Procès en appel du Mediator : prison ferme, remboursement de 415 M€ ... Servier va devoir payer une lourde addition

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  • Le médicament, dont les effets toxiques ont été dissimulés, avait été retiré du marché en 2009.
    Le médicament, dont les effets toxiques ont été dissimulés, avait été retiré du marché en 2009. - Max Berullier
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François Barrère

Le procès en appel a aggravé les sanctions prononcées contre le deuxième groupe pharmaceutique français, reconnu notamment coupable de tromperie et d’escroquerie.

Treize ans après les premières plaintes déposées par des patients consommateurs du Mediator, et après 99 journées d’audience devant la cour d’appel de Paris, des sanctions alourdies ont été prononcées ce mercredi 20 décembre 2023 contre Servier, deuxième groupe pharmaceutique français.

Délits de tromperie aggravée et d’homicides et blessures involontaires 

Au plan pénal tout d’abord. Pour la justice, Servier a bien commis une tromperie auprès de ses clients, en dissimulant sciemment les propriétés anorexigènes (coupe-faim) de ce médicament, tout comme les risques de maladies cardiovasculaires qu’il engendrait.

En dissimulant ces aspects toxiques de son médicament, la cour estime que Servier a frauduleusement obtenu les autorisations de mises sur le marché du Mediator, en 1974, et ses renouvellements successifs, jusqu’en 2007 avant son retrait des pharmacies en 2009. Fort de "son inscription comme médicament du métabolisme", ce qui lui ouvrait la voie au remboursement par les caisses de Sécurité sociale et les mutuelles, Servier a commis le délit d’escroquerie. En première instance, le 29 mars 2021, Servier avait été relaxé de ces deux poursuites, ce qui avait amené le parquet à faire appel.

"Les dissimulations reprochées ont eu pour conséquence de mettre gravement en danger la santé des consommateurs. Le groupe Servier privilégiait le bénéfice au sens financier du terme au détriment du risque au sens strictement scientifique", a indiqué le président de la cour d’appel.

Le groupe Servier privilégiait le bénéfice au sens financier du terme au détriment du risque scientifique

Enfin, la cour confirme les délits de tromperie aggravée et d’homicides et blessures involontaires : elle donne ainsi tort aux avocats du groupe pharmaceutique, qui avaient plaidé une relaxe totale.

Pénalement, les sanctions sont alourdies, même si la cour ne s’aligne pas sur le réquisitoire de l’avocat général.

Jean-Philippe Seta condamné à un an de prison ferme 

Jean-Philippe Seta, président opérationnel du groupe Servier depuis 1999, est condamné à quatre ans de prison, dont un ferme, qu’il devra effectuer sous bracelet électronique, alors qu’il avait écopé de quatre ans de sursis en première instance. Cet homme, dont le jugement évoque "les prises de position martiales" et "le rôle important et fautif", devra également payer 89 000 € d’amende.

Il était le seul dirigeant de Servier poursuivi, après le décès, le 16 avril 2014, à 92 ans, de Jacques Servier, fondateur du laboratoire et quinzième fortune de France en 2012, avec un patrimoine de près de trois milliards d’euros. Un dirigeant épinglé dans le jugement pour "ses agissements coupables, susceptibles d’engager la responsabilité pénale de son groupe".

Les six sociétés du groupe Servier poursuivies écopent, elles, de lourdes peines d’amendes : au total, elles devront payer 9 173,00 M€.

Servier va devoir verser 415M€ à la CPAM et aux mutuelles

Mais c’est surtout au civil que l’addition devient salée pour Servier. Certes, la cour d’appel n’a pas fait droit à la demande du parquet de saisir les 182 millions d’euros constituant l’estimation des bénéfices du Mediator, et ce, a indiqué le président pendant les deux heures de lecture du jugement (une synthèse, l’original faisant 1 000 pages), "au risque de mettre en péril le groupe".

Servier va devoir rembourser 415 M€ à la CPAM et aux mutuelles, et va également verser des dommages et intérêt accrus à chacune des victimes : de 60 000 € à 1,50 M€, en cas de décès.

Il faudra y ajouter 5 M€ à verser aux avocats des plaignants, tandis que d’autres sommes importantes sont également en jeu pour ce qui concerne les procédures d’indemnisation à l’amiable : sur son site internet, Servier affirme avoir déjà proposé des indemnisations, au 30 novembre 2023, à 4 337 patients pour 258,70 M€, dont 224,3 millions ont déjà été versés.

Servier pourrait toutefois faire un pourvoi en cassation, afin de contester une ultime fois ce jugement. Mais il n’en est pas quitte avec la justice : une deuxième procédure judiciaire, Mediator 2, ouverte pour "blessures et homicides involontaires", est à l’instruction, rassemblant des milliers de plaignants. Pas de quoi toutefois perturber outre mesure la bonne santé financière du groupe, qui compte 21 000 collaborateurs dans le monde, affiche un chiffre d’affaires de 4,9 milliards d’euros en 2022, pour un bénéfice avant impôts de 859 millions d’euros, et vise un chiffre d’affaires de six milliards d’euros en 2025.

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