La ballade de la geôle de Kurobane au Japon

  • Le duo Paix2, Megumi Ikatsu et Manami Kitao (g), se produit le 16 mai 2015 sur la scène de la prison de Kurobane, à 160 km au nord de Tokyo
    Le duo Paix2, Megumi Ikatsu et Manami Kitao (g), se produit le 16 mai 2015 sur la scène de la prison de Kurobane, à 160 km au nord de Tokyo AFP - TOSHIFUMI KITAMURA
  • Le duo Paix2, Megumi Ikatsu et Manami Kitao (g), se produit le 16 mai 2015 sur la scène de la prison de Kurobane, à 160 km au nord de Tokyo Le duo Paix2, Megumi Ikatsu et Manami Kitao (g), se produit le 16 mai 2015 sur la scène de la prison de Kurobane, à 160 km au nord de Tokyo
    Le duo Paix2, Megumi Ikatsu et Manami Kitao (g), se produit le 16 mai 2015 sur la scène de la prison de Kurobane, à 160 km au nord de Tokyo AFP - TOSHIFUMI KITAMURA
  • Le duo Paix2, Megumi Ikatsu et Manami Kitao (g), pose le 16 mai 2015 devant la prison de Kurobane, à 160 km au nord de Tokyo
    Le duo Paix2, Megumi Ikatsu et Manami Kitao (g), pose le 16 mai 2015 devant la prison de Kurobane, à 160 km au nord de Tokyo AFP - TOSHIFUMI KITAMURA
Publié le
Centre Presse Aveyron

Elles ne sont pas les chanteuses les plus populaires du Japon. Et pourtant, à chaque concert depuis 15 ans, Megumi Ikatsu et Manami Kitao cassent la baraque devant un public on ne peut plus captif: des prisonniers.

Elles ont choisi le nom de scène "Paix2" (en français) et cet après-midi se produisent devant le public - exclusivement masculin - de la maison d'arrêt de Kurobane, à Tochigi près de Tokyo. C'est leur 362e gala derrière les barreaux.

Armées de guitares acoustiques, les deux artistes arrivent sur scène sous les vivats de 500 détenus, le cheveu ras et uniformément habillés de jaune.

"Les matons vont vous virer de la salle si vous devenez trop excités", plaisante Manami, en robe rouge, déclenchant l'hilarité générale.

En principe, les prisonniers doivent observer un silence complet et avoir les mains posées en permanence sur les genoux, sauf permission spéciale des gardiens. Ce jour-là, ils ont eu le droit de reprendre deux chansons et de scander des poings en même temps pendant l'heure et demie de spectacle.

"Les chansons de +Paix2+ m'ont fait réfléchir intensément au sens de la vie", témoigne un détenu de 40 ans, ancien drogué, après le concert.

"Elles m'ont persuadé de faire de mon mieux ici jusqu'au jour où je sortirai", ajoute le prisonnier en avouant qu'un morceau lui a tiré des larmes.

- Jailhouse pop -

Si le duo ne joue pas uniquement pour des prisonniers - il lui arrive de donner des concerts dans le civil -, son répertoire folk rock trouve un écho auprès d'eux: "C'est normal de faire des erreurs"... "Courage, ne laissez pas tomber", disent les chansons.

Pour Toru Matsumura, un agent pénitentiaire chargé de l'éducation, l'objectif de ces concerts "live" est de "donner aux prisonniers la chance de se racheter".

Si le total des arrestations décline depuis dix ans au Japon - un pays où le taux de criminalité est proverbialement peu élevé -, le taux de récidive, lui, augmente: de 28% en 1997 à près de 47% en 2013, selon des chiffres officiels.

Le gouvernement ambitionne de réduire le nombre des détenus (60.000 sur une population de 127 millions, soit un taux de 51 pour 100.000 habitants - contre 710 aux Etats-Unis et 98 en France, selon l'OCDE) en développant des programmes d'aide à l'emploi à la sortie de prison afin de faciliter leur réinsertion et éviter la récidive.

Megumi et Manami veulent aider les anciens taulards à ne pas rechuter, mais aussi sensibiliser l'opinion publique à la réalité derrière les barreaux.

"Je pense que la perception publique changera si les Japonais savent à quoi ressemble la vie en prison", espère Manami.

Elle-même n'avait pas la moindre idée du sort des détenus, ni du régime notoirement strict qui les encadre, quand elle a commencé à tourner dans les maisons d'arrêt du Japon avec son amie d'enfance Megumi.

- 'Idoles des prisons' -

Découvertes par des agents de l'administration pénitentiaire lors d'un spectacle dans leur ville natale de Tottori (ouest du Japon) en 2000, elles n'ont depuis lors jamais arrêté de se produire dans des prisons, ont visité toutes les maisons d'arrêt du pays et rêvent d'inscrire leur record dans le Livre Guinness.

Megumi Ikatsu et Manami Kitao étaient mortes de trac lorsqu'elles ont joué la première fois devant un parterre de têtes tondues et d'uniformes austères.

"C'était intimidant parce qu'ils nous regardaient intensément, sans le moindre sourire. J'étais terrorisée parce qu'ils n'avaient aucune réaction", se souvient Manami.

A l'époque, les deux jeunes femmes, qui approchent aujourd'hui la quarantaine, étaient les seules chanteuses à visiter les geôles de l'Archipel.

Depuis, elles sont devenues "les idoles des prisons" sans pour autant faire fortune. Elles ne touchent que 30.000 à 40.000 yens (200 à 300 euros) par concert, quand on veut bien leur donner un cachet, et doivent prendre à leur compte les frais de logement et de transport.

Mais Megumi et Manami assument leur choix: "Jouer dans les prisons implique qu'on ne deviendra jamais des célébrités qui passent à la télé. Nos concerts n'ont rien de glamour", reconnaît la première.

Pourtant, elles ne regrettent rien et jugent que la cause en vaut la peine. "Quand d'ex-détenus viennent nous revoir et nous disent qu'ils ont rompu avec leur passé criminel, c'est ça notre vraie rétribution", se réjouit Megumi.

Source : AFP

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