Quésaco : "l'excuseflation" ou le prétexte d'augmenter les prix

  • Bloomberg a trouvé un néologisme pour décrire le choix des industriels d'augmenter les prix en utilisant le prétexte de la situation inflationniste.
    Bloomberg a trouvé un néologisme pour décrire le choix des industriels d'augmenter les prix en utilisant le prétexte de la situation inflationniste. hernan4429 / Getty Images
Publié le
ETX Daily Up

(ETX Daily Up) - Si le contexte économique actuel génère des augmentations de prix, il engendre aussi divers néologismes qui tentent de résumer en un seul mot un phénomène. Aux Etats-Unis, on parle de 'eggflation' pour évoquer la flambée des prix des oeufs et de 'lunchflation' pour les produits cuisinés à l'heure du déjeuner. De l'avis de certains analystes et intellectuels, la guerre en Ukraine a souvent bon dos pour justifier la montée des prix. La conséquence de ce prétexte a désormais un nom : l'excuseflation.

La flambée des prix à la consommation n'a échappé à personne. En France, ils ont augmenté de 5,9% en avril par rapport à l'année dernière, et même de 15% dans l'alimentation. Alors que les foyers aux revenus modestes ont adopté des stratégies pour joindre les deux bouts, comme sauter un repas ou réduire les portions dans l'assiette, les paniers anti-inflations mis en place par la grande distribution sont aussi censés aider les familles à remplir le caddie à moindre coût. Mais c'était sans compter sur l'UFC-Que Choisir et sa dernière analyse publiée en début de semaine qui a repéré une augmentation des prix sur des produits censés rester bloqués : +1,5% en moyenne chez Intermarché, +1,4% chez Casino et +1% chez Super U. Alors que ces résultats suscitent la controverse, tant du côté de Bercy qui conteste la méthodologie que de celui des distributeurs pointés du doigt (comme Super U expliquant "nous menons une opération à prix coûtant, ce qui signifie que nous ne prenons pas de marge, ce 17 mai par le ministère de l'Economie pour négocier et obtenir des prix à la baisse en rayons. De leurs côtés, les producteurs de tomates ont dénoncé les marges abusives de la grande distribution au mois d'avril dernier. Légumes de France avançait un taux de marge à 84% pour les tomates en grappes françaises à fin mars, selon la base de données de FranceAgriMer.

Les raisons de cette inflation sont désormais connues. Il y a d'abord eu le redémarrage de l'économie après de nombreuses semaines de confinement engendrées par la crise sanitaire. "Les entreprises peinent à répondre à la rapide augmentation de la demande, car elles rétablissent leurs chaînes d’approvisionnement, durement touchées par la pandémie. Des difficultés telle que la pénurie de conteneurs de transport ont rendu l’acheminement des marchandises plus complexe et plus onéreux. Plus ces difficultés perdureront et plus grande est la probabilité que les entreprises répercutent ces coûts sur leurs clients en appliquant des tarifs plus élevés", expliquait la Banque centrale européenne en novembre 2021 sur son portail en ligne. Il faut aussi avoir à l'esprit l'augmentation des prix de l'énergie. "Un manque de vent au Royaume-Uni a eu pour conséquence un arrêt des éoliennes ; la sécheresse au Brésil a engendré une moindre production d’énergie hydroélectrique ; et l’hiver froid de l’an dernier a entamé nos réserves de pétrole et de gaz. Conjugués à la demande croissante, ces facteurs ont entraîné une progression rapide des prix. Une majeure partie des coûts supportés par les entreprises et les ménages étant liés à l’énergie, les prix du pétrole, du gaz et de l’électricité ont une incidence déterminante sur l’inflation globale : l’accélération récente de l’inflation est attribuable pour moitié à la hausse des prix de l’énergie", ajoute la BCE. Rappelons en effet que l'inflation n'a pas été consécutive à la guerre en Ukraine ; le conflit n'a été qu'un élément supplémentaire à la montée de plus en plus progressive des prix, comme nous l'avait fait remarquer Flavien Neuvy, le Directeur de l'Observatoire Cetelem.

Le prétexte, cette autre raison d'augmenter les prix

Tandis qu'il ne faut pas oublier non plus les conséquences économiques de la guerre en Ukraine, le média américain du groupe financier Bloomberg a ajouté une nouvelle raison à la flambée des prix, utilisant un néologisme pour dire tout haut ce que de nombreux consommateurs pensaient tout bas : "l'excuseflation" - contraction d'excuse et d'inflation. Il s'agit de pointer les industriels prenant le contexte économique comme prétexte pour gonfler les prix. "Beaucoup d’entreprises ont augmenté leurs prix en prenant pour prétexte des faits exceptionnels, sinon saugrenus, et elles commencent à voir ce que le consommateur est prêt à encaisser. Une fois que vous avez fait passer une hausse de prix, une fois que vous constatez que le consommateur est prêt à l’accepter, vos marges augmentent à mesure que le coût de vos intrants revient à la normale", a confié Samuel Rines, le directeur général Corbu, une société d'analyse et de conseil, à Bloomberg. L'analyste pointe du doigt des géants comme PepsiCo ou le distributeur Walmart.

Si c'est le néologisme qui porte cette actualité, en réalité le phénomène a déjà été décrit autant par des universitaires que différents acteurs de la distribution. En mai 2022 déjà, Michel Albouy, un professeur émérite à l'école de management de Grenoble, l'identifiait comme un "effet d'aubaine", sur France Bleu Isère. Au départ, il y a bien une augmentation des prix, en l'occurrence celle de l'énergie. "Les gens voient que les prix augmentent, donc les industriels ou les autres entreprises augmentent leurs prix, ils suivent", avait-il expliqué.

Cette "excuseflation" est en fait un sujet récurrent puisque pas plus tard que le 25 avril dernier le patron médiatique des hypermarchés E.Leclerc, Michel-Edouard Leclerc, a déclaré sur BFMTV que "les industriels ont prétexté la guerre en Ukraine en 2022 pour augmenter les prix". Nombre de services du quotidien se sont engouffrés dans la brèche, y compris les opérateurs de téléphonie. L'Association nationale des négociants et exportateurs de vins et spiritueux portugais avait aussi indiqué à Vitisphère que les prix des bouteilles avaient progressé de 55% depuis la guerre en Ukraine tandis que les tarifs des engrais et des intrants avaient plus que doublé.

Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?