Aveyron : Marie-Thérèse Lacombe, femme pionnière en agriculture, "Il y a eu la reconnaissance du milieu citadin par rapport à la campagne, comme ce fut le cas en 1991"

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  • Marie Thérèse Lacombe: "Il faut arrêter de se plaindre, montrer le côté créatif pour donner envie".
    Marie Thérèse Lacombe: "Il faut arrêter de se plaindre, montrer le côté créatif pour donner envie". Centre Presse
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Il y a eu Raymond Lacombe, éleveur de Camboulazet et figure historique de l’agriculture à travers ses engagements dans le syndicalisme, décédé en 2002. Il y a Marie-Thérèse, son épouse, qui a mené son combat à ses côtés pour émanciper la femme et améliorer sa condition de vie. Un sujet qui reste plus que jamais d’actualité.
Marie-Thérèse Lacombe reçoit Centre Presse Aveyron dans son appartement, avec l’ouvrage "La vieillesse" de Simone de Beauvoir posé sur sa table basse – cadeau de ses petits-enfants en clin d’œil à ses luttes comme l’auteure du "Deuxième sexe" – et au-dessus de sa tête, la photo emblématique mettant en scène Raymond Lacombe lors de la fameuse manifestation de 1991 qui avait rassemblé 300 000 personnes à Paris. Entretien.

D’une manifestation à l’autre, une première question s’impose. Que pensez-vous de celle qui vient d’avoir lieu en début d’année ?

C’était beau car il y a eu la reconnaissance du milieu citadin par rapport à la campagne, comme ce fut le cas en 1991. Il faut être plus juste pour la rémunération, faire appliquer la loi. En revanche, l’aspect coopératif a été oublié parmi les revendications. Parler des Gaec (Groupement agricole d’exploitation en commun) et des Cuma (Coopérative d’utilisation de matériel agricole), c’est important, c’est aussi un espoir. Les gens ont dû se développer et ont décidé de travailler ensemble, cela n’est pas ressorti, on n’a pas expliqué.

On est en crise alors que les écoles d’agriculture sont pleines, où vont-ils ?

Comment vivez-vous la situation que vit l’agriculture ?

Je le vis tristement. Raymond qui avait son slogan "Pas de pays sans paysan" serait très malheureux. C’est très angoissant aujourd’hui. J’en veux à la recherche qui n’a pas assez accompagné, qui aurait pu alerter sur l’usage des pesticides. On est en crise alors que les écoles d’agriculture sont pleines, où vont-ils ?

Il faut arrêter de se plaindre, montrer le côté créatif pour donner envie. Le métier d’agriculteur permet d’être indépendant et de vivre dans la nature. On est injuste avec les agriculteurs qui continuent d’entretenir le pays et les paysages. Le soulagement vient de mon fils Damien qui reprend la ferme familiale.

On est injuste avec les agriculteurs qui continuent d’entretenir le pays et les paysages

Justement, le travail à la ferme, comment cela a commencé ?

J’ai rencontré Raymond lors du Mouvement de jeunesse agricole catholique en 1954 à Paris. Lui venait de l’Aveyron, moi de Champagne et nous militions ensemble. J’ai découvert l’Aveyron qui était très vivant, comme la place d’Armes à Rodez. On était décidé à faire évoluer le pays, que le progrès se fasse.

On a toujours été précurseur pour faire avancer les choses

C’est pour cette raison qu’on a fait construire notre maison en 1957 avant notre mariage en récupérant des pierres et en abattant trois châtaigniers pour réaliser la charpente avec Monsieur Nespoulous à Baraqueville. C’était une révolution à l’époque. Les femmes venaient la visiter. On a toujours été précurseur pour faire avancer les choses.

À la ferme, nous cultivions des pommes de terre, je n’ai jamais compris pourquoi cela s’est arrêté. On faisait la sélection, on avait même un projet de faire des chips, je passais des heures à la cave pour les trier. Une station de triage était même prévue à Baraqueville mais elle n’a jamais vu le jour. Nous avons alors développé la production laitière.

