Depuis 640 ans, la tour de Sénergues veille sur la commune : retour sur l'histoire de ce joyaux architectural

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  • La tour et le logis seigneurial sont inscrits au répertoire supplémentaire des Monuments historiques depuis 1979.
    La tour et le logis seigneurial sont inscrits au répertoire supplémentaire des Monuments historiques depuis 1979. Photo - J. C. RICHARD
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Centre Presse Aveyron

Depuis huit siècles, le château et la tour sont la propriété de la descendance directe de Béraud de Sénergues. C’est en 1382 que la tour a été érigée par le seigneur Aymeric de Sénergues. Et ce, pour mettre en sécurité ses sujets contre l’occupant anglais.

Le premier personnage identifié de la famille de Sénergues est Béraud, seigneur donc de Sénergues, et son épouse Hugue, en 1252. On retrouve son nom dans plusieurs actes en 1256 et en 1267. Dans ce dernier, noble Béraud de Sénergues rend hommage au seigneur de La Servayrie, seigneur de Moret, pour la place et la seigneurie de Sénergues, acte enregistré par le notaire de Peyrusse. Sénergues, à cette époque, dépendait du bailliage de Peyrusse.

C’est 130 ans plus tard, vers 1382-1383, que le fils de Bertrand de Sénergues, Aymeric, époux de Ricarde Aymare de Roquemaurel, entreprend la construction de la tour carrée. Mais, pour en comprendre les raisons, il convient de faire référence à l’Histoire de France et aux débuts de la guerre de Cent ans en 1337. Jean II le bon (1319-1364), fils et successeur de Philippe VI de Valois, doit dans un premier temps faire face, de 1353 à 1356, à Charles le mauvais, roi de Navarre qui conteste sa légitimité. Il doit lutter ensuite contre les Anglais.

Lors de la désastreuse bataille de Poitiers, le 19 septembre 1356, il est fait prisonnier par Édouard, prince de Galles, dit le Prince noir, fils du roi d’Angleterre Édouard III, parent du roi de France. La captivité de Jean II le bon à Londres prendra fin en 1360 avec le traité dit de Brétigny, ratifié à Calais le 24 octobre. Selon les clauses de ce traité, le roi de France abandonne toute souveraineté au profit du roi d’Angleterre sur la Guyenne, la Gascogne, l’Agenais, le Poitou, le Limousin et le Rouergue. Tout au moins sa partie occidentale qui faisait partie du royaume de France.

Cinq ans pour construire la tour

À cette époque, Sénergues dépendait de la sénéchaussée du comté de Rouergue, à Villefranche, qui appartenait au royaume de France. Espeyrac, distant d’une lieue, dépendait du comté de Rodez et n’était pas concerné par ce traité. Le roc de la boule au Puech de l’église, entre Higonès et Saint Beauzel, marque encore cette "frontière" entre les deux comtés.

Les troupes de mercenaires levées pour cette occasion se sont trouvées livrées à elles-mêmes par la suspension momentanée des hostilités. Appelés les "routiers", ces bandes pillaient tout, semant la terreur sur leur passage. En octobre 1366, une bande de 2000 glaives anglais, en provenance du Quercy, ont pénétré en Rouergue par la vallée du Lot. Après avoir fait des exactions dans divers lieux (Vieillevie, Montarnal, Espeyrac, Golinhac, Entraygues et Espalion), ils se sont dirigés vers Aubrac. Sénergues a été épargné.

On peut légitimement penser que Le Prince noir, nommé par son père le roi d’Angleterre Édouard III pour administrer l’ancien domaine des Plantagenets reconstitué, avait défendu aux "routiers" de faire des exactions sur le territoire anglais, dont Sénergues faisait partie.

Ces événements et l’insécurité de l’époque, avec des escarmouches contre l’occupant anglais, renouvelées jusqu’à la bataille victorieuse de Castillon en 1453, ont conduit les seigneurs du Rouergue à édifier des tours carrées pour mettre en sécurité leurs sujets. Nous en trouvons sur l’Aubrac avec la tour des Anglais, à Valon, dans la vallée de la Truyère, à Tholet, à proximité de Gabriac, et plus près de Sénergues, celle de Mouret édifiée par l’abbé de Conques, Raymond de Reilhac, pour n’en citer que quelques-unes,

Cela a été le cas à Sénergues, où, en 1382, Aymeric entreprend l’érection d’une tour carrée en granit à trois étages. Son édification va durer cinq ans. Nous le savons par un acte du 31 décembre 1387 dans lequel Aymeric rend hommage au seigneur d’Entraygues "pour la tour nouvellement bâtie".

Propriété de la descendance de Béraud de Sénergues

"Ce donjon n’offre qu’une seule porte et quelques rares et étroites ouvertures. Au premier étage, pièce basse pour cuisine avec évier, grande cheminée à chanfrein particulier au XVe siècle. Porte ouverte pour accès à la tourelle de l’escalier. Deuxième étage, cheminée et fenêtres avec banquettes aux archers. Système de défense du troisième étage exactement semblable à celui du château fort de Beaucaire, quatre fenêtres deux avec banquettes aux archers. Deux créneaux et trois merlons sur chaque carré. Chemin de ronde extérieur sur mâchicoulis." (1) Cette tour était reliée par un souterrain avec l’église et le presbytère, ce qui formait un ensemble complet pour la protection et la sécurité des habitants du bourg. Ce souterrain n’est plus accessible actuellement.

À la demande du seigneur de Sévérac et du comte de Rodez, Aymeric et son frère aîné Amalric, mais également Raymond de Montarnal, ont participé activement à la lutte contre les "routiers" et les Anglais. Aymeric a été récompensé avec l’octroi de haute justice, par Amaury de Sévérac, ce qui autorise son détenteur à juger et à condamner. Fait exceptionnel et remarquable, le château et la tour sont toujours la propriété, depuis huit siècles, de la descendance directe de Béraud de Sénergues. Les deux monuments ne se visitent pas.

La tour et le logis seigneurial sont inscrits au répertoire supplémentaire des Monuments historiques depuis 1979.

(1) Sources : "Excursion archéologique du canton de Conques" par Gonzague Grinda et Louis de Gonzague (1876), page 201, extraits. "Sénergues en Rouergue" (1998) de Monique et Henri Gras.
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