L’intégration en Aveyron, valeur refuge des jeunes migrants

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    Laurie Pons et Gérard Penel : un regard bienveillant sur les jeunes du centre. J.A.T.
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    L’intégration en Aveyron, valeur refuge des jeunes migrants
Publié le
Christophe Cathala

Accueillis en France, ils sont 25 à l’Anse du Lac, à Pont-de-Salars à bénéficier d’un dispositif d’accompagnement vers un accès au travail et à l’autonomie. Explications.

Un havre de sérénité au bord du lac de Pont-de-Salars, une nature que rien ne semble vouloir déranger, presque un centre de vacances. C’est d’ailleurs la vocation première de l’Anse du Lac, devenu désormais un lieu d’accueil pour jeunes migrants, "mineurs non accompagnés" selon le vocable administratif. Ils sont 25 garçons de Côte d’Ivoire, Mali, Gambie, Guinée, Cameroun, âgés de 15 à 18 ans, à avoir posé ici leurs valises au terme d’un périple guidé par bien des fractures, tant familiales qu’économiques, qu’ils tentent d’oublier.

Accompagnement adapté

Accidentés de la vie, réfugiés aujourd’hui, ils seront demain intégrés socialement et professionnellement dans cette société qui leur tend la main, à travers un dispositif d’accompagnement adapté porté, comme ailleurs en France, par le Département.

Et ce, avec l’aide de prestataires qualifiés comme la Ligue de l’enseignement – Fédération des œuvres laïques, qui gère l’Anse du Lac, ainsi qu’une autre structure similaire à Villefranche-de-Rouergue. "Nous avions accueilli déjà à Pont-de-Salars, en 2016, 25 jeunes Soudanais issus du démantèlement de la "jungle de Calais", sur la sollicitation de l’État, explique Gérard Penel, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement en Aveyron. D’autres mineurs suivront en 2018, ce fut chaque fois une expérience très riche, qui nous a convaincus que nous avions un rôle à jouer comme opérateur d’action sociale, en devenant délégataire". Et de répondre donc à l’appel à projet lancé par le Département pour créer un dispositif pérenne au bénéfice des mineurs non accompagnés.

Début 2020, l’Anse du Lac devient ainsi un centre d’accueil dûment agréé, une Maison d’enfant à caractère social (Mecs). Elle est aussitôt destinée à accueillir 25 jeunes confiés préalablement à l’Aide sociale à l’enfance pris en charge, logés dans des bungalows en bois doté du confort nécessaire et des outils propres à leur assurer une relative autonomie.

"Ils sont assez démunis quand ils arrivent, il leur faut du temps pour se poser d’autant qu’avant d’arriver ici, ils sont passés dans un établissement de mise à l’abri, pour une évaluation sociale avant de passer par une cellule dédiée qui assure leur répartition au niveau national, détaille Laurie Pons, coordonnatrice du centre. Ils resteront entre quelques mois et trois ans. A leur majorité, ils doivent quitter le dispositif mais ils restent éligibles à l’aide aux jeunes majeurs".

Ouverture sur le monde extérieur

En fait tout le travail des neuf éducateurs consiste à donner aux jeunes toutes les clés d’une intégration réussie durant leur passage au centre. L’apprentissage, en alternance, en est un levier essentiel (lire ci-dessus). Mais l’ouverture sur le monde extérieur, va plus loin. S’appuyant sur la politique mise en œuvre par le PETR (Pôle d’équilibre territorial et rural) du Lévezou, l’Anse Lac "développe un volet culturel à travers des activités artistiques, avec la Compagnie orageuse notamment ou encore des groupes de musique et les projets s’enchaînent, tous témoignent de l’importance de la mixité sociale, poursuit Laurie Pons. Le sport également est un bon vecteur d’intégration dans des clubs locaux. Et ils s’investissent aussi auprès d’associations caritatives, comme les Restos du Cœur qu’ils aident dans leurs collectes. C’est une prise en charge globale, culturelle, économique, et sportive".

