Assises de Rodez : Jordan d’Haïty, le procès d’une violence ordinaire

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  • Pour l’avocat général,  Chérif Chabbi, l’accusé est  « une gueule cassée des temps modernes ». Pour l’avocat général,  Chérif Chabbi, l’accusé est  « une gueule cassée des temps modernes ».
    Pour l’avocat général, Chérif Chabbi, l’accusé est « une gueule cassée des temps modernes ». Centre Pressee - Charles Leduc
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Mathieu Roualdés

Entre huit et dix ans de prison ont été requis par l’avocat général, Chérif Chabbi, à l’encontre de Jordan d’Haïty, accusé de tentative de meurtre. Hier, la cour s’est une nouvelle fois attachée à "contextualiser" l’affaire. Verdict attendu aujourd’hui.

Saint-Martin, c’est la drogue, la violence, les gangs. Et en venant à Millau, j’ai retrouvé ça…" Depuis le début de son procès, Jordan d’Haïty n’a cessé de le répéter, souvent avec fatalité. Sa vie, c’est celle d’un jeune élevé au grain de la criminalité, rejeté par sa mère "car trop foncé de peau, un signe de malédiction pour elle" et d’un père absent, certainement assassiné dans un sombre règlement de comptes. Avant d’être livré à lui-même dans les rues de Saint-Martin, petite île des Antilles françaises, à côté de Saint-Barth’, "l’île des bourgeois", comme le dira l’accusé.

Lui, sa vie n’a pas été dorée. Trafic de stupéfiants, bagarres, premiers coups de couteau au collège, premières condamnations avant sa majorité… Jusqu’à atteindre le Graal de la délinquance : l’entrée dans un gang. Jordan d’Haïty l’a reconnue et s’en est affiché en grand sur les réseaux sociaux. À Millau, où il est arrivé à l’âge de 19 ans sur les conseils d’un cousin, l’homme n’a pu se défaire de ce passé, de cette violence. Très vite, il a accumulé les passages en comparution immédiate au tribunal de Rodez. Jusqu’à commettre l’irréparable, presque, le 16 juin 2013, en assénant un coup de couteau en pleine tête d’un autre ressortissant de la communauté saint-martinoise, Nicolson, alors âgé de 19 ans et véritable miraculé aujourd’hui.

"C’est une gueule cassée des temps modernes"

Ce geste, d’une rare violence, Jordan d’Haïty n’est pas franchement parvenu à l’expliquer dans le box des accusés. Il a mis en cause ses "mauvaises fréquentations", "ses mauvais choix" également. Comme celui d’intervenir de la sorte ce dimanche matin de 2013 dans une "embrouille à cause d’une histoire de jalousie" entre deux hommes qu’il connaissait pourtant bien… "J’ai essayé de calmer les choses puis j’ai paniqué. Et j’ai pris le premier objet qui traînait sans réfléchir. Malheureusement, c’était un couteau", a-t-il indiqué hier, lors du deuxième jour des débats. Cette violence soudaine, l’avocat général, Chérif Chabbi, a, lui, tenté d’y trouver une explication, "sans la justifier", lors de son réquisitoire. "Jordan d’Haïty, c’est une gueule cassée des temps modernes", a-t-il répété. Avant de s’attarder longuement sur la situation de Saint-Martin et de sa triste réputation : une île de 35 000 habitants, où misère et criminalité cohabitent derrière un paysage de carte postale. "Marseille, la Corse, la Seine-Saint-Denis, ce n’est rien à côté ! La Guadeloupe et Saint-Martin réunissent les cinq communes françaises dans lesquelles il y a le plus d’homicides commis ! À Saint-Martin, il y a 150 vols à main armée par an. A Rodez, il y en a un…", a-t-il rappelé. Avant d’évoquer le quotidien de ces jeunes de Saint-Martin, débarquant à Millau en pensant y trouver une "autre vie", et ne se séparant véritablement jamais de leurs passés, de leurs vieux démons parfois.

Jean-Ronald d’Haïty, agression des rugbymen de Clermont…

Au début des années 2010, la communauté saint-martinoise de Millau avait fait la Une de l’actualité en perdant l’un des siens, Jean-Ronald d’Haïty, tué lors d’un règlement de compte sous fond de tensions communautaires. La victime n’était autre que le cousin de Jordan, l’accusé… On se souvient également de l’agression à la machette de rugbymen de l’AS Clermont-Ferrand dans les rues de la Cité du gant. La victime de ce procès, dont le casier judiciaire comporte 13 condamnations, a fait plusieurs mois de détention provisoire dans le cadre de ce dossier avant d’être totalement blanchi. Depuis, la communauté a été au cœur de bien d’autres affaires. Celle de Jordan d’Haïty s’inscrira dans cette histoire. Une histoire intimement liée à une violence quotidienne, ordinaire… Et dont l’accusé n’est jamais parvenu à s’en libérer.

 

« Ce coup de couteau, il était totalement gratuit ! »

Il est arrivé à la barre en boitant et encore marqué par l’agression dont il a été victime, cette nuit de juin 2013 (lire notre précédente édition). Malgré plusieurs jours de coma et une infirmité permanente, Nicolson, aujourd’hui âgé de 29 ans, n’a rien oublié… Et, face à la cour, il n’a pas caché sa colère, ni même mâché ses mots. Tout comme face à son agresseur : « Tu le sais au fond de toi, ce coup de couteau, il était totalement gratuit ! »
Jordan d’Haïty n’a pas répondu. Il est resté muet, le regard pointé vers le sol. Tout au long de cette deuxième journée d’audience, il aura adopté cette attitude. Son geste ? Il répétera qu’il se sentait en danger face à la victime, « intenable cette nuit-là ».  L’arme ? « Le couteau traînait sur la rampe du palier, je suis tombé dessus par hasard malheureusement ». Son intervention dans une rixe qui ne le concernait pas ? « J’ai entendu crier, j’ai eu peur, j’y suis allé pour calmer les choses ». Sa fuite vers la Lozère après les faits ? « J’avais l’intention de me rendre, je n’étais pas bien, paniqué… »
Autant d’explications difficilement crédibles pour la partie civile et Me Elsa Cazor, avocate de la victime : « C’est dingue ! L’accusé nous fait croire qu’il est tombé par hasard sur un couteau, que mon client était intenable, que son geste était malencontreux… On le sait tous, il est arrivé dans la rixe avec un couteau et a donné le coup au bon endroit. Il n’y a qu’une victime dans ce dossier et c’est un rescapé ! Cet acte était totalement gratuit ».
Lors de sa plaidoirie, l’avocat général, Chérif Chabbi, dira également que l’accusé « a baladé tout le monde avec ses différentes explications ». Avant de requérir une peine entre huit et dix ans d’emprisonnement. Verdict attendu aujourd’hui, après la plaidoirie de la défense.

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