transformatrice, ce qui n’est pas pour l’heure garanti.

Comment analysez-vous la série de coups d’État qui secouent l’Afrique ?

La tentation est séduisante de lire dans la séquence d’un effet domino. Mais il me semble important de la réfréner tant chaque coup d’État obéit d’abord à des logiques internes, endogènes.

Le Mali et le Burkina Faso ne sortent pas des mêmes processus. Encore moins le Niger ou le Gabon. Sans évoquer la question de la lutte contre les GAT (groupes armés terroristes) au Sahel, contexte différent de l’Afrique centrale. Les histoires ne sont pas les mêmes, les revendications non plus. Écraser toutes ces spécificités pour les lire uniquement dans une grille globalisante serait problématique.

Les lames de fond communes, en revanche, sont on ne peut plus claires : des requêtes démocratiques plus fortes. Le procès qui est fait à la mal-gouvernance, à la corruption, à la verticalité du pouvoir, au non-respect des constitutions, mais aussi le manque de perspectives, notamment pour les jeunes, sont des invariants que l’on retrouve dans les revendications populaires et dans la rhétorique putschiste.

L’autre aspect fédérateur, c’est le soupçon permanent de l’influence voire la présence effective de la main de Paris dans toutes les décisions.

On a pu ainsi voir, dans les récits des putschistes, une hostilité manifeste envers la France, dans un mélange de contestation légitime des interventions militaires, politiques mais aussi quelque chose qui tient d’un ressentiment colonial et de la fuite en avant face à des faillites locales.

Pour l’heure, au Gabon, cette défiance, ou ce sentiment anti-français, n’a pas été notée. Ce qui sera à surveiller. Une partie du continent semble entrer dans cette séquence agitée marquée par la légitimité des aspirations et la tragédie des moyens.
Mais le constat est clair : les militaires au pouvoir en Afrique n’ont ni rétabli la démocratie, ni changé heureusement le destin des populations, c’est bien l’inverse : l’institutionnalisation de l’instabilité et l’installation d’une fraternité chaotique qui assomme encore plus les populations.

Peut-on s’attendre à d’autres coups d’État ?

Il est à craindre en effet que d’autres soient tentés. Tous les ingrédients sont réunis. Mais il ne faut pas céder au catastrophisme. D’autres aventures démocratiques sont en cours sur le continent. Tous les pays ne connaissent pas les mêmes secousses et les organisations régionales et sous-régionales essaient, malgré la maigreur de leurs moyens, de trouver des solutions politiques et diplomatiques.

Un autre aspect est important, ces coups d’État qui suscitaient toujours des liesses vont finir par lasser, et le passif des juntes au pouvoir discrédite cette épidémie martiale. L’élément nouveau et non négligeable, c’est l’activisme souterrain et malveillant de la Russie qui solde ses comptes avec l’Occident et notamment la France sur le dos de l’Afrique.

Les indices concordent pour montrer l’influence russe, la désinformation industrielle et déstabilisatrice, et les failles sciemment encouragées pour mettre sur orbite Wagner entre autres exploitations des rancœurs coloniales.

La crise de la présence française dans plusieurs pays signe-t-elle une redistribution des cartes ?

La redistribution des cartes est effective et antérieure à la séquence actuelle. Il y a quelques années déjà que la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique.

On peut citer la présence discrète mais offensive et stratégique de nombre de pays : la Turquie, l’Inde, le Maroc, etc. L’avènement de cette configuration géopolitique a été accéléré par la guerre en Ukraine qui a redessiné une carte dont les contours étaient déjà en pointillé depuis la guerre froide.
L’avantage des nouveaux acteurs, c’est l’absence de passif colonial et la nature plus pragmatique, plus froide des relations.

Sur le court terme, la France est condamnée à être inaudible même si la nature des liens et la présence de la diaspora africaine en France excluent toute rupture sèche. La France a encore des cartes à jouer, à condition de calibrer un discours suivi d’actes pour apprendre de ses échecs mais aussi espérer des États africains forts. Une relation se construit à deux. La France ne doit être comptable que de ses échecs, pas ceux des autres.

Le dernier livre de l’auteur (Elgas) : "Les Bons ressentiments. Essai sur le malaise post-colonial" (Riveneuve).
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