Une ouverture vers l’extérieur qui se concrétise également à la belle saison par le retour au centre des colonies de vacances et classes découvertes, piliers de l’action de la Ligue de l’enseignement. "Là encore on développe un projet basé sur la rencontre l’échange entre jeunes aux parcours très différents".

Cet accompagnement personnalisé n’est pas sans poser quelques problèmes de logistique. Il faut véhiculer les jeunes vers leur lieu de travail, vers la ville ("qui les fascine plus que la campagne "), sur un territoire résolument étendu. Et leur procurer des vêtements et un pécule qui leur garantit un minimum d’indépendance. Le conseil départemental délivre au profit de chacun d’eux un prix à la journée, incluant les frais d’éducation et de suivi par les 19 salariés du centre, devenu ainsi un poumon économique et social qui profite au territoire.

J.-F. Galliard a reçu en cadeau d’un jeune Sénégalais, un dessin représentant M’Bappé.
J.-F. Galliard a reçu en cadeau d’un jeune Sénégalais, un dessin représentant M’Bappé.

Jean.-François Galliard : "Le Département fait plus que les accueillir"

C’est une compétence dont le Département se serait bien passé. Au début en tout cas, en 2016, quand la collectivité se voit attribuer par l’État l’accueil des mineurs non accompagnés (MNA). S’ils ne sont que 21 en 2016, le flux les porte à 272 en 2017, 860 en 2018, 508 en 2019, 126 en 2020. Ils ne sont bien souvent, au départ, qu’en transit en Aveyron où le Département les loge dans sa structure de Sénergues, dans les FJT, auprès de la Fédération des œuvres laïques comme à Pont-de-Salars. Et même dans les hôtels. Le conseil départemental est submergé. "On a eu de tels flux que l’on a même engagé des jeunes, dûment formés, pour les accompagner. Très vite, nous avons souhaité mettre en place une solution pérenne pour assurer sur notre territoire la répartition que nous indiquait la plateforme nationale selon des critères précis, relève Jean-François Galliard, président du Département. Et 45 % de ces jeunes se sont avérés être des jeunes majeurs et non des mineurs. Mais le plan pauvreté a fait que l’on a pu les accompagner eux aussi via l’Aide sociale à l’enfance et des mesures spécifiques. On fait plus que les accueillir, on est pleinement dans notre rôle, qui est un rôle civique : on les protège et on fait tout pour qu’ils s’insèrent".

Depuis le mois de janvier, cette population accueillie est de 80 mineurs et 93 jeunes majeurs, ex-MNA. Ces 173 jeunes gens représentent 16 % des accueils réalisés au titre de la protection de l’enfance, "car le dispositif ne saurait impacter l’aide aux jeunes Aveyronnais".

 

Les vertus de l’apprentissage

D’abord scolarisé, le mineur non accompagné va très vite être placé en quête d’un travail propre à lui assurer l’autonomie financière imposée par la régularisation. Depuis le 3 janvier 2020, ce sont ainsi 17 contrats d’apprentissage qui ont été signés pour eux sur le territoire. Le jeune fait plusieurs stages et choisit une formation via le CFA. "Les patrons ont parfois des difficultés à trouver des apprentis, cela a créé une dynamique, associée à la transmission de valeurs, de découverte de l’environnement", plaide Laurie Pons.

"Maintenant, tout est plus simple pour moi"

Lacine a 18 ans. Ce jeune Malien est arrivé en France en mai 2019, mais pas question de lui faire raconter son parcours. Crainte et pudeur l’animent encore, il se cantonnera à expliquer qu’il a d’abord été mis à l’abri par l’association Village 12 à Villefranche, puis a passé 7 mois à Millau, avant de rejoindre l’Anse du Lac en janvier dernier. Scolarisé ("et très assidu en français"), il choisit parmi trois métiers qui le tentent, de devenir cuisinier et prépare un CAP au Campus des métiers de Rodez. "L’alternance, c’est dur, concède-t-il. Au début les choses étaient très difficiles pour moi, maintenant tout est plus simple". Même si le Covid rebat les cartes et "que l’on n’a pas de travail en restauration". Qu’à cela ne tienne, Lacine se met aux fourneaux le dimanche et cuisine africain pour tous les autres jeunes du centre…

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