Villefranche-de-Rouergue. Covid-19 : "Les discours mortifères affectent les enfants"

Abonnés
  • Jennifer Philips, médecin généraliste, et Virginia Pignot, pédopsychiatre.
    Jennifer Philips, médecin généraliste, et Virginia Pignot, pédopsychiatre.
Publié le
Elisa Centis

Le vocabulaire employé pour parler de la crise sanitaire peut créer des angoisses chez les jeunes.

"La peur dévore l’âme", insiste Anne C. citant Fassbinder. La psychologue installée à Villefranche-de-Rouergue tient à alerter sur les effets négatifs, notamment sur les enfants, du vocabulaire médical adopté par de nombreux adultes.

"Le discours interne à l’hôpital est entré dans les tissus sociaux, décrit-elle. On parle de gestes barrières, de précautions, de masques…" Ce vocabulaire a été adopté par les dirigeants politiques, que parents et enfants peuvent écouter toutes les semaines à la télévision ou à la radio. Le Premier ministre, Jean Castex, tient ainsi régulièrement une conférence de presse, retransmise par les médias, sur la situation sanitaire. À chaque prise de parole, est décompté le nombre de personnes contaminées par la Covid-19, le nombre de personnes en réanimation, ou encore le nombre de personnes vaccinées.

"Les enfants n’ont pas la distance nécessaire"

Il s’agit d’un "matraquage de peur, de méfiance, de culpabilité, de maladie et de mort", selon des professionnels en psychologie, psychanalyse et pédiatrie, auteurs de l’article "Impacts traumatiques des politiques sanitaire actuelle sur les enfants : un constat clinique alarmant", publié par le journal France soir en décembre dernier.

Et si les adultes "ont les ressources pour surmonter ces annonces, les enfants, eux, n’ont pas la distance nécessaire", prévient Jennifer Phillips, médecin généraliste qui exercera bientôt au centre médico psychopédagogique (CMPP) de Villefranche. "Il y a des sujets qu’il ne faut aborder qu’entre adulte." Si beaucoup d’enfants parviennent à vivre et même à s’amuser dans le contexte actuel, ce n’est pas le cas de tous. Même si ces professionnels de santé mentale de Villefranche-de-Rouergue n’ont pas vu une augmentation des consultations à ce sujet, certains symptômes observés ont un lien indirect avec le contexte sanitaire. "On remarque que certains enfants ne veulent plus aller à l’école notamment, observe Virginia Pignot, pédopsychiatre au sein du CMPP. Cela arrive lorsqu’ils sentent que l’un de leur parent est fragile. Rester à la maison permet alors de protéger son père ou sa mère." Le contexte actuel peut donner en effet matière d’inquiétude à ces enfants protecteurs. Le monde extérieur a été diabolisé par le risque de contamination.

"Il faut garder raison"

Il faut également veiller à ce qu’une "surcharge de peur des adultes ne soit pas transmise aux enfants", ajoute Norbert Debanc, psychanalyste à Villefranche-de-Rouergue. "Les enfants se font miroir de leurs parents. Ils voient tout ce stress et cela les angoisse", explique Jennifer Philips. Si le parent se sent lui-même fragile, "cela peut être bien qu’il consulte un psychologue, ou s’inscrive dans un groupe de parole, suggère la pédopsychiatre du CMPP. Si l’enfant voit que l’adulte va mieux ce sera un bienfait pour lui."Ces professionnels de la santé mentale conseillent aux parents d’adopter devant les jeunes un discours au contraire rassurant. "Il faut garder raison, insiste Anne C. Regarder ce qu’il se passe dans le village, au sein de la famille." Et ainsi faire observer que "tout le monde va bien", ajoute Jennifer Philips. Un discours positif pour que le discours angoissant des adultes ne contamine pas le monde des enfants.

"Les jeunes ont comme l’impression que cela ne s’arrêtera jamais"

Si ces professionnels de la santé mentale ont observé que les enfants dans leur majorité s’adaptaient, ils remarquent que les plus touchés par la période sont les adolescents et jeunes adultes. "Je remarque beaucoup d’agacement chez les jeunes, notamment en ce qui concerne le masque", insiste Norbert Debanc. "Alors que le retour à l’école après le confinement a été bénéfique pour les jeunes enfants ce n’est pas forcément le cas pour les adolescents, car ils ont constaté qu’ils n’ont pas retrouvé leur vie d’avant. Ils ont l’impression que cela ne s’arrêtera jamais", explique la généraliste Jennifer Philips qui confie n’avoir "jamais autant prescrit d’antidépresseurs", pour les jeunes allant de 15 à 35ans. Pour ceux qui font des études, l’absence de débouchés peut donner l’impression de ne pas avoir d’avenir. Virginia Pignot ajoute que les règles sanitaires ont encore alourdi la crise dans laquelle pouvaient se trouver certains adolescents. "Le moment où l’on quitte l’enfance est une période difficile. Et ne pas pouvoir retrouver ses amis pour faire du sport, ou sa famille, a pu rendre encore plus difficile cette épreuve."

Cet article est réservé aux abonnés
Accédez immédiatement à cet article
2 semaines offertes
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?