Elle emploie environ 5 % de la population mondiale : des centaines de millions d'êtres humains sous-payés derrière l'Intelligence artificielle

  • Les milliards de données nécessaires nécessaires à l'AI doivent être annotées par l'être humain pour qu'elle les comprenne.
    Les milliards de données nécessaires nécessaires à l'AI doivent être annotées par l'être humain pour qu'elle les comprenne. Pexels - Markus Spiske
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Ces travailleurs de l'ombre souvent précaires sont indispensables pour traiter les données nourrissant les algorythmes de ces IA comme ChatGPT ou Midjourney.
 

Des intelligences "naturelles" inféodées à l'intelligence artificielle, une sorte d'embryon de Matrix avec des êtres humains connectés qui alimentent les ChatGPT et autres Midjourney ? C'est en passe d'être une réalité, révèle France Info.

On les appelle des "annotateurs" ou des "modérateurs", et ils sont indispensables à la bonne marche des IA comme ChatGPT ou Midjourney. Le rôle de ces hommes et ces femmes ? traiter et vérifier des milliards et des milliards de données afin que ces intelligences artificielles ne fassent pas d'erreurs, pour un texte, pour une image, animée ou non. Mot par mot, pixel par pixel, une infinité de données annotées par des êtres humains qui accomplissent ces tâches voire ces "micro-tâches" afin que l'algorythme "s'entraîne", reconnaisse et analyse, en quelque sorte "comprenne" peu à peu ce que représente tel assemblage de pixels, que cette phrase est un "fake" ou ce comportement illégal. Ce que représente en fait la complexité de notre humanité.

Des centaines de millions d'humains sous les ordres de l'IA ?

Ces "annotateurs" humains forment une armée de travailleurs de l'ombre au service de l'intelligence artificielle, et ils sont des centaines de millions à travers le monde (entre 154 et 435 millions de "travailleurs du clic" dans le monde, soit jusqu'à plus de 4% de la population mondiale), en Afrique de l'Est (Kenya, Madagascar...), au Venezuela, au Maroc, au Pakistan, en Inde, aux Philippines, quand ils ne travaillent pas dans un camp de réfugiés au Liban, ou une prison en Finlande. Voire même mineurs, dans certains cas. Des travailleurs souvent "recrutés dans des pays à faibles revenus, et géopolitiquement instables", estime Antonio Casilli de l'Institut polytechnique de Paris, cité par France Info.

Payés à la "tâche", et souvent au lance-pierre

Si certains de ces annotateurs sont embauchés officiellement par des entreprises de type start-ups ou plateformes en quelque sorte gestionnaires de l'Intelligence artificielle (Remotasks, Appen ou encore OpenAI, à l'origine de ChatGPT), ces dernières préfèrent sous-traiter, avec des rémunérations à la "tâche" en général très faibles, qui varient suivant le pays.

  • Cet entrepreneur "entraîneur d'IA" français d'origine tanzanienne a de la chance : environ 16 dollars de l'heure. Voire plus, mais pour plus de boulot : "J'ai reçu une tâche vendredi vers 19 heures, j'ai travaillé 45 heures sur le week-end, j'ai gagné 1 200 euros". 
  • Au Vénézuela, de 11 centimes pour quelques minutes à 10 dollars pour 8 heures de travail.
  • Aux Philippines, entre 1,50 et 3 dollars par "tâche".
  • A Madagascar, ce témoin ne dit pas son salaire, mais regrette que "les entreprises profitent de notre pauvreté".
  • Au Pakistan, 1 à 2 dollars de l'heure pour ce mineur, mais soit jusqu'à huit fois plus que le salaire minimum national.
  • En Chine, sous couvert de "formation à l'IA", des étudiants annotent des données pour un salaire inférieur au minimum légal.
  • Au Kenya, l'équivalent de 150 euros par mois, selon l'analyste qualité Mophat Okinyi, le seul "annotateur" qui témoigne sous son vrai nom. Et pour cause : son contrat a été rompu en mars 2022...

Des "employeurs" souvent non identifiés

Mophat Okinyi a ensuite appris qu'il travaillait en fait pour OpenAI, ce qu'il ne savait pas. Il est loin d'être le seul dans ce cas. L'ancien analyste veut maintenant créer l'Union des modérateurs de contenus du Kenya, "pour plus de transparence". 

Car l'opacité règne dans les coulisses de l'intelligence artificielle : méconnaissance de ces centaines de millions de personnes dont le travail lui est indispensable, des petites mains le plus souvent mal payées, avec des salaires non établis, variables suivant les pays, et des employeurs non identifiés. "Les entreprises d'IA expliquent que si elles étaient pleinement transparentes sur leurs besoins en données, cela pourrait donner des indices sur leurs projets en cours et influencer les réponses des contributeurs", commente avec une moue dubitative Antonio Casilli.

Nous sommes tous des annotateurs

Selon Mophat Okinyi, "l'IA ne peut pas être éthique si elle est entraînée de façon immorale, en exploitant des gens en difficulté économique et sur des données volées". Car même en apposant un simple "lik"e sur une publication, avec nos données surfant d'un bord à l'autre sur internet, nous sommes tous des annotateurs, rappelle Antonio Casilli, "tous en quelque sorte les producteurs de ces IA, parce que ce sont nos données qui servent à les entraîner".

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