Dans l'Arctique canadien, la culture inuit aux prises avec le réchauffement

  • Une rue du village inuit de Umiujaq, dans le grand nord canadien sur les rives de la baie d'Hudson, le 19 septembre 2015
    Une rue du village inuit de Umiujaq, dans le grand nord canadien sur les rives de la baie d'Hudson, le 19 septembre 2015 AFP - CATHERINE HOURS
  • Des canoes et des bateaux sur la rive du village inuit de Umiujag, dans le grand nord canadien, le 19 septembre 2015
    Des canoes et des bateaux sur la rive du village inuit de Umiujag, dans le grand nord canadien, le 19 septembre 2015 AFP - CATHERINE HOURS
  • Lucassie Cookie, un pêcheur de 47 ans, dans le village inuit de Umiujaq, le 16 septembre 2015, dans le grand nord canadien
    Lucassie Cookie, un pêcheur de 47 ans, dans le village inuit de Umiujaq, le 16 septembre 2015, dans le grand nord canadien AFP - CATHERINE HOURS
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Centre Presse Aveyron

A Umiujaq, fini les longues campagnes de chasse sur la glace. Dans les villages isolés du grand Nord canadien, le dérèglement du climat se fait cruellement sentir, compliquant plus encore la vie de communautés inuit qui luttent déjà pour maintenir leurs traditions.

"J'adore la pêche sur glace - je raffole des œufs de poissons - mais elle n'est plus possible que sur quelques semaines et devient vite dangereuse", se désole Nellie Tookalook, qui vit dans ce bourg du bout du monde posé en bord de baie d'Hudson, dans cette région sub-arctique qui se réchauffe deux fois plus vite que le reste de la planète.

"L'hiver arrive tard, la neige fond trop vite, les caribous ont disparu... En bien des aspects, le changement climatique a des impacts négatifs," raconte cette mère de famille qui enseigne l'inuktitut, la langue locale, à l'école du village.

En ce début d'automne, les rares visiteurs d'Umiujaq sont accueillis par un ballet de pelleteuses: la route de l'aérodrome s'est affaissée pour cause de fonte du permafrost, le sous-sol gelé des hautes latitudes.

Le chantier est vital : à quatre heures de vol de Montréal, la communauté de 400 habitants est reliée au monde par les seuls avions d'Air Inuit.

En contrebas de l'aéroport, quelques dizaines de maisons de bois colorées forment ce village né il y a moins de 30 ans. Un poste de police, un dispensaire, deux épiceries, deux églises, une tour télécom, une radio communautaire, plusieurs décharges à ciel ouvert. Et constamment de nouvelles maisons en projet, démographie galopante oblige.

"A cause du permafrost, on pose les fondations puis on attend un an avant de construire", explique Noah Inukpuk, le responsable de la mairie.

A Umiujaq, des murs se fêlent. A Salluit, au nord, la caserne de pompiers s'est effondrée.

Les dégradations sont apparues au début des années 2000, explique-t-on à Transports Québec, où on scrute les tarmacs, qui désenclavent les 11.000 habitants de cette région sans route.

Les sols mais aussi les espèces, la végétation, les régimes hydriques, l'enneigement... tout est bouleversé.

- Canicule -

Implacablement, la limite des arbres remonte vers le nord. Autour d'Umiujaq, dans les terres, des épicéas encore chétifs remplacent peu à peu mousses et lichens. Accompagnés de nouveaux venus: orignaux, marmottes et même crapauds...

La région découvre les canicules, les anciens n'arrivent plus à prévoir le temps.

"L'an dernier, il a fait 30°C", explique Anita Inukpuk, 22 ans. "C'est trop pour moi. Alors on évite de sortir."

Lucassie Cookie, un pêcheur de 47 ans, raconte avec un sourire poli : "Quand il fait chaud, les poissons restent dans le fond. Et puis il y a les moustiques et les mouches noires" aux morsures féroces.

Mais pour les Inuits, dont la langue offre plus de 20 mots pour désigner la neige, plus cruel est le recul de l'hiver, qui a perdu près de deux mois: bientôt, la banquise se reformera sur la baie d'Hudson, pour une saison probablement encore raccourcie.

La glace prend tard, perd en épaisseur, rompt plus tôt. Récemment, un chasseur et sa motoneige ont été engloutis.

Les Inuits auront de plus en plus de mal à trouver des phoques, également victimes du déclin de la banquise, ou certaines baleines, menacées par l'essor de prédateurs, comme l'orque, dans la baie, soulignent les scientifiques.

- Tourisme et myrtilles -

"Ma grand-mère disait qu'un jour, il n'y aurait plus de neige. Je la crois aujourd'hui", s'alarme Lucassie Tooktoo, 50 ans, qui enseigne la culture locale aux garçons de l'école.

Au point de faire disparaître la culture inuit, déjà déboussolée par 50 ans de transformations sociales et culturelles ?

"Oui, elle pourrait disparaître doucement", craint Lucassie Tooktoo. "Et pas seulement à cause du climat... Tant de choses se sont perdues", dit-il. Sédentarisation, perte de repères, problèmes d'emploi... Et maintenant le climat. "Mais lui, on ne peut pas le contrôler", souligne Lucassie Tooktoo.

Charlie Tooktoo, un ancien, est plus remonté: "Si nous devons changer, nous changerons, mais ça arrive si vite !", lance-t-il.

Alors les communautés inuit tentent d'entrevoir quelques opportunités d'avenir, comme le développement du tourisme, à ce stade quasi nul à Umiujaq, où un parc naturel a été institué cet été.

"Mais il faut que les retombées économiques leur bénéficient plutôt qu'aux compagnies" maritimes ou de croisières, prévient Louis Fortier, directeur d'Arcticnet, un réseau scientifique intervenant dans ces régions.

Autre piste possible pour le futur: l'exploitation des myrtilles et des champignons, facilitée par l'augmentation de la température.

A condition "que les communautés s'en saisissent", précise le chercheur, ajoutant que cette région pourrait être riche de leçons pour les pays du sud promis eux aussi à un réchauffement lourd de conséquences.

Source : AFP

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