Réforme des retraites : "Mettre en suspens les 64 ans, on se donne six mois pour discuter", pour Laurent Berger la solution est là

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  • Laurent Berger appelle le chef de l’État à la "sagesse".
    Laurent Berger appelle le chef de l’État à la "sagesse". MaxPPP
Publié le , mis à jour
Propos recueillis par Manuel Cudel

À la tête de la CFDT, le premier syndicat français, l’homme clé du bras de fer engagé avec le gouvernement sur les retraites s’exprime alors que ce jeudi 6 avril est marquée par la onzième journée de mobilisation contre la réforme.

Vous avez mis fin mercredi à la rencontre entre les syndicats et la Première ministre après un peu moins d’une heure. C’était une réunion pour rien ?

Ce n’est jamais pour rien quand on essaie de se parler. Mais cela n’a rien produit. C’était un dialogue de sourds. On a essayé de faire prendre conscience de la situation sociale et démocratique du pays. Élisabeth Borne a réaffirmé qu’elle était ouverte au dialogue sur tout un tas de sujet. On voulait savoir si elle allait retirer la réforme des retraites. La réponse a été non. La réunion s’est terminée.

Vous a-t-on fait des propositions concrètes ?

Non, même sur les sujets dont il était question, il n’y a pas de propositions concrètes. Elle propose d’ouvrir des chantiers. Mais il y en a un qui n’est pas terminé, celui des retraites… Je pense aussi que cette réunion arrive très tardivement, je trouve aberrant qu’on n’ait pas pu se parler plus tôt.

Accepteriez-vous le principe d’une nouvelle rencontre ?

Oui, nous sommes dans une grave crise démocratique, je ne serai jamais de ceux qui considéreraient que voir la Première ministre n’est pas important. Aucune organisation n’a dit d’ailleurs que sur les sujets du travail, des salaires, des seniors, on ne voulait pas venir discuter. On a dit qu’on voulait avoir une réponse sur la réforme.

Emmanuel Macron serait prêt à recevoir les syndicats selon son entourage (*). Souhaitez-vous le rencontrer ?

Oui, s’il faut le rencontrer, je le ferai, en toute transparence, nous l’avions demandé. Il n’est pas inutile qu’il rencontre l’intersyndicale, notamment ses nouveaux leaders. Mais la question qui nous intéresse, c’est ce qu’on fait de la réforme.

Partagez-vous tous cette position à l’intersyndicale, celle de la poursuite du dialogue avec l’exécutif ?

L’intersyndicale est contre les 64 ans. Elle n’est pas là pour dicter la position de chaque syndicat. Je ne demanderai pas l’autorisation d’aller rencontrer tel ou tel, j’irai voir qui je veux. Si des rencontres sont organisées, je les en informerai. Si Emmanuel Macron est prêt à rencontrer les syndicats, la CFDT ira, mais il faut qu’il rencontre tous les responsables des organisations. Et pour l’instant il n’y a pas de proposition de rencontre. S’il veut me parler, il a mon numéro de téléphone.

Beaucoup misent sur vous, au sein de la majorité, pour trouver une issue. Pouvez-vous être l’homme de la sortie de crise ?

J’en ai proposé une, nommer une médiation, mettre en suspens les 64 ans, on se donne six mois pour discuter du travail, de l’emploi et des retraites. C’est ça la solution. Si leur solution c’est que la CFDT sorte de l’intersyndicale alors que ce projet de loi est toujours sur la table, la réponse est non.

Dans quel état d’esprit abordez-vous cette onzième journée de mobilisation ?

Il faut qu’il y ait le maximum de personnes dans la rue ce jeudi pour faire comprendre que le mécontentement social est toujours présent. C’est important, il y a des chiffres de mobilisation différents selon les journées, mais ils sont à chaque fois très élevés. La Première ministre nous a dit que le texte poursuivait son chemin jusqu’au Conseil constitutionnel. Nous, on poursuit notre mobilisation.

Les violences, de part et d’autre, vous inquiètent ?

Oui, la CFDT condamnera toute forme de violence, il n’y a aucune cause qui la justifie. De la même manière, je suis inquiet parfois, quand on voit sur certaines images un usage de la force qui paraît disproportionné dans certaines occasions. Il est grand temps de trouver une voie de sortie et d’apaisement.

Mais est-ce qu’il vous reste des marges de manœuvre ? La pression de la rue n’a pas fait plier le gouvernement.

J’en appelle à la sagesse des membres du Conseil constitutionnel, il faut juger en droit, et en opportunité, celle de maintenir une cohésion sociale dans notre pays et apaiser. Et il reste aussi la possibilité, jusqu’au Conseil constitutionnel, de faire entendre la voix pacifique des travailleurs et des travailleuses.

Poursuivrez-vous cette mobilisation, si le texte est validé par les "Sages"?

On avisera ensemble ce qu’on fera à ce moment-là. On ne pourra pas être inactifs, on verra les modalités d’action en fonction des nouvelles réalités.

Qu’est-ce qui peut faire la différence ?

Une prise de conscience par les responsables politiques de ce qu’on est en train de vivre, il faut écouter aussi ce que disent les élus locaux sur l’ambiance, aujourd’hui, dans le pays, il faut écouter ce que disent des intellectuels dans le débat public qui prennent des positions de plus en plus fortes. La seule voie, c’est peut-être la sagesse, finalement. C’est au président de la République d’en faire preuve.

L’arrivée de Sophie Binet à la tête de la CGT peut faire bouger les lignes au sein de l’intersyndicale ?

Ce n’est pas le cas, vous le voyez. Et la CFDT continuera d’exercer ses responsabilités au sein de l’intersyndicale, il faut respecter les différences, les divergences et poursuivre l’objectif commun. Il faut décider ensemble des modalités d’action et que certains ne décident pas pour d’autres.

Quel message souhaitez-vous adresser aujourd’hui à Emmanuel Macron ?

Un appel à la sagesse, la situation de blocage profite malheureusement au RN, tapi dans l’ombre. Il faut se ressaisir et faire jouer le champ de la démocratie sociale, dont la Première ministre a dit ce matin qu’elle y était attachée, ce que je crois. Il y a des millions de personnes dans la rue, il y a 90 % des actifs, 70 % de la population qui sont contre les 64 ans, rien ne nous fera revenir en arrière. Tant que cette mesure sera prévue, impactera autant les travailleurs, on sera en opposition.

(*) Le chef de l’État s’est déjà dit "à disposition de l’intersyndicale" le 24 mars, pour évoquer les questions liées au travail, mais il n’est pas prêt à remettre en cause sa réforme. 
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