"L’Ukraine doit rejoindre l’Otan", selon Anders Fogh Rasmussen, l'ancien secrétaire général de l'Alliance

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  • Anders Fogh Rasmussen a également dirigé le Danemark et assuré la présidence tournante de l’UE.
    Anders Fogh Rasmussen a également dirigé le Danemark et assuré la présidence tournante de l’UE. EPA - STEPHANIE LECOCQ
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Propos recueillis par Manuel Cudel

Entretien exclusif avec l’ancien secrétaire général de l’Otan, que Volodymyr Zelensky a chargé d’établir le pacte de sécurité de l’Ukraine.

Israël tente d’éliminer le Hamas. Que vous inspire la proposition d’Emmanuel Macron d’une coalition internationale ?

C’est une très bonne idée et c’est réalisable. Les États-Unis sont prêts à fournir à Israël tout ce qui sera nécessaire pour assurer sa sécurité, mais il faut élargir la protection d’Israël, qui a le droit d’exister. Il est nécessaire de le rappeler au moment où l’antisémitisme se propage en Europe, notamment en France. Le monde démocratique a une obligation d’aider les Israéliens. Et, pour se défendre, Israël a le droit d’exterminer le Hamas. Mais l’État hébreu doit exécuter ses opérations dans le respect du droit international, en protégeant les civils. Et la solution à long terme dans le conflit entre Israël et ses voisins ne sera pas militaire.

Peut-on craindre une extension du conflit ?

C’est clairement un risque. Il faut veiller à ce que la guerre ne se propage pas. C’est pour cela que la présence des États-Unis en Méditerranée orientale est importante. Le message envoyé est très clair : l’Iran ne doit pas s’engager dans la guerre. Je pense qu’elle ne le fera pas en tant qu’état, mais elle peut attaquer Israël en activant des proxys. Il y a en a beaucoup au Moyen-Orient, comme le Hezbollah.
Il y a eu, ces dernières années, une tentative de normaliser les relations entre Israël et ses voisins, l’Égypte, la Jordanie, les Émirats arabes unis, Bahreïn et, récemment, l’Arabie Saoudite. Le Hamas a décidé d’attaquer maintenant Israël pour bloquer ce rapprochement.

Ce conflit peut-il rebattre les cartes de l’ordre mondial ?

Oui, ce serait une erreur de penser qu’il est distinct de la guerre en Ukraine. Poutine profite de la situation, il espère que l’Ouest restera focalisé sur le Moyen-Orient et fournira des armes à Israël en diminuant l’aide à Kiev.
Mais la guerre au Moyen-Orient peut détruire la relation entre Israël et la Russie. Israël, qui balançait jusqu’ici entre Kiev et Moscou, vient de critiquer la Russie car elle a reçu une délégation du Hamas. Les Israéliens ont été aussi déçus de voir que Moscou ne condamnait pas l’attaque du 7 octobre.

L’Ukraine peut-elle perdre certains de ses soutiens ?

Non, je pense que l’Ouest va continuer à soutenir l’Ukraine. Les Alliés ont d’ailleurs signé un accord, en juillet, à Vilnius, pour assurer la sécurité de l’Ukraine. Cet accord est inspiré du pacte de sécurité de Kiev que j’ai préparé pour Volodymyr Zelensky.

Que préconisez-vous ?

Le but est de rendre l’Ukraine capable de se défendre par elle-même, au cas où la Russie l’attaquerait encore à l’avenir. Nous allons donc développer une industrie militaire très forte en Ukraine. Je note d’ailleurs avec satisfaction que la France a progressé dans des négociations en ce sens avec l’Ukraine.
Mais nous devons faire désormais un nouveau pas et inviter l’Ukraine à rejoindre l’Otan. L’une des possibilités pourrait être de l’inviter lors du sommet qui célébrera, en juillet 2024, à Washington, les 75 ans de l’Alliance.
C’est la seule solution pour terminer cette guerre.

Ne serait-ce pas signer l’entrée en guerre de l’Otan, au nom de l’article 5 ?

