Maraude au cœur d’un Rodez endormi

  • Le Samu social refuse de n’être assimilé qu’à une "épicerie".
    Le Samu social refuse de n’être assimilé qu’à une "épicerie". José A. Torres
  • Maraude au cœur d’un Rodez endormi
    Maraude au cœur d’un Rodez endormi José A. Torres
  • Sur la place Foch, "véritable point clé de la maraude".
    Sur la place Foch, "véritable point clé de la maraude". José A. Torres
  • De retour au local de la Croix-Rouge, on branche les torches, vide les déchets, suspend les clés et peaufine le rapport
    De retour au local de la Croix-Rouge, on branche les torches, vide les déchets, suspend les clés et peaufine le rapport José A. Torres
Publié le
Lola Cros

Reportage. Quand vient l’hiver, les petites mains du Samu social de la Croix-Rouge refont surface. Plusieurs fois par semaine, quand s’endort la ville, une poignée de bénévoles s’en va à la rencontre de ceux que la rue a engloutis. Attendus, ils sont en première ligne face à la détresse, parfois la violence, de la rue.

"Chaque maraude est une maraude". Sur ces mots qu’elle a l’habitude de prononcer, Anne-Marie grimpe dans la camionnette siglée de la Croix Rouge. Michel est déjà installé au volant, Marie-Christine à l’arrière. Plus expérimentée que ses compagnons de maraude, Anne-Marie le sait, "on n’est jamais trop rodé".  "La nuit peut être très calme comme très agitée, nous pouvons faire appel aux forces de l’ordre à tout moment", continue la bénévole, la soixantaine dynamique, chaudement emmitouflée. 

"Rester vigilant" est son mot d’ordre, comme un refrain venant ponctuer chacun de ses conseils. Sur les coups de 20 heures, les trois compagnons s’engouffrent dans la nuit, déjà épaisse. Seuls leurs blousons orange, striés de bandes phosphorescentes, dessinent leurs silhouettes dans l’obscurité. Les rues de Rodez semblent désertes. Pourtant, à peine franchies les arcades de la place Foch, "véritable point clé de la maraude", quelques ombres se détachent. S’approchent timidement du camion. Vissé sur son toit, le gyrophare s’affole quelques instants. Signal donné. Très vite, une demi-douzaine de jeunes hommes, âgés de 20 à 30 ans, s’agglutinent autour de la porte ouverte du fourgon. Machinalement, Anne-Marie recule. "L’un de nous doit toujours garder une vue d’ensemble, voir arriver les gens", explique-t-elle, agacée d’avoir oublié, ce soir-là, la table qui permet de tenir le groupe à l’écart du camion, "pour des questions de sécurité". 

Maraude au cœur d’un Rodez endormi
Maraude au cœur d’un Rodez endormi José A. Torres

"Nous ne sommes pas une épicerie" 

Ses confrères, littéralement pris d’assaut, gardent le nez dans les tiroirs. Tour à tour, ils distribuent kits d’hygiène, café, chaussettes, croquettes pour chiens et chats, tablettes de chocolat, couvertures et autres préservatifs. Tous, sans exception, redemandent de la soupe chaude. Une, deux, trois fois."Nous ne sommes pas une épicerie". Max*, lui, vient retirer un duvet demandé la veille aux maraudeurs, scrupuleusement noté sur la feuille de route d’Anne-Marie, "pour éviter tout excès". D’autres en profitent pour réclamer gants et bonnets, que la volontaire promet d’apporter "si les dons le permettent". Et prend le temps de papoter, de plaisanter. Le rôle premier du Samu social, qui refuse de n’être assimilé qu’à une "épicerie".  

Un service d’urgence. Et d’urgence seulement

"La distribution n’est pas la priorité, elle est avant tout un prétexte pour maintenir le lien entre ces jeunes et la société", raconte-t-elle, stylo en main."Nous voulons tisser un lien, redonner une dignité sociale et humaine à ces personnes sans-abri ou dans le besoin. Souvent, ces gars n’ont personne à qui parler", ajoute Michel. "En journée, ils sont accueillis dans des centres, comme la Pantarelle, où ils ont accès aux sanitaires entre autres, précise Anne-Marie. En revanche, si l’un d’eux nous demande un hébergement, nous travaillons avec le 115 et pouvons nous déplacer jusqu’à Laissac ou Baraqueville si une place est libre. Un cas de plus en plus rare, les centres du Grand Rodez sont saturés". Depuis plusieurs mois.

