Aveyron : la prison de Druelle est-elle toujours un "établissement modèle" ?

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  • Arrivé de Foix, Thierry Deliessche occupe les fonctions de directeur depuis le 1er juillet.
    Arrivé de Foix, Thierry Deliessche occupe les fonctions de directeur depuis le 1er juillet. Centre Presse - José A. Torres
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Xavier Buisson

Surpopulation ancrée, agressions, bagarres ou, cet été, « livraisons » par drone… L’enthousiasme de la ministre de la Justice Christiane Taubira, qui a inauguré l’établissement en 2013, n’est pas unanimement partagé aujourd’hui, alors qu’un nouveau directeur a été installé ce jeudi 5 octobre.

« Aujourd’hui, nous inaugurons un établissement modèle, bien conçu, d’une grande qualité. Les personnels de l’établissement peuvent accueillir les détenus dans les meilleures conditions ». Les mots sont de la garde des Sceaux Christiane Taubira qui, le 10 juin 2013, inaugurait la nouvelle maison d’arrêt, située à Druelle et réservée aux condamnés ou prévenus (en attente de leur jugement) de l’Aveyron et du Lot. Construit sur huit hectares, l’établissement est, le jour, de son inauguration, vide de tout détenu. Ils sont encore à la prison de Combarel, ouverte en centre-ville de Rodez en 1880, et seront transférés sous haute protection (une centaine de policiers et gendarmes) quelques jours plus tard, dans un établissement bien plus récent et accueillant que l’ancien.

Une « prison de luxe » ?

À disposition des détenus, une salle de musculation, un terrain de sport, un lieu de culte, une salle informatique, une bibliothèque, trois salles de classe et 270 m2 de locaux consacrés au travail ou à la formation professionnelle. L’établissement aura coûté 20 M€, dont 20 % financés par le Grand Rodez, et est dimensionné pour 100 détenus, entre détention « classique » et quartier de semi-liberté. À l’origine, 80 personnels de l’administration pénitentiaire sont en poste: surveillants, agents administratifs, services de formation et de réinsertion.

Une première polémique éclate quelques jours avant l’inauguration, un syndicat de surveillants pénitentiaires évoquant, du fait de la présence de brumisateurs dans la cour de promenade, une « prison de luxe ». La ministre répond vertement à ces propos, ces installations permettant selon elle « d’éviter que les esprits ne s’échauffent et que cela crée des situations d’émeute ».
A l’ouverture de la maison d’arrêt, l’administration pénitentiaire l’affirme : Rodez ne servira pas à désengorger d’autres prisons surpeuplées, éventuellement sera-t-il possible de « procéder à des transferts » pour, par exemple, permettre à des détenus de se rapprocher de leurs familles. Mais la donne change moins d’un an après l’ouverture.

Aujourd’hui, un établissement « comme les autres »

Ainsi en avril 2014, la direction interrégionale confirme ce que les surveillants craignaient : « Nous avons décidé d’augmenter la capacité de 100 à 120 lits. On n’a pas le choix », expliquait un membre de la direction interrégionale. Ce seront finalement 30 nouveaux lits qui seront livrés, le mois suivant, et ce malgré plusieurs blocages du site, à grand renfort de pneus enflammés, par les syndicats de surveillants. Ces derniers regrettent l’augmentation de la capacité d’accueil « sans pousser les murs ni augmenter le personnel »… mais n’étaient pas au bout de leurs surprises, le triste «record» ayant été atteint en 2021 avec près de 180 détenus.

Dernièrement, un forcené et des livraisons par drone

En un tract intitulé « vol au-dessus d’un nid de coucous », le syndicat de surveillants pénitentiaires Ufap-Unsa justice s’est élevé contre la « dizaine » de « livraisons » par drone, au long de l’été, à destination de ses « chers pensionnaires ». « Jusqu’à plusieurs livraisons par nuit », raconte le syndicat qui, saluant la « réactivité » du chef d’établissement dans sa transmission des faits au parquet, a demandé une fouille générale de l’établissement, un transfert des détenus concernés ou l’installation d’un brouilleur de drones.
Dans un autre registre, jeudi 28 septembre, un détenu a été repéré en cour de promenade armé d’une arme artisanale, en l’occurrence un poinçon. Le forcené refusant tout dialogue, les surveillants décident de réintégrer l’ensemble des détenus en cellule et de faire appel à l’Équipe régionale d’intervention et de sécurité, spécialisée dans la gestion des troubles carcéraux, qui parviendra à la reddition de l’homme, qui n’opposera aucune résistance. Il s’agissait de la toute première intervention de l’Eris dans l’établissement.
Au long de ses 10 années d’existence et à l’image de l’ensemble des autres prisons françaises, la maison d’arrêt a été le théâtre de plusieurs agressions à l’encontre des surveillants pénitentiaires, dont le pic a vraisemblablement été atteint en février 2022, avec une agression et une tentative de prise d’otage. «Les personnels sont sursollicités, confrontés à une violence grandissante, quantité d’objets prohibés sont trouvés régulièrement», dénonçait alors FO Justice.


« Cet établissement, présenté comme modèle il y a 10 ans, est aujourd’hui devenu comme les autres », explique le secrétaire local du syndicat Ufap-Unsa Justice Alexandre Vidal. « Les conditions se détériorent, pour les surveillants comme pour les détenus. Il y a 155détenus, mais les locaux, conçus pour 100, ne bougent pas… tout est dimensionné pour 100 détenus, y compris les lieux de visites (parloirs), qui durent toujours 45 minutes mais sont moins fréquentes », poursuit le syndicaliste.
Et contrairement aux prévisions, la maison d’arrêt reçoit désormais, toujours selon le syndicaliste, une « forte proportion de personnes condamnées à Nîmes, Béziers, Perpignan ou Toulouse. Du fait que les juges doivent séparer les individus poursuivis dans une même affaire mais aussi du transfèrement à Rodez de personnes commettant des délits dans leurs établissements d’origines ». De plus selon Alexandre Vidal, sept surveillants pénitentiaires sont manquants à l’heure actuelle, dans un contexte de forte crise des vocations.

Ce jeudi, le nouveau directeur Thierry Deliessche a officiellement été installé par sa direction interrégionale (lire par ailleurs). Il a fait état de la présence de 154 détenus, avec « une quinzaine de matelas au sol ». Une situation propre à la totalité des maisons d’arrêt du pays… mais qui ne l’empêche pas de penser que l’établissement « est toujours un modèle », offrant de « très bonnes conditions de détention ».

Deux «gros projets» pour le nouveau chef d’établissement

Présenté par sa hiérarchie comme «un homme de conviction, de rigueur» mais aussi «d’humanité», Thierry Deliessche est entré en fonction à la tête de la maison d’arrêt de Rodez le 1er juillet.
Si, comme il le confirme, «aucun travaux d’agrandissement n’est prévu» localement, il va s’attaquer à deux «gros projets» durant sa présence en Aveyron.
Tout d’abord, la «reprise des extractions judiciaires (le fait de déférer un détenu devant les autorités judiciaires, NDLR) par des personnels de surveillance», des fonctions précédemment occupées par la gendarmerie. Dans cette optique, certains surveillants pénitentiaires seront habilités à être armés. Autre projet: la mise en place du dispositif «surveillant acteur» qui incite le personnel à s’impliquer davantage dans sa relation avec les détenus : dialogue accru, évaluation des besoins et entretiens fréquents, dans le but faire remonter d’éventuelles informations aux commissions de l’application des peines. «Cela permettra aussi de les revaloriser dans leurs fonctions», affirme Thierry Deliessche.
 

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