Si nous déclarons qu’il n’est pas possible d’inviter l’Ukraine tant que la guerre continue nous inciterons Poutine à la poursuivre pour éviter ce rapprochement. Jusqu’ici, Poutine a respecté l’article 5. Il n’a jamais attaqué les membres de l’Alliance, il a peur de se retrouver en guerre avec l’Otan car il sait qu’il la perdrait. La méthode la plus facile pour assurer la sécurité de l’Ukraine est donc de l’intégrer au sein de l’Otan, cela serait aussi moins coûteux pour les Alliés que les aides. L’Otan devra, elle, garantir qu’elle n’attaquera jamais la Russie.

Allez-vous faire d’autres propositions à Zelensky dans le cadre du pacte ?

Je progresse sur le sujet, une vingtaine de pays ont déjà signé l’accord avec l’Ukraine et nous allons engager des négociations bilatérales avec chacun de ces pays. Il y en a avec les États-Unis, avec la France.
Je préparerai ensuite une proposition pour l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan. Il faut réfléchir dans le détail à la façon dont nous allons réaliser la couverture de l’article 5 quand un pays est déjà en guerre. Ce n’est pas évident, mais il y a des solutions. Il faudra spécifier que seul le territoire contrôlé par le territoire de Kiev est couvert par l’article 5. L’ouest de l’Ukraine, Kiev, Lviv, serait ainsi protégée contre l’attaque russe, ce serait terminé.
Et l’Ukraine pourrait se concentrer sur ses combats contre les Russes à l’est. Je vais continuer, par ailleurs, à assister le gouvernement ukrainien. Je vais me rendre à Washington, au Congrès, à Berlin, Londres, Paris, pour défendre une invitation de l’Otan à l’Ukraine. Je salue d’ailleurs la nouvelle politique d’Emmanuel Macron, qui aide au rapprochement entre l’Otan, l’UE et l’Ukraine. Vladimir Poutine souhaitait moins d’Otan, il en aura davantage avec la Finlande, la Suède et, je l’espère, l’Ukraine. Il faut créer une nouvelle architecture de sécurité en Europe et l’Ukraine doit être, pour nous, un rempart face à une Russie agressive.

L’issue de la guerre passera-t-elle forcément par la reprise par l’Ukraine de tous ses territoires, y compris la Crimée ?

Oui, parce que selon le droit international, la Crimée et l’est du pays appartiennent à l’Ukraine.
La perte de la Crimée serait, pour Poutine, une humiliation. Peut-on craindre sa réaction s’il était ainsi acculé ?
Oui, mais c’est nécessaire. Si M. Poutine a un succès en Ukraine, s’il conserve la Crimée, le message envoyé sera dangereux pour tout le monde. Xi Jinping en conclura peut-être qu’il peut prendre Taïwan. Si nous n’obtenons pas une défaite de Poutine, il ne s’arrêtera pas, il continuera en Moldavie, en Géorgie. Il n’attaquera pas les États baltes, mais les menacera peut-être, il y a d’autres méthodes pour faire pression.

Dans quel état d’esprit est Volodymyr Zelensky ?

Il est optimiste, mais préoccupé par la guerre en Israël, il pense qu’il y a un risque que l’attention se détourne. Mais il est toujours très engagé et c’est un leader formidable. On dit que c’est Churchill avec un I-phone…
La contre-offensive ukrainienne n’a pas atteint, elle, ses objectifs.
Elle progresse lentement, car certains pays ont été très hésitants pour fournir les armes à l’Ukraine et M. Poutine en a profité pour renforcer sa défense dans l’est de l’Ukraine. Nous sommes donc responsables. Notre soutien doit être illimité, il faut donner à l’Ukraine toutes les armes dont elle a besoin, y compris des avions de chasse. On ne peut pas gagner une guerre avec une approche graduelle, progressive. Il faut surprendre et submerger l’adversaire.

Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Europe se réarme, notamment la France. C’était une nécessité ?

Oui, en 2014, nous avons décidé, au sein de l’Otan, que les dix années suivantes, tous les Alliés devraient remplir l’objectif d’investir au moins 2 % de leur PIB dans la défense. Mais cela se fait trop lentement. Seulement trois ont rempli cette condition, il y en aura dix cette année, sur 32 pays alliés. Pendant la Guerre froide, tous les pays européens étaient au-dessus de 2 %, parce que c’était nécessaire. Aujourd’hui, il faut organiser nos économies différemment, augmenter l’investissement et la production militaire, parce que nous sommes en guerre.

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