Élie Cohen livre sa vision économique du monde actuel

  • L’économiste Élie Cohen fait partie de ceux qui pensent que la révolution numérique peut offrir de formidables opportunités, générer de nouveaux services, de nouveaux emplois.
    L’économiste Élie Cohen fait partie de ceux qui pensent que la révolution numérique peut offrir de formidables opportunités, générer de nouveaux services, de nouveaux emplois. Repro CP
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Joël Born

Regard. Habitué des plateaux de télévision, le médiatique économiste, directeur de recherches au CNRS, Élie Cohen, sera l’invité de la chambre de commerce et d’industrie, le 21 septembre. Il a répondu à nos questions.

Comment jugez-vous la situation économique actuelle ?

On a fait beaucoup de bruit sur la croissance nulle au deuxième trimestre. L’Insee avait prévu 0,4% au premier trimestre et 0,3% au deuxième trimestre. Il y a eu 0,7% au premier trimestre et 0% au deuxième trimestre. Au final, c’est pareil, avec une perspective de croissance de 1% en 2015, après les 1% des 12 mois précédents. Doit-on s’en réjouir? Oui et non. On ne peut pas s’en satisfaire car avec la chute des taux, de l’euro et du pétrole, on aurait pu espérer faire le double.

Comment expliquez-vous ces résultats très moyens ?

L’une des mauvaises nouvelles réside dans l’effondrement des investissements des ménages. La crise immobilière a un impact fortement négatif. L’investissement des entreprises est aussi très faible malgré des incitations très favorables. Pourquoi? La seule réponse, c’est le manque de confiance, en raison notamment des inquiétudes sur la demande internationale et le ralentissement de la croissance dans les pays émergents. Il y a une attitude attentiste des entreprises. Contrairement à l’Allemagne, en France, on investit dans les bâtiments, mais très peu sur les équipements, la recherche et le développement.

Pour expliquer la chute de la croissance, Patrick Artus évoque la fin des dopages artificiels, à savoir l’endettement des ménages et des entreprises, et les politiques budgétaires expansionnistes qui sont remplacées par des politiques restrictives.

Les économies des pays émergents ont tiré la croissance mondiale, notamment la Chine. Cela a stimulé le commerce international. Ce fut un vrai et vertueux facteur d’accélération de la croissance. Il est vrai que les vieux pays européens ont prolongé artificiellement leur développement par le biais de la dette.

Pour Daniel Cohen, qui parle de défi de la finitude, nous devons apprendre à vivre sans croissance.

Depuis trois ans, c’est le grand débat sur la stagnation séculaire lancé par un économiste américain. Pour résumer, il y a les pays qui s’appuient sur l’innovation technologique, les pays matures et les pays émergents. Depuis 2008, les économies sont majoritairement en crise. L’un des problèmes, c’est que l’on n’est pas capable de cerner réellement les bouleversements provoqués par l’effervescence du progrès numérique. Il y a plusieurs hypothèses.

Les éco-pessimistes pensent qu’internet c’est du pipi de chat, comparé à l’apparition de l’électricité qui a entraîné une forte industrialisation et fut un facteur de croissance continue. Pour d’autres économistes, les pleins effets du numérique ne se manifestent pas encore. Pour eux, il va falloir attendre car on ne sait pas bien mesurer la productivité numérique. Prenez, par exemple, mon travail de chercheur. Il a été considérablement amélioré par l’accès à de nouvelles ressources grâce à l’internet, mais je reste le professeur Cohen, comme avant.

Justement, que vous inspire la numérisation sans limites de nos sociétés ?

Les États-Unis sont à la frontière technologique (1) avec moins de 9% des salariés employés dans l’industrie et pourtant c’est un pays qui est presque en situation de plein-emploi. Quand vous avez une technologie de pointe, l’argent généré permet de créer de nouveaux services et emplois qualifiés. En France, on a peu d’emplois dans les hautes technologies et beaucoup d’emplois dans les services peu qualifiés.

Vous avez écrit un ouvrage sur le décrochage industriel de la France. Pensez-vous que ce décrochage est irrémédiable ?

Dans ce domaine, quand vous avez perdu des positions, il est difficile de les reconquérir. Cela étant, il n’y a pas de raison d’être pessimiste. La révolution numérique offre des potentialités. Il y a de formidables opportunités pour les start-up qu’il faudrait aider à se développer, pour qu’elles puissent atteindre une taille supérieure.

Que peut-on attendre de la transition énergétique ?

La diminution de la part du nucléaire risque de nous conduire d’une électricité bon marché à une électricité alternative beaucoup plus coûteuse. À ce niveau, on peut craindre une dégradation de la situation actuelle. Concernant l’efficacité énergétique, il faut imaginer de nouveaux financements pour réaliser les investissements nécessaires. Enfin, il convient de traiter le secteur des transports, qui est l’un des gros émetteurs de gaz à effet de serre.

Un mot sur la fusion des régions.

Je suis atterré par l’acte III de la décentralisation. Le résultat tel qu’on le voit se dessiner est assez consternant. J’ai envie de dire tout ça pour quoi, si l’on n’améliore pas l’efficacité et si l’on ne réduit pas les dépenses. Je crains que ce ne soit une grande réforme ratée.

(1) La frontière technologique est un terme utilisé pour définir le niveau le plus avancé de la recherche technologique.

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