Festival de BD de La Fouillade : "Le Marsupilami est un épicurien et un protecteur de la nature"

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  • Luc Collin dessine le Marsupilami depuis 1984. Luc Collin dessine le Marsupilami depuis 1984.
    Luc Collin dessine le Marsupilami depuis 1984. Photo Romuald Meigneux
Publié le
Guilhem Richaud

Batem, Luc Collin de son vrai nom, sera à La Fouillade ce week-end pour la 24e édition du festival de la BD, livre et jeunesse. Le dessinateur prépare actuellement le 35e album du Marsupilami.

S’il n’en est pas son inventeur, Batem peut sans problème revendiquer les droits à l’adoption du Marsupilami. Franquin, qui a créé le personnage dans Spirou et Fantasio, lui a demandé, en 1984 de le dessiner dans une BD dédiée. L’illustre auteur belge en assurera les scénarios jusqu’à son décès, en 1997. Son compatriote Batem, lui a continué. Et prépare actuellement le 35e tome des aventures de ce curieux personnage.

Vous rappelez-vous de votre premier contact avec le Marsupilami ?

C’était quand j’étais gamin, dans les aventures de Spirou et Fantasio. J’ai toujours été fan de la bande dessinée franco-belge, et j’ai jeté mon dévolu sur l’œuvre de Franquin dès mon plus jeune âge. Je l’ai connu d’abord et surtout par Gaston Lagaffe. Quand j’étais plus jeune, vers 7-8 ans, j’avais tenté de lire un Spirou et Fantasio et j’étais tombé sur "La Mauvaise tête". C’était un album noir qui m’est tombé des mains. C’est dans celui-là que suite à un mauvais coup, Spirou devient amnésique et qu’on le voit perdu dans ses pensées. Cela m’avait traumatisé. J’ai donc préféré retourner à mon Gaston Lagaffe chéri et c’est plus tard que j’ai retrouvé Spirou et Fantasio. J’ai démarré avec "Panade à Champignac". Dans cet album, le Marsupilami est omniprésent, un petit peu ridiculisé par Spirou. J’ai ensuite enchaîné sur "QRN sur Bretzelburg", qui est un album magistral dans lequel le Marsupilami m’a fait rêver.

Professionnellement, quand vous êtes-vous mis à le dessiner ?

J’ai été engagé en 1984 par la SEPP, une société qui travaillait sur le développement et l’exploitation des produits dérivés des personnages de chez Dupuis. J’avais été engagé pour travailler sur un projet de dessin animé Marsupilami. Ils voulaient retrouver un personnage qui aurait le même succès en animation que les Schtroumpfs, mais ne voulaient pas, au moins au départ, s’encombrer de Franquin. Ils cherchaient un dessinateur qui pouvait travailler sur le projet et développer une gamme de produits dérivés. Ce n’est qu’une fois que tout avait avancé que ce travail a été soumis à André Franquin.

Comment s’est passée cette première rencontre avec lui ?

C’était un jour mémorable pour moi. C’était dans une grande salle de réunion. Sur la table, il y avait tous mes dessins. Quand je suis rentré dans cette pièce, je me suis fait tout petit. André Franquin m’a dit qu’il ne voyait pas les choses tout à fait comme je les avais faites. Il ne parlait pas tant du Marsupilami, que des personnages secondaires qu’on m’avait demandé de créer et qui n’étaient pas vraiment dans l’esprit de son œuvre. Il m’a, dans le même temps dit : "Vous ne devriez plus traîner trop longtemps ici." Encore aujourd’hui, je me demande s’il voulait me dire que j’avais le potentiel pour faire ma propre bande dessinée sans traîner trop longtemps dans cette boîte et s’il avait déjà pensé à moi pour faire vivre le Marsupilami. Son contrat avec la SEPP est arrivé à échéance fin janvier 1987. C’est à ce moment-là que j’ai été approché par Marsu productions, que j’ai posé mon préavis et j’ai attaqué le premier album au printemps.

