Troisgros: les coulisses de la transmission au sein d'une dynastie culinaire

  • Le chef Michel Troisgros entouré de ses fils Léo (à gauche) et César(à droite).
    Le chef Michel Troisgros entouré de ses fils Léo (à gauche) et César(à droite). JOEL SAGET / AFP
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(AFP) - "Aujourd'hui, mes fils sont totalement affranchis de moi", assure Michel Troisgros à l'AFP, à l'occasion de la sortie d'un documentaire montrant les coulisses de la passation à la quatrième génération de la dynastie culinaire française mondialement connue.

Le chef de 65 ans apparaît pourtant omniprésent dans la maison Troisgros, fondée en 1930 et qui détient trois étoiles Michelin depuis 55 ans. En salle avec les clients, en cuisine, validant les plats de l'aîné, César, qui a repris le restaurant triplement étoilé "Le Bois sans Feuilles", ou du cadet, Léo, à la tête de l'un des deux autres restaurants, "La Colline du Colombier".

Un plan-séquence du documentaire de quatre heures réalisé par l'Américain Frederick Wiseman, qui sort mercredi en France, le montre en train de discuter avec un convive vigneron qui, lui aussi, doit céder la place à ses deux fils et fait remarquer au chef qu'il a du mal à décrocher.

Est-ce difficile?

"C'est progressif, ce n'est pas brutal. On travaille ensemble depuis des années, je les vois bien grandir, prendre de la maturité", raconte Michel Troisgros, en ajoutant que les choses ne se passent plus comme dans le film tourné pendant deux mois au printemps 2021.

"Depuis, j'ai totalement passé la main à César", 37 ans, dit-il. Pour Léo, 29 ans, qui mène le restaurant sans étoile, "c'était, en revanche, déjà quasiment le cas pendant le tournage: il avait la main sur la Colline du Colombier".

- "On se recentre" -

"Ce n'est pas vrai. A cette époque, tu participais à l'évolution des plats, je te faisais goûter, c'est toi qui trouvais les intitulés", rétorque Léo Troisgros, en se réjouissant de ne pas avoir la "lourde tâche" de son frère de reprendre le restaurant étoilé.

Malgré la bienveillance des échanges père-fils captée dans les temps longs de leur quotidien professionnel montré dans le film, le choix de porter une affaire familiale aussi prestigieuse n'est pas évident.

"Ce n'est pas facile", avoue César Troisgros à l'AFP, en ajoutant qu'à 25 ans, il avait des doutes et ne se voyait pas là où il est aujourd'hui.

"Chaque génération se consacre pour la suivante (...) on a la chance d'avoir une famille qui laisse à ses enfants une histoire", ajoute-t-il.

En allant travailler ailleurs, les frères ont saisi "l'importance de la famille au regard du monde". "On se sent habité, on est responsable de ça", souligne César.

Avec la conscience environnementale de leur génération, ils font avancer la maison, intransigeants sur la saisonnalité et les circuits courts, là où leur père est moins exigeant.

"Papa va nous proposer des choses qu'on faisait il y a 20 ans, comme travailler les poivrons en janvier. Aujourd'hui, cela n'existe plus", martèle César.

"A l'époque, on faisait découvrir les produits d'ailleurs et, aujourd'hui, on se recentre", ajoute Léo.

"C'est vrai, parfois, j'aimerais que la saison d'un ingrédient s'étire et César est vraiment à cheval sur les calendriers du jardin", reconnaît Michel, dont les fils respectent l'expertise inégalée "du goût et des techniques".

- "Champ créatif" -

Si la maison propose toujours des plats audacieux comme des rognons au fruit de la passion, les échanges du personnel de salle, dans le film, donnent parfois l'impression qu'ils ont beaucoup de clients difficiles, entre rejet de la viande, allergies et intolérances.

"L'Amérique nous a donné l'exemple", estime Michel Troisgros.

Quand César est revenu de Californie il y a 15 ans, après avoir oeuvré aux fourneaux du "French Laundry", "il nous a témoigné qu'il y avait un menu végétarien toujours prêt", poursuit Michel. "A l'époque, c'était inexistant ici. On l'a vu arriver petit à petit et, aujourd'hui, on est dans les mêmes circonstances".

Un menu végétarien, César l'a toujours sous le coude sans le proposer aux clients et, depuis quelques mois, il a mis en place des accords mets et boissons non-alcoolisées.

"J'avoue que je ne considérais pas ça intéressant mais c'est un vrai champ créatif", affirme-t-il.

"Quand un client reçoit une cuisine spécialement faite pour ses contraintes avec la patte d'un cuisinier, cela le rend fou de joie. Cela en vaut la peine", conclut Michel Troisgros.

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