Détresse des étudiants : une souffrance de longue date, exacerbée par la pandémie

  • Rassemblement dans le cadre de la journée de grève nationale des enseignants et des étudiants mardi 26 janvier, à Lyon.
    Rassemblement dans le cadre de la journée de grève nationale des enseignants et des étudiants mardi 26 janvier, à Lyon. JEFF PACHOUD / AFP
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Relaxnews

(ETX Studio) - "Génération sacrifiée", "La précarité tue", "Politique incompétente, jeunesse agonisante". Ces slogans brandis sur des pancartes lors de la mobilisation nationale du 26 janvier expriment de réels cris de détresse. Depuis la pandémie, beaucoup d'étudiants ont perdu leur job et/ou sont retournés chez leurs parents pour ne plus avoir à payer de loyer. À cette précarité, s'ajoute la perte de lien social et des difficultés de plus en plus fortes à suivre plusieurs heures de cours d'affilée devant l'écran d'un ordinateur. Une situation intenable pour ces jeunes privés des bancs de l'université depuis bientôt un an. 

"Recommencer un semestre en distanciel, ça met le moral à zéro. Surtout à une période où on est censé trouver des stages et des masters", soupire Juliette, 20 ans, étudiante en troisième année de licence à l'Université Rennes 2. 

Le sentiment d'abandon face à l'indifférence manifeste du gouvernement n'a fait qu'augmenter le désarroi des étudiants. "À la fin des vacances d'été, on parlait de nous comme les ‘jeunes insouciants', peu disposés à respecter les protocoles sanitaires. Je pense que la goutte d'eau, ça a été quand la ministre de l'Enseignement supérieur a parlé de bonbons que les étudiants laisseraient traîner sur la table en quittant l'amphithéâtre", déplore Victor Pelissier, président de l'association Tutorat & Science Po, qui offre un soutien aux étudiants pour les aider à ne pas décrocher. 

Les cours en distanciel ont atteint leurs limites

Une situation également très instable du côte des enseignants. "Tout le monde est dans le flou, les prévisions du gouvernement concernant la reprise des cours en présentiel changent sans cesse. Cela est très difficile de rassurer nos étudiants dans ce contexte, de les aider à se projeter dans l'année et à s'organiser, puisque nous-mêmes ne savons absolument rien", confie Marie-Noëlle Doutreix, maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'Université Lumière Lyon 2.

"À Rennes 2 nous avons des cours de géographie sur ordinateur qui sont considérés comme des TP. Mais si le cours d'un autre professeur se fait aussi sur ordinateur, sans être considéré comme un TP, il passe en visioconférence. Il y a une certaine confusion, les enseignants sont pris entre deux feux", explique Ugo Thomas, vice-président des étudiants à l'Université Rennes 2.

Pour débloquer la situation, certains professeurs choisissent la désobéissance civile. C'est notamment le cas de Florence Gournay. Mi-janvier, cette responsable du master "Aménagement et urbanisme des territoires littoraux" à l'Université Bretagne-Sud (Lorient), a donné un cours "sauvage" en présentiel. 

"La souffrance des étudiants, et accessoirement la mienne, m'a incitée à braver l'interdit", explique la professeure. "On a fait cours en présentiel dans une grande salle avec 35 élèves, qui ont respecté les gestes barrières et porté leur masque durant tout le cours. Pour eux, c'était un vrai soulagement de revenir. C'était plus facile de suivre, de poser des questions, d'avoir des interactions". Soutenue par ses étudiants, qui ont médiatisé l'initiative, l'enseignante n'a reçu aucune sanction de la part de l'université. 

Retour partiel en présentiel… mais jusqu'à quand ?

Jeudi 21 janvier, au lendemain des premières mobilisations en masse des étudiants pour dénoncer "l'inaction gouvernementale", le président Emmanuel Macron a annoncé plusieurs mesures destinées à leur venir en aide : repas à un euro, chèque psy... Et surtout la présence d'étudiants à l'université autorisée une fois par semaine. Opportunité dont les enseignants n'ont pas tardé à se saisir pour inciter leurs étudiants à revenir dans les salles de cours. 

"J'habite à 3h de route de l'université, donc j'ai hésité à revenir. J'avais peur de déprimer si je devais rester toute seule. D'un autre côté, j'étais tellement contente que nos profs aient demandé une dérogation pour assurer leurs cours en présentiel, que j'ai fait l'effort de revenir", explique Juliette, retournée vivre chez ses parents après la fermeture de son université.

Si ces mesures sont encourageantes, elles sont toutefois loin d'être suffisantes pour combler la profonde détresse dans laquelle sont plongés les étudiants. D'autant qu'on peut se demander si ces heures en présentiel autorisées seront maintenues dans les semaines à venir, alors que la France entière retient son souffle à l'idée d'être reconfinée. 

"Cette période va laisser des cicatrices. Nous n'allons pas oublier l'ignorance dont nous avons été victimes", martèle Victor Pelissier.  

"Des problèmes économiques et structurels qui perdurent depuis de nombreuses années"

Pour Marie-Noëlle Doutreix, il est également important de rappeler que ce mal-être généralisé révèle une faille systémique, présente bien avant l'arrivée du Covid-19 et à laquelle il va falloir s'attaquer en profondeur. "Les conditions étudiantes telles qu'elles sont dénoncées aujourd'hui sont liées à des problèmes économiques récurrents et structurels qui perdurent depuis de longues années. Les budgets octroyés par les pouvoirs publics pour l'encadrement des étudiants sont de plus en plus limités. Leurs stages sont mal, voire pas du tout, payés. Beaucoup doivent travailler en plus de leurs études", souligne la maîtresse de conférences.

D'après des chiffres dévoilés ce jeudi par l'Observatoire national de la vie étudiante, le pourcentage d'étudiants souffrant de fragilités psychologiques a considérablement augmenté en 4 ans, passant de 30% à 40% entre 2016 et 2020. 

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