Sécurité, changement climatique, agriculture : en fonction depuis un an dans l'Aveyron, point d'étape avec le préfet Charles Giusti sur l'actualité départementale

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  • Charles Giusti, originaire d’Annecy, entame sa deuxième année à la tête de la préfecture.
    Charles Giusti, originaire d’Annecy, entame sa deuxième année à la tête de la préfecture. Centre Presse Aveyron - José A. Torres
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Un an après son arrivée à la tête de la préfecture aveyronnaise, Charles Giusti balaie l’actualité départementale, de la sécurité au changement climatique en passant par l’agriculture. Entretien.

Le 23 octobre dernier, vous arriviez de l’autre bout du monde, des terres australes et antarctiques, en Aveyron. L’acclimatation fut-elle rapide ?

Oui, je me suis très vite bien senti dans ce département. Les Aveyronnais sont des personnes très accueillantes et ce n’est pas une formule. Encore il y a peu, on me souhaitait la bienvenue… Cela me marque. Puis, le territoire est riche. De son agriculture certes, avec des labels de qualité, mais aussi de pépites industrielles, aux activités très pointues. Je résumerai l’entreprenariat local par trois mots : tradition, innovation et social.

Régulièrement, dans vos discours, vous mettez en exergue "les valeurs aveyronnaises". Lesquelles sont-elles ?

C’est ce que j’appelle "la méthode aveyronnaise". Ici, les gens ne pleurent pas, ne s’apitoient pas sur leur sort mais sont toujours à la recherche de solutions pour résoudre les problèmes. Cela est frappant. Tout le monde a envie d’avancer, dans tous les domaines. Et cela indépendamment des convictions, des visions, de la politique. L’État est d’ailleurs toujours respecté et considéré comme partenaire. C’est pour cela que j’emploie souvent le terme d’État local car ici, il n’est pas simplement un réceptacle de revendications mais un partenaire à part entière. On doit cela aussi aux élus du territoire, tous républicains avant tout.

Vous avez néanmoins haussé le ton à la suite de plusieurs manifestations entachées de dégradations, comme lors de la mobilisation contre la réforme des retraites ou encore des actions de syndicats agricoles…

J’ai toujours été très clair là-dessus : je n’ai jamais interdit une manifestation, hormis quand les organisateurs ne sont pas au rendez-vous de la sécurité. La liberté d’expression, de manifester est très importante à mes yeux. Mais tout cela doit se faire dans le respect et en limitant les troubles à l’ordre public. Et l’on ne dégrade pas, sinon il y a des poursuites pénales. Pour ce qui est de la manifestation des agriculteurs à Rodez, qu’ils expriment un mécontentement, c’est normal. Mais j’ai considéré qu’on était sorti du cadre à la suite de l’action devant le centre des finances publiques (un mur y avait été érigé le 28 septembre dernier, NDLR).

En termes de sécurité, cette fin d’année est marquée par le retour d’attentats sur le sol français et la crainte d’une escalade en rapport avec la guerre entre le Hamas et Israël. Craignez-vous des répercussions jusqu’en Aveyron ? Et existe-t-il ici aussi un phénomène de radicalisation ?

Je ne donnerai pas le nombre de fichés S dans le département mais il est très faible. Et c’est ce qui nous permet d’être très attentif. Chaque semaine, je réunis les différents acteurs de la sécurité pour examiner des cas particuliers. Il ne faut pas de psychose mais il faut être vigilant car tout est possible et on ne peut pas dire qu’il ne se passera jamais rien en Aveyron… Toutes les mesures de prévention sont prises en tout cas. Et les membres des associations cultuelles ici sont à l’image des politiques : républicains.

Plusieurs voix se sont élevées récemment contre une hausse de la délinquance globale. Qu’en est-il ?

C’est totalement faux de dire que la délinquance explose ici ou grandit tout simplement ! Elle est totalement maîtrisée dans notre département. Par exemple, on a évoqué le chiffre de 40 % d’augmentation de cambriolages à Rodez pour le mois d’octobre par rapport à l’an passé. Mais parler en pourcentage, cela ne veut pas dire grand-chose : car en réalité, ils sont passés de 10 à 14… Il suffit donc que ce soit le fruit d’une équipe de malfaiteurs pour faire exploser ce chiffre. On a aussi une augmentation des violences intrafamiliales. Mais cela n’est pas forcément négatif : ça s’inscrit dans une libération de la parole des victimes, des nouveaux dispositifs mis en place pour favoriser les dépôts de plainte… Très sincèrement, il fait toujours très bon vivre en Aveyron. Si on fait le ratio du nombre d’habitants avec les faits de délinquance, nous sommes l’un des départements les plus sûrs de France. On est derrière le Cantal, la Lozère, le Gers, la Haute-Loire…

Plusieurs dossiers d’énergies renouvelables (méthaniseur à Bozouls, photovoltaïque au sol…) ont suscité des polémiques cette année. Quelle position l’Aveyron doit-elle adopter sur ces sujets, selon vous ?