Sur la place Foch, "véritable point clé de la maraude".
Sur la place Foch, "véritable point clé de la maraude". José A. Torres

Qui sait vraiment ce que nous faisons ?

En l’espace de quelques instants, place Foch, les esprits s’échauffent, la tension monte. Et aussitôt retombe, sans plus d’explication. Sur le qui-vive, les bénévoles se tiennent prêts à déguerpir en cas de menace. Finalement, c’est dans le calme qu’ils s’en iront. Il est 20h45, l’heure de souhaiter une bonne soirée à ces jeunes, dont ils ne connaissent que le prénom. Et qu’ils ne manqueront pas de croiser à nouveau. Tout l’hiver peut-être. S’en suivent de longues minutes à arpenter les rues et ruelles du centre-ville. Tous les passants croisés saluent respectueusement ces travailleurs de l’ombre, leur arrachent un sourire. Eux peinent pourtant à trouver une reconnaissance. "Nous sommes respectés, grâce à l’uniforme c’est certain, mais qui sait vraiment ce que nous faisons ?" s’interroge l’un, puis l’autre, dans le calme d’une nuit de novembre.

Ne pas pouvoir aider ceux qui en ont "vraiment" besoin

Torches en main, Michel et Anne-Marie scrutent les recoins les plus insoupçonnés d’un Rodez méconnu. Se surprennent parfois à faire du lèche-vitrines, dans un espace public sans vie. Puis se laissent aller à quelques réflexions. L’évolution de "la rue", la violence et l’agressivité généralisées, les abus de l’aide sociale "de plus en plus" ressentis. Et une frustration permanente, presque obsessionnelle chez Michel, celle de ne pas pouvoir aider ceux qui en ont "vraiment" besoin. Il pense aux ruraux, à tous ceux qu’il ne voit pas. À l’immense partie de l’iceberg, condamnée à rester dans l’ombre.

De retour au local de la Croix-Rouge, on branche les torches, vide les déchets, suspend les clés et peaufine le rapport
De retour au local de la Croix-Rouge, on branche les torches, vide les déchets, suspend les clés et peaufine le rapport José A. Torres

Seule la partie visible de l’iceberg

Par-ci par-là, des fioles d’alcool jonchent le sol, trahissent le passage de sans-abri. Un coup d’œil mécanique dans quelques bosquets, toujours les mêmes. Personne. Un arrêt de routine au foyer des Jeunes Travailleurs, à mi-parcours, et les trois compères prennent le chemin du Sacré-Cœur. Élisa* serait revenue, son camion a été aperçu la veille par les maraudeurs. Personne à l’intérieur, ni même du côté de Layoule. À chaque arrêt, des souvenirs reviennent. Si Layoule évoque des anecdotes crapuleuses, Anne-Marie se rappelle de sa "pire maraude" : sous -18°C, "avec la préfète" et les soucis qui s’accumulaient au fur et à mesure que la nuit avançait.

Le fourgon s’engage ensuite sur le chemin de la gare, où tous trois attendront le départ du train de nuit pour Paris. Une habitude. À travers les vitres embuées, les passagers nocturnes s’installent dans leurs couchettes, tandis que le trio avance sur les rails, à la recherche d’une famille roumaine, réfugiée dans une caravane à l’écart. La caravane a disparu, seuls quelques déchets restent éparpillés, témoins de leur furtif passage. Michel, Anne-Marie et Marie-Christine tournent les talons. Aucun ne sait, et ne saura, ce qu’il est advenu de cette famille, ni même qui ils étaient réellement. 23 heures.

De retour au local, on branche les torches, vide les déchets, suspend les clés et peaufine le rapport. "Une maraude de plus", qui augurait une nuit agitée mais s’achève finalement dans le calme. Les bénévoles ont déjà la tête aux cinq longs mois qui les attendent. Aux hivers toujours gloutons en énergie, à la neige, au gel, aux stocks amenuisés. À cette course de fond, où seule manque la ligne d’arrivée, d’un travail sans cesse renouvelé. 

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