Vous travaillez aujourd’hui sur le 35e album. Ce n’est pas vous qui avez inventé le Marsupilami, mais vous le considérez désormais comme votre personnage ?

J’ai tendance à dire que si je n’en suis pas le père, j’en suis la nourrisse. Et à force, on finit par s’attacher aux enfants que l’on garde aussi longtemps. Par la force des choses, je l’ai davantage dessiné qu’André Franquin. Oui, c’est devenu mon personnage. On me dit souvent que je ne devrais plus avoir ce sentiment d’usurpateur. Peut-être, mais moi, quand je dessine, même si ne pense pas toujours à André Franquin, je ne le perds jamais de vue. Je sais tout ce que je lui dois. Je le respecte infiniment. C’est vrai que j’aurais préféré que le Marsupilami sorte de mon cerveau, mais il n’aurait pas été aussi génial. Il fallait que ce soit André Franquin qui le crée.

Aujourd’hui, le Marsupilami semble plus connu que Spirou ou Gaston, les deux autres personnages majeurs de Franquin…

C’est sûr. Il est rentré dans l’inconscient collectif. Le Marsupilami fait partie de la culture, aussi bien en France qu’en Belgique. Ceux qui l’évoquent ne connaissent pas forcément l’existence des albums, mais bien celle du personnage. À Monteux, dans la région d’Avignon, il y a un parc Spirou, mais très rapidement ils ont ajouté le Marsupilami sur l’enseigne. Il n’y a pas moins de sept attractions consacrées au Marsupilami. À lui tout seul, il fait 64 % du chiffre d’affaires que le Parc. Les dessins animés ont aussi beaucoup fait pour cela. Ce personnage s’est installé pour un bon bout de temps dans l’esprit des gens. Il est un peu l’animal magique. Naturellement on est attiré par lui.

Cela fait 35 ans que vous racontez des histoires du Marsupilami. Comment faites-vous pour ne pas vous épuiser ?

Je discute beaucoup avec les scénaristes avec lesquels j’ai collaboré. La tâche est d’autant plus difficile que c’est un personnage qui non seulement ne parle pas, mais ne pense pas non plus. Milou, dans Tintin, ne parle pas, mais pense. Il a des interactions avec le lecteur. Ce n’est pas le cas du Marsupilami qui ne dit que "Houba, Houba". Alors on triche un peu. Parfois, on se sert de sa queue. Il y a parfois quelques images dans ses pensées. Mais on ne doit pas aller trop loin. Il faut éviter l’anthropomorphisme. Ça reste un animal et Franquin y tenait beaucoup. Je travaille avec Stéphan Colman (scénariste) depuis longtemps. On prépare notre seizième album en commun et je crois que dès le troisième ou le quatrième, il me disait qu’il allait arrêter car il pensait en avoir fait le tour. Et finalement, il est en train d’écrire son 16e et je suis encore en train de m’amuser comme un petit fou.

Le Marsupilami a 70 ans, mais c’est toujours un grand enfant…

Il est avant tout un mélange subtil de gamin, d’aventurier, de poète, de père de famille, de gourmand… C’est un animal : il ne se lève pas le matin investi d’une mission. Il se dit juste que quand tout le monde aura été bien nourri, il ira emmerder le jaguar, et qu’il ira à la pêche. C’est un épicurien, un protecteur de la nature…

Pêcheur, épicurien et protecteur de la nature, il devrait être à sa place en Aveyron le Marsupilami. Ici, on aime tout ça.

Je pense qu’aujourd’hui, il faut aimer tout ça, sinon, on accélère l’approche de la fin du monde. Le Marsupilami est d’ailleurs un personnage emblématique de l’écologie et de la protection de la nature.

Le festival se tiendra, samedi 23 et dimanche 24 juillet (10 h à 18 h) à la salle omnisports de La Fouillade. De nombreux auteurs et dessinateurs, dont Batem, viendront dédicacer leurs albums et animer des ateliers.
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