Pommes de terre : savoir bien les préparer à l'Aveyronnaise

  • Couleur terre Couleur terre
    Couleur terre
  • Couleur terre Couleur terre
    Couleur terre
  • Couleur terre Couleur terre
    Couleur terre
  • Couleur terre Couleur terre
    Couleur terre
Publié le
Centre Presse

L’art d’éplucher les pommes de terre, comme le faisaient les grands-mères. Et les couper très fin pour les intégrer à un mille-feuilles salé qui va marier les saveurs de l’Aveyron. Une nouvelle recette savoureuse préparée et "racontée" par Alix Pons Bellegarde.

Labourée, nue, creusée, elle dessine, tapisse, recouvre. Regorge, transpire. Elle appelle. Plonger la main, la sentir, l’apprécier. La remercier. Elle qui donne, pas rancunière, sans regarder.

Embarquée en cuisine, d’avec les légumes du jour, le fond de cagots, sous les bottes, ramenée du marché, du jardin, de la journée : la terre. À présent elle coule ; rouille, argile, ébène, glaise ; emportée par le filet d’eau claire ; graine la peau, souille les ongles, le fond de l’évier. Mais il en reste encore, par touches, fardée, sur la poignée de pommes de terre que je viens pourtant de laver. Je la laisse, en silence. Même rincée, la pomme de terre doit pouvoir se souvenir de sa terre.

Le coup de main

Mes grands-mères, elles, avaient le coup de main. L’une savait les peler, doigts de géant mains de fée, au couteau, le pouce sous le légume, l’index sur la lame habituée, n’enlever que la peau, effeuiller, sans entailler la chair ; l’autre, assise, bossue sur sa chaise, savait les couper, à hauteur poitrine, à la volée, en fines lamelles de mandoline, parfaites, tombant invariables, poussées l’une par l’autre sur le fil, dans le pli du tablier – d’un geste sûr, tout juste une heure avant dîner.

J’en compte aujourd’hui une à deux par personne, les tranche, les détaille – je me souviens. Puis par couches successives, les dépose une à une, mes pommes de terre en rondelles, sur l’huile verte, bouquet-tapenade- retours-d’ail, au lit de laquelle les confier, placées en spirale, depuis le centre du poêlon toujours hors feu. S’arrêter à temps, les bords doivent respirer.

Mille-feuilles salé

Premier étage, deuxième, troisième : huile, tour de poivre, sel gris, humide, pluie fine de piment d’Espelette. Recommencer.

Premier étage, deuxième, troisième : huile, tour de poivre, sel gris, humide, pluie fine de piment d’Espelette. Recommencer. Ça sent, ça parle. Ça prend le nez, ça lance presque. Continuer.

À froid toujours, saupoudrer de deux Cabécous du Fel – secs, presque rances –, finement râpés. Pour qu’ils fondent sur la langue, acides, salins.

J’en réserve un troisième, sur la table, pour que chacun se serve à volonté. Et un autre encore, pour le plaisir, sur le côté.

Puis feu ! Enfin. À l’équilibre, entre doux et vif. J’écoute. Sans couvrir. Je laisse dorer, absorber. J’huile au besoin, pour surtout ne pas laisser accrocher. Je veux du gourmand, de l’arrondi, du croustillant. De la dentelle à la lisière, du lourd au centre de la forêt. Ça confit, ça couve.

Le tour va roussir, se séparer du bord. – Sans brouir. Légèrement se lever, d’autant que la galette se resserre, se blottit. Croûté à la périphérie, fondant à l’intérieur, moelleux, insolent. Je guette. Au besoin, j’étouffe un instant au couvercle pour ramollir à cœur, puis libère à nouveau. Naviguer à vue, c’est la clef. Soudain, c’est le moment : un torchon sur le bras, une assiette renversée, d’une traite, délicatement, je retourne. Victoire. Miroir : je laisse brunir l’autre côté. La chaleur doit rester régulière. Cette fois, ne recouvrir sous aucun prétexte. Ne pas se presser.

Tome d’Aubrac et vin d’Entraygues

À un instant de la fin, je laisse filer dans une casserole une portion de tome d’Aubrac, piquée de gros sel – les cristaux sauront dériver –, semée de poivre fraîchement moulu et d’une pincée de muscade. Au dernier moment, je la marierai.

La poêle fait signe. Je fais glisser le mille-feuilles sur un plat, le parsème de graines d’orties séchées, d’une ou deux fanes laissées en plan sur le buffet, et d’un peu du fromage réservé. Ça finit de fondre, de suinter. Je coupe aux ciseaux mes parts. À table. Chenin blanc, gamay d’Entraygues – notes d’amandes grillées. Terre croquante, délicate. Terre imbibée. Terre-mémoire. Dîner friandise.

Cheffe et chercheuse

Aux racines indiennes et catalanes, aveyronnaise d’adoption, Alix Pons Bellegarde est cheffe-chercheuse. Avec l’anthropologue Antonin Pons Braley et leurs enfants, elle parcourt le monde pour archiver les cultures culinaires des régions insulaires et nordiques.Le couple fonde en 2021 sa marque "Famille Pons Bellegarde" et la revue "Salt Letters" dédiée à l’univers du sel.Elle livre chaque semaine aux lecteurs de Centre Presse un journal de bord aveyronnais de sa cuisine.Sur Instagram, deux adresses : alix_pons_bellegarde ou ponsbellegardeEt très prochainement sur le site internet ponsbellegarde.com
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?