L'Aveyron, terre de cinéma : Jean-Henri Meunier, de Najac au tapis rouge du festival de Cannes

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  • Jean-Henri Meunier dans son "maquis" du Pontel, près de Najac.
    Jean-Henri Meunier dans son "maquis" du Pontel, près de Najac. Reproduction - Centre Presse Aveyron
  • L’équipe d’"Ici Najac à vous la Terre" a débarqué à Cannes en mai 2006.
    L’équipe d’"Ici Najac à vous la Terre" a débarqué à Cannes en mai 2006. Reproduction - Centre Presse Aveyron
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Laurent Roustan

Trois films illustrent Najac aux yeux du 7e art, une trilogie réalisée par Jean-Henri Meunier entre 2004 et 2012, qui aura connu les honneurs, les paillettes du festival de Cannes, et finalement, un retour aux valeurs simples d’un village aveyronnais. Najac is back to the future.

Nous sommes le 19 mai 2006, il est 17 heures, la salle Buñuel du Palais des festivals de Cannes est comble. Dans l’obscurité, c’est à peine si on remarque les Najacois débarquer, venus défendre, avec leur néo-villageois de réalisateur Jean-Henri Meunier, "Ici Najac, à vous la Terre". Le deuxième volet de ce qui deviendra une trilogie cinématographique, présenté en sélection officielle, hors compétition.

Une trilogie présenté en sélection officielle

Les acteurs villageois s’installent incognito parmi les professionnels du cinéma. Seuls signes reconnaissables : des badges "OGM non merci" ou encore le T-shirt de la Conf’, qui taille aussi un short au génétiquement modifié. Auparavant, les sept "personnages" de Najac ont goûté aux joies de la célébrité.

Photos pour la presse, un Martini en terrasse face aux questions de France 2, de Canal +, de France Culture ou de la télé du festival. Pas du tout débordés. Enfin la salle et la projection, enfin du frais (il fait chaud à Cannes). L’instant sera solennel, mais pour la couleur, ce sera altermondialiste. Dans la salle, un invité de marque : Chris Black, le producteur de feu Bob Marley et de Mariane Faithfull. Ici, à Najac, qu’on se le dise : pendant une heure et demie, on sera cool.

Jean-Henri salue ses voisins, ces personnages qui sont rentrés dans sa vie sans coup férir. Des Américains, des Espagnols, des Japonais plongent dans l’univers de l’Aveyron, l’univers vert, calme et tranquille, dans cette "morne plaine vallonnée", comme dit l’une des protagonistes de la scène. L’Américain rit de la méthode de désinfection qu’emploie Henri, le septuagénaire trop amoureux des voitures. Mais surtout, l’on s’étonne de la clairvoyance et de l’à-propos des Najacois, en ce qui concerne l’agriculture, la politique, l’environnement, voire l’économie.

Des répliques font mouche, d’autres déclenchent de francs rires, et si certains partent, c’est que la concurrence est de poids : en bas, le tapis rouge du palais des festivals s’apprête à recevoir sa ration de stars quotidiennes : ce soir Pedro Almodovar et Penelope Cruz, laquelle fut ruthénoise d’ailleurs, le temps d’un navet de cape et d’épée tourné dans l’Aveyron (comme chacun sait : le pays des tulipes…).

Dans un registre minimaliste, Arnaud le chef de gare ravit les cœurs et les zygomatiques avec son jeu burlesque, une sorte de Buster Keaton de la SNCF. Dommage qu’"Ici Najac…" soit hors compétition, Arnaud n’était pas loin de la palme du meilleur rôle masculin.

500 000 entrées en France

À la fin de la projection, de longs applaudissements, les Najacois sont sur scène, certains se les arrachent : "Je suis de Montbazens", dit celui-ci à Arnaud. "J’ai dormi dans votre caravane", raconte celle-ci au vieil Henri. Mais il n’y a pas que le fan-club, il y a aussi les producteurs qui manient les chiffres et les millions d’euros. L’un d’entre eux fait, en tapant sur l’épaule d’Arnaud : "Si le film fait 500 000 entrées en France, il va falloir prévoir des trains spéciaux pour Najac." Las, hélas : monsieur le chef de gare va devoir travailler.

"Des gens simples qui posent leurs cailloux dans le jardin de l’humanité"

Ici Najac à vous la Terre est la partie émergée non seulement d’une trilogie cinématographique, mais de tout un cinéma indépendant, libre, underground, mais qui arrive à poser des bijoux, parfois sur l’écran des plus grandes salles de cinéma de France.

Et de Navarre. "Ici Najac…" fut nommé aux César comme meilleur documentaire, et sélectionné parmi les 10 meilleurs documentaires du monde par la Directors guild Of America (DGA) et par l’International documentary association à Los Angeles. Avec un budget total de 400 000 €, loin des 125 millions d’euros de Da Vinci Code, présenté la même année à Cannes, lui aussi en sélection officielle hors compétition.

Pour Jean-Henri Meunier, Cannes, "je trouve que c’est une récompense pour ce que sont les gens dans le film, ce qu’ils vivent, ce qu’ils pensent, ce qu’ils sont".

"Un mensonge pour éclairer la vérité"

La partie émergée de cette trilogie najacoise, qui se baladera par la suite un peu partout dans le monde, fut précédée en 2004 par La vie comme elle va, Grand prix Scam du documentaire de création, et plus tard de "Y’a pire ailleurs", suite libre et foutraque des deux premiers opus najacois. Eux aussi, finalement, des tournages "spontanés, libres, désordonnés. Bien sûr, on a fictionné au montage, c’est donc un mensonge, mais un mensonge fait pour éclairer la vérité".

Entre-temps, Jean-Henri Meunier aura quitté Najac, où il vivait depuis 1995, pour Toulouse, la soudaine notoriété d’"Ici Najac"… étant peu compatible avec un village d’irréductibles Gaulois, qui plus est aveyronnais. Et puis, la trilogie accomplie, le temps passant, "JH" revint à Najac pour boucler la trilogie, et y resta. Ici, il avait trouvé ce qu’il cherchait, "des gens tout simples qui posent leurs petits cailloux dans le jardin de l’humanité".

Depuis 2015, il autoproduit et autoréalise un film par an, tourné avec trois francs six sous, avec des amis, des copains, des admirateurs, toujours dans le même ton poétique qui est celui de Jean-Henri. À 73 ans, Jean-Henri Meunier prend son temps. Il n’a pas de permis de conduire, il marche à la vitesse de la vie d’un homme, pas plus vite.

Depuis l’aventure de la trilogie najacoise, certains de ses acteurs sont partis avant lui, mais c’est la vie, la vie comme elle va. Dans son maquis du Pontel près de Najac, tout au bout d’un chemin défoncé, Jean-Henri Meunier fait son Hollywood, raconte des histoires, les histoires des gens qui passent par chez lui, par sa tête. Il y a toujours un peu du Najac dont il parle dans sa trilogie, un peu de cette folie douce. "On part d’un village, et on cherche à atteindre l’humanité." Touché.

Jean-Henri Meunier à Rieupeyroux le 8 septembre

Jean-Henri Meunier sera présent aux Rencontres à la campagne de Rieupeyroux, le 8 septembre, où il présentera l’un de ses documentaires consacré à la chanteuse "Mina Agossi, une voix nomade". Une vingtaine de ses films sont en accès libre sur Viméo.

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