On ne gagnait pas beaucoup mais on se suffisait de peu

J’ai commencé à traire à la maison puis Raymond a acheté la machine à traire pour me permettre de rendre visite à ma famille. On ne gagnait pas beaucoup mais on se suffisait de peu. En parallèle, j’écrivais des chroniques familiales toutes les semaines pendant dix ans. Cela me permettait de vider le trop-plein et de faire passer les idées comme le régime de cohabitation. Des femmes découpaient mes articles et les posaient sur les fenêtres pour que les grands-pères les voient.

Que pensez-vous de la place de la femme aujourd’hui ?

Elles sont nombreuses à s’installer, c’est bien. Elles travaillent en Gaec, tant mieux car faire ce métier seul, c’est dur.

D’où vous vient cet esprit éclairé pour émanciper les conditions de vie de la femme ?

Le militantisme vient de loin. Mon grand-père maternel avait mené une révolte pour les vignerons en Champagne en 1913. Il avait pris six mois de prison. Pour ma part, on avait envie de faire en sorte que les choses évoluent.

L’émancipation des femmes à l’époque était énorme

On se retrouvait entre femmes au sein des centres d’études ménagères agricoles pour améliorer notre condition. Cela faisait réfléchir. Les petits élevages ont permis aux femmes de se faire un peu d’argent. L’émancipation des femmes à l’époque était énorme.

Quel regard portez-vous sur le syndicalisme ?

L’époque est difficile. Il faut une cohésion entre paysans. Il ne faut pas que les syndicats se bouffent entre eux. Ils ont fait des études, cela devrait être plus facile et c’est l’inverse.

Il ne faut pas que les syndicats se bouffent entre eux

On est moins solidaire, on perd le vivre ensemble. Un président de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) qui détient aujourd’hui 700 hectares, ça interroge. Nous en avions 20 avec Raymond.

Le problème vient de notre société. Il y a un manque de solidarité. La gloire des vacances est excessive. Le travail n’est plus considéré. C’est vrai que tout le monde trime alors que le travail doit être épanouissant.

Quels souvenirs gardez-vous de Raymond ?

Il était très chaleureux. On recevait beaucoup de monde à Noyès comme le président de la Cour des comptes à l’époque qui était venu manger. Pour lui, il n’y avait pas de barrières sociales. Il a aussi rencontré Jacques Delors qu’il appréciait et était assez d’accord avec lui.

"Pionnières !", un livre testamentaire

"Je voyais des livres écrits par des gens qui partent de la campagne. Je me devais de parler au nom des gens qui ont vécu la vie à la campagne", rappelle-t-elle. Ainsi est né le livre "Pionnières !" qui raconte, au gré de cent témoignages de femmes, la vie des campagnes de 1945 à 2009, date de la publication du livre.

"Tout est dedans", résume celle qui fut promue officier de la Légion d’honneur en 2019.
Et sa conclusion résonne avec l’époque actuelle : "L’agriculture est mobilisatrice. Elle est moderne et s’inscrit dans tous les grands défis à relever pour notre siècle : nourrir les hommes, respecter la planète, partager l’espace et le temps. Les paysans continueront d’y œuvrer par leur labeur et dans leur environnement. Le programme est vaste, plein d’espérance. Dans le grand concert de la vie des campagnes, chacun se doit d’y être un artiste et d’y jouer sa partition".

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Les commentaires (2)
RienCompris Il y a 2 mois Le 26/02/2024 à 09:26

Raymond Lacombe, président de la FNSEA a été le pionnier de la modernisation de l'agriculture. Le succès de cette modernisation à outrance va provoquer leur propre appauvrissement.(Investissements inadaptés ou souvent excessifs).

charles11 Il y a 2 mois Le 26/02/2024 à 10:48

C'est tout une histoire faite de lutte de succès pour améliorer la vie des paysans, cette génération des Bruel, Cazals, Laur, Lacombe, Alexandre et j'en oublie ont tracé un sillon, je souhaite pour l'Aveyron que la relève se fasse, existe t il encore cet esprit collectif de défense et de progrès, Mme Lacombe est une des derniers témoins de notre histoire