Aveyron : l’union sacrée autour des vautours se fissure

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  • On estime à 700 le nombre de couples nichant dans les Grands causses.
    On estime à 700 le nombre de couples nichant dans les Grands causses. Eva Tissot
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Guilhem Richaud

Des morts de veaux sur l’Aubrac enregistrées en 2020 inquiètent les éleveurs, qui estiment que les vautours sont responsables.

La bonne entente entre les défenseurs des vautours et les agriculteurs dure depuis plusieurs décennies. Depuis la réintroduction de ces oiseaux dans les grands causses au début des années 1980, tout allait bien. La LPO et autres défenseurs de la faune sauvage étaient heureux de pouvoir participer activement à la réintroduction de ces espèces protégées et les éleveurs y voyaient un bon moyen de les utiliser pour leur rôle de charognards, afin de s’occuper des bêtes décédées, via le système des placettes. Sauf que depuis quelque temps, cet équilibre est devenu de plus en plus précaire. L’été dernier, sur l’Aubrac, plusieurs veaux ont été retrouvés morts et dévorés par leurs éleveurs. Des cas similaires ont été recensés dans les départements voisins, notamment en Auvergne. Marie-Claude Bras-Ginisty, éleveuse à Laguiole, a assisté l’été dernier à ce qu’elle pense être une attaque. "En allant voir mes bêtes, je les ai trouvées totalement affolées, se souvient-elle. C’était pareil pour les troupeaux voisins. Je me suis aperçu qu’il y avait une vingtaine de vautours à 150 m de chez moi. J’ai appelé mon mari et les éleveurs des autres troupeaux qui sont allés voir. À mesure qu’ils avançaient dans la montagne, de nouveaux vautours s’envolaient. Il y en avait une centaine. Ils ont fini par se rendre compte qu’ils venaient de manger un veau." Une bête qui, selon l’éleveuse, n’était pas malade, ne venait pas de naître et qui n’avait donc aucune raison de décéder et d’être "nettoyée" par les vautours. La question se pose donc de savoir si les oiseaux auraient pu l’attaquer. Certains éleveurs le croient, la LPO assure que c’est très peu probable.

Plusieurs départements autour de la table

La question est suffisamment importante pour que la préfecture convoque un comité spécifique sur le sujet au début de l’automne, mais surtout qu’une réunion du comité interdépartemental (Aveyron, Lozère, Hérault, Gard, Haute-Loire, Cantal, Puy-de-Dôme, Tarn et Ardèche) soit provoquée en décembre. Selon nos informations, celle-ci a été tendue entre des éleveurs qui réclament une régulation, et la LPO qui pense que le problème ne vient pas des vautours. "Le représentant des vétérinaires qui a assisté à la réunion a fait une analyse pour les cas auvergnats qui pourraient coller à la situation de l’Aubrac, détaille Bruno Veillet, directeur de la LPO grands causses. Le décès des veaux est dû au charbon symptomatique, une maladie foudroyante qui concerne surtout les jeunes bovins. Les cas de mortalité qu’on a eus cet été sur l’Aubrac nous font beaucoup penser à ça, d’autant plus qu’on en a eu un nombre important centrés sur quelques élevages."

Inquiétude sur l’Aubrac

Mais pour ces cas aveyronnais, impossible d’avoir une certitude. Les analyses n’ont pas pu être faites. Il faudra l’envisager si ce genre de situations reprennent au printemps. Quoi qu’il en soit, le représentant des vétérinaires a rappelé aux éleveurs qu’il y avait une baisse assez importante de la vaccination contre cette maladie, mais aussi qu’un manque de surveillance sur les estives avait été constaté. Une remarque que ne goûte guère Marie-Claude Bras-Ginisty. "Quand on a des animaux malades, on les soigne, met-elle au point. Quand ils sont dehors, on va voir nos troupeaux tous les jours. Si on a un veau malade, on le ramène à la ferme et on s’occupe de lui. Normalement quand elles sont en pâturage, nos bêtes sont calmes, tranquilles. Là, avec les vautours, on a vécu un été affreux. Certains ont redescendu leurs troupeaux bien plus tôt."

De quoi inquiéter les agriculteurs si la situation dure, puisque la mise en pâture est une des conditions pour les labels de qualité Bœuf fermier Aubrac et Fleur d’Aubrac. Une partie des éleveurs s’agacent de ne pas être entendus sur le sujet et certains une dégradation de la situation. Pour la LPO, c’est un faux problème. Les vautours sont là, parce qu’il y a à manger et non l’inverse. "Il y a une circulation des vautours désormais sur un périmètre assez grand, confirme Bruno Veillet. Ils nichent dans les grands causses, mais font sans problème 150 kilomètres aller et retour dans la journée et ils prospectent sur de vastes territoires. Quand il n’y a pas de cadavre, les gens ne les voient pas car ils volent très haut, mais quand il y a une mortalité importante qui se répète, là, ils se positionnent sur un secteur qu’ils fréquentent plus assidûment. Des personnes qui n’ont pas l’habitude de les voir sont surprises par cette fréquentation et la rapidité à laquelle ils consomment les cadavres."

Dans le Sud-Aveyron, la cohabitation se passe bien

Mais le vautour a aussi ses défenseurs du côté des agriculteurs. Notamment dans le Sud-Aveyron où les éleveurs de brebis ont été aux premières loges depuis 40 ans et le début de la réintroduction. C’est le cas de Chantal Alvergnas et Thomas Lesay, à Saint-Martin-du-Larzac, sur la commune de Millau. " La plupart des attaques prétendument recensées sur des animaux vivants se produisent comme par hasard dans des territoires où le vautour n’est pas encore fréquent et constitue un coupable idéal, écrivaient-il y a quelques semaines dans une tribune. Les éleveurs constatent, en arrivant sur les lieux, que les vautours sont à la curée. S’ils affirment que les nécrophages sont à l’origine de la mort de leur bête, pourquoi ne sont-ils pas intervenus ante mortem ? En effet, les vautours s’éloignent sitôt que des humains approchent, et ils ne sont pas équipés pour attaquer du vivant. Et si la bête était morte, il est normal que les vautours la consomment, c’est leur rôle de nécrophage. Pour nous qui connaissons ces oiseaux et les considérons comme auxiliaires de l’élevage caussenard, le vautour n’est pas une menace. Il fait partie de la beauté et de la richesse de nos systèmes agropastoraux. "

Le débat risque de durer encore un moment et les comités préfectoraux doivent permettre de multiplier les échanges avant que la situation ne dégénère.

En chiffres

700 c’est le nombre de couples de vautours fauves estimés qui nichaient en 2019 dans les grands causses. Ils sont considérés comme en couple (et reproducteurs) quand ils sont âgés de 3 ans. Il s’agit principalement de vautours fauves. Il y a une petite soixantaine de vautours moines et quelques percnoptères et gypaètes barbus. Avec les jeunes, il y a environ 2 000 oiseaux sur le territoire.

300 C’est la distance que les vautours peuvent parcourir quotidiennement notamment pour aller se nourrir. Un chiffre qui explique pourquoi ils sont présents sur l’Aubrac, mais aussi dans les départements voisins.

0,7 c’est le taux de reproduction des couples installés localement. Cela veut dire que pour 100 couples, 70 se reproduisent chaque année. Le taux de survie est de 0,64 et celui au bout de la première année de 0,5. Des taux élevés qui montrent la bonne réussite du programme de réintroduction.

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