A Marseille, quand accéder à une bibliothèque devient un luxe

  • A Marseille, deuxième ville de France, la lecture est devenue un luxe.
    A Marseille, deuxième ville de France, la lecture est devenue un luxe. Eliott Reyna / Unsplash
Publié le
ETX Daily Up

(AFP) - Seulement neuf bibliothèques pour près de 900.000 habitants, dont la principale n'est ouverte que 25 heures par semaine faute d'effectifs: à Marseille, deuxième ville de France, la lecture est devenue un luxe que seules les associations, dans certains quartiers défavorisés, rendent encore accessible.

Le mal n'est pas nouveau mais le manque de personnel a atteint récemment un niveau critique.

Deux bibliothèques du centre-ville ont ainsi dû rester fermées plusieurs mois entre 2020 et 2022 et l'Alcazar, navire amiral du réseau avec ses 18.000 m2 à deux pas du Vieux-Port, n'ouvre plus que les après-midi.

"Ces 25 heures par semaine pour l'Alcazar (contre 40 heures avant 2019, NDLR), ça ne passe pas parce qu'une partie des utilisateurs sont des jeunes qui n'ont pas de lieu de travail chez eux", explique à l'AFP José Roze, président de l'Association des usagers des bibliothèques de Marseille.

La ville ne dispose que de 25.000 m2 de bibliothèques municipales, soit 0,03 m2 par habitant, trois fois moins que Lyon (0,1 m2 par habitant) et ses 16 bibliothèques.

"On ne dira jamais assez le caractère catastrophique de l'affaire", martèle Alain Milianti, vice-président de l'association des usagers. "Dans une ville marquée par la pauvreté, il y a des pans entiers de la population qui ont un besoin vital d'accès à ces lieux de vie".

Parmi les arrondissements dépourvus de bibliothèques figurent en grande partie les plus pauvres.

Dans un rapport rendu en juin, l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) constate un "état dégradé du réseau, dont la situation a encore empiré" depuis 10 ans.

- "Décrue continue" -

"Non seulement le réseau est rachitique aujourd'hui mais cet existant, mis progressivement à l'agonie, ne peut pas fonctionner", détaille Alain Milianti, fustigeant "la résultante de 25 années de néo-libéralisme" de l'ancien maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin.

Il voulait, selon lui, "réduire la voilure du service public", notamment en ne remplaçant pas les départs à la retraite.

Ces départs non remplacés, couplés à "un taux d'absentéisme élevé lié à un vieillissement des équipes, à des reclassements multiples d'agents peu motivés" ou encore "à l'épuisement de ceux qui sont restés" ont conduit depuis 2004, date de l'ouverture de l'Alcazar, à une "décrue continue" des effectifs (-31%) jusqu'en 2021, rapporte l'IGESR.

"Marseille dépense trois fois moins que Lyon pour la masse salariale des personnels des bibliothèques", ajoute-t-elle.

"J'étais dans les écoles, j'ai été reclassée, le travail est intéressant mais je sature, il y a trop de choses qui ne vont pas", témoigne anonymement une agente travaillant à la bibliothèque du Merlan, dans un quartier défavorisé où les agents se sentent "un peu abandonnés".

"Dès qu'on veut faire quelque chose, on nous dit qu'il n'y a pas le budget", poursuit-elle.

A l'Alcazar, l'IGESR relève en outre "un mal-être persistant dû à l'emprise d'un syndicat et de son principal représentant" au sein de la bibliothèque, une "situation bien connue à l'échelle de la ville sous le terme de +cogestion+".

Dénonçant des faits notamment de "harcèlement", de "diffamation" et "d'injures publiques" par un agent membre de ce syndicat, l'actuel directeur des bibliothèques de Marseille, Pierre Chagny, a adressé en juin 2021 une "alerte éthique" à la mairie.

Force ouvrière, le syndicat visé, y voit des "accusations totalement imaginaires" et assure avoir lui-même, dès février 2021, alerté l'administration sur "le management plus qu'à décrier" du directeur. La ville a ouvert une enquête administrative.

Dans les bibliothèques marseillaises, il manque "90 postes au moins pour revenir à un fonctionnement normal des services existants", selon l'Inspection de l'Education.

- Promesse de rénovation -

"Dans le mandat, on aura rattrapé bon nombre de ce déficit pour que les neuf bibliothèques soient ouvertes et dans des horaires qui correspondent aux besoins", assure Jean-Marc Coppola, adjoint à la culture dans la nouvelle municipalité de gauche arrivée au pouvoir en 2020.

Il promet aussi "un plan de rénovation des bibliothèques" avec un démarrage des travaux au printemps 2023.

Depuis 2020, une trentaine d'agents ont été recrutés, affirme M. Coppola, mais "il faut trouver des gens qualifiés".

Conséquence des carences du réseau: en 2019, les emprunteurs actifs représentaient 5,15% de la population marseillaise, "soit le taux le plus faible de toutes les villes de plus de 100.000 habitants" en France, d'après l'IGESR.

"Quand il n'y a pas de proximité, il n'y a pas d'usage", se désole M. Roze. Or, "à partir du moment où il faut trois quarts d'heure ou une heure pour se rendre en centre-ville (qui concentre l'essentiel de l'offre en bibliothèques, NDLR), on ne vient pas".

- "Petite lueur" -

Palliant les défaillances du service public, deux réseaux associatifs ont "pris une ampleur inédite en France", notamment dans les quartiers paupérisés.

L'Acelem anime ainsi sept espaces lecture au pied des immeubles et oeuvre depuis bientôt trente ans pour "amener le livre au plus près des habitants des quartiers qui n'avaient pas accès au réseau de lecture publique", raconte Chrystine Bernard, coordinatrice de ces espaces.

L'objectif est "de faire passerelle" pour amener les gens des quartiers "vers le réseau de lecture publique" avec lequel l'Acelem collabore.

Pour autant, "rien n'oblige une municipalité à ouvrir des bibliothèques malheureusement", regrette-t-elle.

Après l'inauguration, en 2020, de la médiathèque Salim-Hatubou dans le 15e arrondissement, c'est un autre secteur pauvre, le 3e --sans aucune bibliothèque jusqu'ici-- qui devrait en être doté en 2026, a annoncé la mairie ce mois-ci. Une "petite lueur positive", pour M. Roze.

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?