L’objectif national est fixé : réduire notre consommation de 40 % tout en doublant notre production. Cela s’inscrit dans la fin des énergies fossiles. Il n’est donc plus question de savoir s’il faut aller vers les énergies renouvelables, mais comment. J’ai ainsi mis en place de nombreux groupes de travail pour définir des règles et une doctrine. Par exemple sur la méthanisation, il ne faut pas faire venir des intrants d’Espagne mais on doit s’entendre avec tous les acteurs sur une zone de chalandise. Mais ce qui est certain, c’est qu’en tant que département agricole, on a du potentiel sur la méthanisation ici. Et les énergies renouvelables plus généralement car nous possédons déjà un parc éolien important, du photovoltaïque sur les toitures, une filière bois…

Les Aveyronnais sont-ils selon vous assez sensibilisés sur les effets du changement climatique ?

Je le pense, oui. On se rend bien compte qu’il y a moins de neige, que les périodes de canicules et de sécheresse sont plus nombreuses… Puis l’on se souvient encore de l’été 2022 et ses nombreux feux de forêts. Puis dans un département agricole comme le nôtre, où l’on travaille quotidiennement la terre, le réchauffement climatique s’est déjà inscrit dans la mémoire d’hommes.

"L’année 2024 sera marquée par les Jeux olympiques de Paris. De nombreuses communes ont intégré le label Terre de jeux, on doit en profiter. Puis il y a aura le passage de la flamme à Millau !

Le chiffre

29

En millions d’euros le soutien de l’État à des projets aveyronnais de transition écologique 2023. Une bonne partie s’inscrit dans le cadre du Fonds vert mais pas seulement. Éclairage public, rénovation de bâtiments publics, aides énergétiques… En tout, ce sont 460 projets qui ont été soutenus.

 

RN88 à 2x2 voies : "C’est avant tout une décision politique"

C’est l’un des sujets politiques majeurs de l’année. Après tant d’années de tergiversations, d’espoirs déchus, le passage de la RN88 à 2x2 voies jusqu’à l’A75 à Sévérac-d’Aveyron est revenu au centre des discussions. En début d’année, le Département a obtenu la maîtrise d’ouvrage et annoncé qu’il souhaitait entreprendre les travaux au plus vite. Ils sont chiffrés à plus de 350 millions d’euros. La Région a rapidement apporté son soutien. L’État, lui, n’a toujours pas annoncé s’il soutiendrait ou pas cette réalisation. Le hic, c’est que son aide est particulièrement attendue, au moins à hauteur de celle de la Région : soit 95 millions d’euros. Charles Giusti, préfet, est conscient de cette "forte attente locale". Mais il n’a pas pour autant de réponses à donner. "Le préfet de département que je suis peut passer des messages sur l’importance de ce genre de dossiers. Mais il s’agit là d’une décision politique… Elle se traitera dans le cadre du contrat de plan État-Région sur les mobilités", indique-t-il. Tout en précisant qu’à ce jour "le coût de telles infrastructures est important" et que "la priorité nationale est aujourd’hui donnée au ferroviaire"… Est-ce donc un mauvais signe ? Non, selon le préfet, évoquant "une certaine exception pour le tronçon entre Rodez et Sévérac. L’attente est forte, notamment en termes de sécurité."

  • Une opposition à craindre ?

  • Récemment, un collectif, initié par Les Verts, s’est créé pour s’opposer à ce projet. Le préfet Charles Giusti craint-il ainsi une opposition aussi tenace que celle connue sur l’A69 dans le Tarn voisin ? Et divers troubles à l’ordre public à envisager ? "Il ne faut pas s’autocensurer sur de grands projets. Oui, il y a de la contestation mais elle fait partie d’un État de droit. L’important est de faire ce qu’il faut dans le processus sur les mesures environnementales et maîtriser les impacts. Mais à ce jour, on n’est pas sur une contestation qui pourrait être de l’ampleur de celle contre l’A69".

Accidentologie : "Nous sommes encore dans une mauvaise année"

"Un bilan dramatique et une mortalité hors norme." Tels étaient les mots de Charles Giusti, en janvier dernier, à l’heure d’évoquer l’accidentologie de l’année 2022. Cette année-là, 32 personnes ont perdu la vie sur les routes aveyronnaises. Un chiffre parmi les plus élevés de cette dernière décennie. Le préfet avait ainsi promis d’agir, notamment en multipliant les contrôles. Cela a été fait tout au long de l’année. Pour quel bilan ? "À ce jour, nous dénombrons moitié moins de tués sur les routes : 16. Mais nous sommes encore dans une mauvaise année. Car le nombre de blessés comme d’accidents est plus élevé que l’année précédente. Nous ne relâcherons donc pas les efforts et la sécurité routière reste une priorité. Les contrôles vont se poursuivre et se renforcer." Sur quels secteurs ? Impossible à dire. Cartes en mains sur l’accidentologie, Charles Giusti montre qu’il n’y a finalement pas d’axes plus accidentogènes que les autres. "Tout le département est touché", conclut-il, évoquant "un cocktail malheureux vitesse-addictions".

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