Présidentielle 2022 : à son tour, l'Aveyron, gagné par le populisme, renverse la table au premier tour
Des partis traditionnels qui ont fait son histoire politique, l’Aveyron s’affranchit sans complexe désormais en ouvrant ses suffrages à un populisme devenu (presque) présentable.
Que reste-t-il de nos amours, celles du centre droit dominant cher à l’Aveyron durant des décennies ? Et mieux encore celles du clivage rassurant entre conservateurs et progressistes qui identifie clairement le débat ? Les cartes sont rebattues, instaurant le contraste entre traditions et modernité, cette dernière invitant dans les urnes des mouvements pour lesquels on n’aurait guère osé se prononcer dix, voire cinq ans plus tôt.
Ainsi Marine Le Pen, dont les habits neufs de la candidate dédiabolisée grâce à l’apparition d’Éric Zemmour, plus brutal s’il en est, dédouanent les électeurs. L’ancien polémiste creuse d’évidence à ce scrutin la voie du canal protestataire, il fait en Aveyron ce que Le Pen faisait jusqu’en 2012 au moins… À cette époque, quelques communes avaient voté jusqu’alors Le Pen, la fille ou le père, sans renouveler l’exploit nécessairement, sans que l’on ne comprenne vraiment les raisons du message des votants, si ce n’est l’expression d’une colère.
Les ferments du populisme
De colère, point vraiment cette fois, mais une envie de renverser la table dans un département rural, enclavé, à la peine économiquement, loin des centres de réflexion « où tout se décide loin de nos préoccupations du quotidien ».
Les modestes, les humbles, face aux élites, aux nantis : il n’en faut pas plus pour verser dans un populisme devenu (presque) présentable. En tout cas décomplexé dans cet Aveyron qu’ont toujours rendu frileux les extrêmes.
45 communes pour Le Pen, 34 de plus qu’en 2017
Et voilà donc que, dimanche, 45 communes ont placé Marine Le Pen en tête des suffrages, devant Macron ou Mélenchon. Un record. Elles étaient onze en 2017. Ce premier tour a vu émerger des scores pour la candidate du Rassemblement national, assez confortables : 28,07 % à Saint-Symphorien-de-Thénières, 29,68 % à Saint-Jean-du-Bruel, 32,88 % à Lestrade-et-Thouels, 33,97 % à La Cavalerie, ou encore 31,72 % à Boisse-Penchot, commune qui avait voté Mélenchon en 2017.
Mélenchon en recul malgré le vote utile
Des 34 « communes converties », quatre ont été ainsi acquises par Marine Le Pen au détriment de Jean-Luc Mélenchon qui en affichait 42 en 2017. Il est vrai que les Insoumis étaient alors alliés aux communistes au sein du Front de Gauche, ce qui n’est pas le cas cette fois : la dilution, y compris au niveau national n’a permis à Mélenchon que de conserver 28 communes qui l’ont placé en tête des votes, mais de lui garantir en Aveyron un score quasi identique en cinq ans (19,15 % contre 19,66 % en 2017). En progressant dans les villes du département.
On y verra moins la tentation d’un populisme que le sens du vote utile, le leader de la France insoumise étant largement attendu à gauche, comme étant capable de se qualifier pour le second tour.
Jean Lassalle au nom de la ruralité à sauver
Au-delà du Rassemblement national, on ira trouver ce glissement vers le radicalisme populaire chez Jean Lassalle, qui a carrément mis le pied dans la porte dimanche en Aveyron, bien plus qu’il n’est parvenu à le faire au niveau national. On retrouve dans le tonitruant député béarnais, le discours du David contre Goliath qui sied à l’Aveyron rural, en panne d’un défenseur des modes de vie, d’un pourfendeur des inégalités territoriales. Un accent ami, des saillies à l’Assemblée nationale, des chansons rustiques sur internet, il fait campagne sans la faire vraiment avec un programme d’empathie qui ne saurait faire peur à personne, sauf si on le lit entre les lignes… Et voilà celui qui témoignera d’un ras-le-bol de la « politique à la parisienne » qui a plombé Pécresse ou Hidalgo et que représente toujours l’arrogance reprochée à Macron.
Du vote d’estime au vote sanction
Jean Lassalle s’infiltre doucement en 2017 avec 3,66 % des suffrages, un vote d’estime. Il s’épanouit en terre aveyronnaise (qui le lui rend bien) avec 8,68 %, à la quatrième place. Si trois communes seulement l’ont porté en tête des votes, six autres l’ont placé en seconde position avec, toujours, plus de 20 % des suffrages, Murasson prenant la plus haute marche du podium avec 25,81 %. En revanche, il navigue sans surprise dans les trois grandes villes entre 4 et 6 %.
Dans cette société désormais recomposée, l’Aveyron s’affranchit un peu plus, à chaque consultation, de son catéchisme politique fait de sentiments modérés mais sincères, de racines partisanes cultivées en héritage. Une évolution au nom de la défense du territoire et de son identité, plus profonde qu’il n’y paraît, qu’un brassage des populations et des générations ne peut expliquer à lui seul. Et qu’un Emmanuel Macron a réussi à imposer.
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