Décès de Paul Bocuse : « C’était notre père à tous »

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    Décès de Paul Bocuse : « C’était notre père à tous »
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Centre Presse / AFP

Paul Bocuse laisse un héritage énorme à la gastronomie française et mondiale: il a contribué à la starisation des chefs et apporté une modernité à la cuisine, même s’il a fini par incarner un certain classicisme français.

«C’est celui avec qui Henri Gault et Christian Millau ont lancé la Nouvelle cuisine. Il a été à l’origine de ce big bang dans la gastronomie française et mondiale», explique à l’AFP Côme de Chérisey, patron du guide Gault & Millau.

C’est une simple salade de haricots verts croquants qui fait naître ce mouvement révolutionnaire. Au milieu des années 60, Gault et Millau goûtent chez Bocuse ce plat et d’autres, qui suscitent l’envie d’une cuisine affranchie des canons de la tradition française.

Le travail d’autres cuisiniers s’inscrit dans cette tendance, comme les frères Troisgros, Michel Guérard, Alain Senderens ou Alain Chapel. En 1973, Gault et Millau lancent leur manifeste pour une «Nouvelle cuisine»: cuissons plus courtes, moins de sauces, utilisation des produits du marché.

«Cela a vraiment révolutionné la cuisine et cela continue à marquer des générations de chefs», souligne Côme de Chérisey. «Quand Yannick Alléno lance son livre sur les sauces il y a deux ans, il se réfère aux commandements de la Nouvelle cuisine».

Inspirateur de la Nouvelle cuisine, Bocuse refusait pour autant d’en être l’ambassadeur. «Je n’ai jamais fait de nouvelle cuisine, à part une salade de haricots verts qui a laissé tout le monde sur le derrière. La nouvelle cuisine, c’était rien dans l’assiette, tout dans l’addition!», disait-il au critique François Simon en 2007.

«C’était un homme de la terre, il aimait la terre, il la respectait, il magnifiait le produit, il était contre une cuisine trop moderne. Sa cuisine soi-disant passéiste était complètement dans le ton actuel», affirme à l’AFP le chef Marc Veyrat.

Pour un autre chef, Philippe Etchebest, «Paul Bocuse fait partie des bases et en cuisine, il n’y a pas de créativité sans fondamentaux».

«Paul Bocuse était cette base-là, ce socle qu’on avait pour nous exprimer. Il s’est construit tellement de choses autour de ce socle», dit-il à l’AFP. «C’était un peu notre père à tous, notre référent».

Au-delà de son travail, Bocuse est celui qui a donné un statut, une médiatisation au cuisinier. Bocuse a aussi été l’un des premiers, bien avant Alain Ducasse, à revendiquer le fait qu’un chef pouvait ne pas être toujours lui-même derrière les fourneaux, mais laisser un autre officier en son nom. C’est comme cela qu’il a créé un véritable empire autour de son nom.

Il y a bien sûr l’Auberge trois étoiles à Collonges, son village natal, les brasseries à Lyon, mais aussi des adresses au Japon et aux États-Unis: Paul Bocuse, décédé samedi, laisse derrière lui un empire de plusieurs dizaines de millions d’euros.

De loin, avec sa façade framboise et pistache, on croirait un décor de théâtre. Le restaurant de Collonges, trois étoiles au Michelin depuis 1965, fait figure de «vitrine» et attire encore des milliers de gourmets de la région lyonnaise et des quatre coins de la France et du monde, n’en déplaise à certains critiques lassés du classicisme de sa cuisine.

L’avenir après la disparition de «Monsieur Paul» ? La responsabilité repose en grande partie sur les épaules de son directeur, Vincent Leroux, époux de la petite-fille du patriarche.

Mais le groupe compte nombre d’autres adresses à Lyon et dans le monde, dont Jérôme, le fils né de la deuxième union de Paul, est aujourd’hui principalement à la tête.

A l’origine, le «pape» de la gastronomie s’était associé à Jean Fleury pour lancer la mode des brasseries de grands chefs, avec quatre tables portant le nom des points cardinaux (Nord, Sud, Est et Ouest), ouvertes à Lyon entre 1994 et 2003. L’idée: on déjeune «chez Bocuse» mais dans des «brasseries conviviales», autour d’un plat du jour et d’un verre de vin.

En 2010, les deux associés avaient ouvert le capital du pôle brasseries au fonds Naxicap Partners. Des salariés étaient également entrés au capital pour «avoir une part du gâteau», comme le souhaitait le grand chef.

Le succès de la formule a vu naître d’autres restaurants à Lyon et alentour, comme le Comptoir de l’Est dans la gare des Brotteaux, Marguerite ou la Brasserie des Lumières du Parc OL, le stade de foot de la ville. Le groupe s’est lancé également dans la restauration rapide à la française, avec la chaîne «Ouest Express» qui compte aujourd’hui quatre enseignes.

Mais l’empire ne se limite pas à la capitale des Gaules. Ambassadeur de la cuisine lyonnaise et plus largement française, Paul Bocuse a été l’un des premiers chefs à voyager à travers le monde. Il a très tôt revendiqué le fait qu’un chef pouvait ne pas être toujours lui-même derrière les fourneaux mais laisser un autre officier à sa place.

En 1982, il s’associe avec deux autres grands noms de la gastronomie, Gaston Lenôtre et Roger Vergé, pour ouvrir un pôle de restauration dans le parc de Disneyworld, à Orlando, en Floride. C’est désormais son fils Jérôme qui est aux commandes de ce complexe qui réalise plus de 35 millions de dollars de chiffre d’affaires.

Au Japon, Paul Bocuse est carrément une icône: il a été le premier chef à y ouvrir des franchises, dès 1979. Huit brasseries, dirigées par le Japonais Hirotoshi Hiramatsu, y portent son nom. Il y a également des «corners» d’épicerie fine et de produits dérivés.

A sa disparition, cet empire «devrait continuer sous le nom de Bocuse», assure-t-on dans le groupe. D’autant que Jérôme a également racheté en 2015 les parts de Naxicap Partners pour prendre le contrôle des huit établissements lyonnais - hors auberge et fast-food - qui cumulent pas loin de 30 millions de chiffre d’affaires. Le fils est aussi propriétaire de la marque détenant les franchises japonaises.

Pour perpétuer le nom, il y a encore l’Institut Paul Bocuse à Ecully, une école de management en hôtellerie, restaurant et arts culinaires, par laquelle sont déjà passés de nombreux étudiants français et étrangers.

Sans oublier les Bocuse d’or, ces prestigieux jeux Olympiques de la gastronomie créées en 1987, qui voient s’affronter tous les deux ans des candidats du monde entier. Ni les Halles Paul Bocuse à Lyon, en face desquelles un immense portrait du chef orne la façade d’un immeuble.

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